« Mon projet n’a pas d’avenir.« Voilà ce qu’a dit Willie Morlon devant le jury de Design Parade Toulon 2024, présidé cette année par Marion Mailaender. Une affirmation restée gravée dans la mémoire de l’architecte d’intérieur, puisque la voici citant ces mots au moment de lui remettre le Grand Prix Van Cleef & Arpels de cette 8e édition. Il faut dire que son projet en marqueterie de placo a ébloui le festival organisé par la Villa Noailles. Rencontre avec un jeune blond au visage d’ange, fana de matériaux de construction et d’ornementation.
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De la fac de droit aux Beaux-Arts
Perdu pendant ses études de droit, Willie Morlon décide de se réorienter au lieu de choisir une spécialité. Virage à 180 degrés, il quitte son Paris natal direction l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles, en Belgique. “J’avais en tête de créer des images en mouvement, de faire de la vidéo, du cinéma, commence le jeune homme de 32 ans. Et puis, dès que j’ai vu les élèves dans les ateliers, les mains dans le plâtre, j’ai tout de suite été attiré. À cette époque, j’étais comme une éponge, dès que je voyais quelqu’un faire quelque chose, je voulais m’y mettre aussi.”
À l’école, son chef d’atelier, Guy Massaux, passionné de Renaissance italienne, l’initie, entre autres, à la perspective, à la peinture murale et au dessin canonique. “Mêler art et architecture m’a toujours intéressé. Les œuvres monumentales, des panneaux de Delaunay aux grandes tapisseries en passant par les encadrements de porte de Brancusi, sont les œuvres qui me parlent le plus. J’aime particulièrement les fresques, qui font corps avec leur environnement, qui transforment un mur en sculpture. Au même titre que les colonnes corinthiennes, qui portent le bâtiment, font partie de lui, tout en le décorant.”
Une sensibilité pour le bâti, les façades de monuments et l’ornement qui n’est pas le fruit du hasard : avant de se consacrer entièrement à son activité de brocanteur, son père était architecte. “Mais j’aime le bon côté de l’architecture : le dessin, le décor, les maquettes… J’en parle à travers mon regard d’artiste. Travailler dans un bureau, me conformer à des normes, respecter des commandes, le vrai travail d’architecte en somme, n’a jamais été pour moi. Par ailleurs, aidant souvent mes parents à la boutique, j‘ai baigné dans le monde des objets, des arts décoratifs, de l’artisanat, des meubles Boulle, des bronzes, des peintures anciennes… Autant de formes, de techniques, du XVIIIe, XIXe, XXe siècle, gravées dans ma mémoire depuis l’enfance et qui ressortent aujourd’hui dans mon travail.”
Redorer le blason du placo
Le Parisien pur souche se tourne naturellement vers les matériaux de construction, d’abord le plâtre et le béton, puis la placo. “J’ai toujours vécu dans des grandes villes – Paris, Bruxelles et Londres. À force de me balader dans ces cités, de voir ce matériau omniprésent sur les chantiers, reconnaissable entre mille, d’observer les plaquistes y tracer des ronds et des traits… Le côté graphique des plaques de BA13 une fois jointoyées m’a rappelé des fresques. J’ai été interpellé. J’y ai vu un lien entre les artistes de la Renaissance et les ouvriers d’aujourd’hui.”
Willie Morlon se plonge dans le mouvement moderne et la période de reconstruction massive d’après-guerre qui ont raison de l’ornement. “Après 1945, le placo est devenu le matériau miracle bon marché, que l’on remplace au bout de quelques décennies, et a influencé notre façon de concevoir l’espace domestique, de distribuer un plan architectural.” En effet, pourquoi passer du temps à décorer ce matériau qui est voué à disparaître au bout d’une cinquantaine d’années ? “Le placo est donc pour moi le meilleur moyen de parler d’ornement.”
S’il se limite au départ à une seule feuille de BA13 pour créer œuvres et sculptures, il saute sur l’occasion de Design Parade Toulon 2024 pour s’atteler à un projet plus monumental, proche des fresques et autres ouvrages entre art et architecture qui le fascinent tant. “Je voulais remettre le placo dans son contexte initial, au mur et au plafond.”Ainsi, il réalise pour le festival une marqueterie de placo recouvrant tous les façades de la pièce de l’ancien Évêché qui lui a été attribuée pour le concours, exploitant les différents types de BA13, non pas pour leurs qualités techniques (hydrofuge, acoustique, ignifuge…), mais pour leur aspect visuel (chaque caractéristique est associée à une couleur spécifique). Un travail minutieux et extrêmement laborieux – n’oublions pas la fragilité du matériau en question – pour un résultat spectaculaire, des cloisons ornées de motifs baroque et Art Nouveau.
Ornement éphémère
Mais alors, pourquoi ce projet n’a-t-il pas d’avenir ? “Je ne parlais pas du matériaux en lui-même, qui est recyclé, recyclable, très accessible et permet à tout le monde d’avoir un premier contact avec l’architecture de sa maison. Il s’agit un peu du do it yourself absolu ! En revanche, les constructions faites en placo, elles, n’ont pas d’avenir sur le long terme car ce n’est pas un matériau fait pour durer. Que va-t-il rester de nos maisons construites dans les années 1970, alors que nous sommes tellement heureux de visiter des châteaux datant du Moyen-Âge ? Notre système de consommation global, qui consiste à produire vite et à remplacer au lieu de réparer, s’applique également à la conception des matériaux de construction. En cela, nous avons rapprocher l’architecture de sa ruine en l’espace d’un demi siècle. Dans 400 ans, il n’y aura plus aucune trace du Placo Studiolo, voilà pourquoi il n’a pas d’avenir.” Ce qui n’a pas empêché Willie Morlon de passer des heures, des jours, des mois, pour le mettre sur pied. “N’est-ce pas là toute sa richesse ? Cette dualité entre le temps de travail passé et l’éphémérité du résultat ?”
Willi Morlon a beau avoir conquis le jury de Design Parade Toulon 2024, il n’envisage pas pour autant une carrière dans l’architecture d’intérieur. “Je n’en ai d’ailleurs pas les capacités ! Même pour faire du mobilier, certaines connaissances, que je n’ai pas, sont nécessaires. En ce sens, j’envisage cette discipline, qui fait partie intégrante de mes champs de recherche, en tant que plasticien. Ce domaine rassemble : qui n’a pas envie de se créer son cocon où il se sent bien ? Ainsi, créer des pièces pour l’intérieur, travailler avec le tissu, le métal, m’intéresse. C’est d’ailleurs ce que propose le festival : des partenariats avec différents ateliers d’art qui me permettrons d’élargir ma pratique.”
Il n’y a pas que le placo dans la vie, et Willie Morlon n’a pas attendu de remporter le Grand Prix du Jury pour élargir son répertoire de techniques et savoir-faire. Désireux de dompter d’autres matériaux de construction, il passe tout le mois de juillet dans les Pyrénées, participant pour la deuxième fois au festival Marbre et Arts de Saint-Béart, qui essaie de faire revivre la carrière du village à travers des ateliers d’initiation, des expositions et des résidence d’artistes. “L’économie autour du marbre s’est effondré. Tous les commerces ont fermé. On s’y sent comme dans une ville fantôme entièrement faite de marbre, magnifique. Pouvoir me confronter à un matériau, luxueux et durable, totalement opposé au placo, m’attirait beaucoup. Et puis, grâce aux outils d’aujourd’hui, travailler le marbre est bien moins difficile qu’il n’y paraît. Quant aux résultats, ils sont tout aussi impressionnants.” Affaire à suivre.
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