Visite : Au coeur de la triennale d’architecture de Lisbonne

Jusqu'au 2 décembre 2019, la triennale d’architecture de Lisbonne explore « La Poétique de la Raison ». Un thème aux allures d’oxymore, qui revient aux fondements de la discipline à travers cinq expositions et une dizaine d’installations. Tour d’horizon.

Cet automne, la triennale d’architecture de Lisbonne prend l’accent français. Architecte basé à Paris, essayiste et commissaire principal de cette cinquième édition, Eric Lapierre s’est entouré de ses collègues de l’école d’architecture de Marne-la-Vallée pour donner corps aux cinq expositions du cru 2019. Dédiée à l’ornement ou à l’imagination des architectes, chacune d’entre elles apporte un nouvel éclairage sur la rationalité si chère à la discipline, afin d’explorer les différentes facettes de « La Poétique de la Raison ». Un thème qui peut sembler paradoxal, mais avec lequel Eric Lapierre entend soulever des questions claires : « Toutes les architectures naissent de la raison. Mais comment la définir ? Quelles conditions et aspects sont nécessaires pour qu’une architecture soit rationnelle ? »

La force du bon sens

Eric Lapierre, commissaire principale de cette cinquième triennale d’architecture de Lisbonne, devant un mur consacré à la répétition des typologies dans l’histoire, au sein de l’exposition « Economy of Means ».
Eric Lapierre, commissaire principale de cette cinquième triennale d’architecture de Lisbonne, devant un mur consacré à la répétition des typologies dans l’histoire, au sein de l’exposition « Economy of Means ». ©Lorenzo Roncaglione

Avec « Economy of Means », l’architecte apporte un premier élément de réponse dans l’ancienne centrale électrique qui accueille le MAAT, le Musée d’Art, Architecture et Technologie de Lisbonne. A travers une sélection de projets éclectiques, l’exposition cherche à définir « l’ADN d’une forme juste ». Par l’étude des typologies récurrentes dans l’histoire, d’espaces à grandes et petites échelles, ou avec un panorama de réalisations récentes qui se matérialise à travers une multitude de maquettes. En réunissant des projets de Livio Vacchini, De Vylder Vinck Tailleu, Aires Mateus ou des Francais de l’AUC et de l’agence Bruther, ce dernier ensemble démontre à lui seul comment l’économie du geste participe à renforcer l’expressivité de l’architecture.

Au premier plan, un pavillon de Piovenefabi conçu pour la première édition de la biennale d’architecture et du paysage de Versailles.
Au premier plan, un pavillon de Piovenefabi conçu pour la première édition de la biennale d’architecture et du paysage de Versailles. ©Fabio Cunha

La fin d’un interdit

L’exposition « What is ornament » présent notamment des céramiques de l’artiste Lubna Chowdhary.
L’exposition « What is ornament » présent notamment des céramiques de l’artiste Lubna Chowdhary. ©Hugo David

Longtemps dénigrée, l’ornementation opère un retour en grâce à la fondation Culturgest. Selon Giovanni Piovene, commissaire de l’exposition « What is ornament » avec Ambra Fabi, « l’ornement est une part fondamentale de l’architecture, il ne peut en être séparé. Même depuis Adolf Loos [et la parution d’Ornement et Crime en 1908, NDLR] la vérité est que l’ornement n’a jamais disparu, y compris au sein du mouvement moderne avec, par exemple, les façades colorées de Le Corbusier. » Ici, la question est plutôt de savoir « comment l’utiliser et avec quels outils ». De l’usage des colonnades, vanté par Léon Battista Alberti dès 1485, à des motifs créés spécialement pour l’occasion, notamment par l’architecte Adam Nathaniel Furman, le parcours dresse ainsi un mode d’emploi varié et – espérons-le – libérateur.

Commissaires de l’exposition « What is ornament », Ambra Fabi et Giovanni Piovene enseignent également à l’école d’architecture de Marne-la-Vallée.
Commissaires de l’exposition « What is ornament », Ambra Fabi et Giovanni Piovene enseignent également à l’école d’architecture de Marne-la-Vallée. c Luisa Ferreira

Dans la tête de…

Multipliant les références à la tour de Babel, un immense cabinet de curiosité accueille les visiteurs de l’expostion « Inner Space ».
Multipliant les références à la tour de Babel, un immense cabinet de curiosité accueille les visiteurs de l’expostion « Inner Space ». ©Fabio Cunha

Dans le centre historique de Lisbonne, le Musée National d’Art Contemporain pousse la raison dans ses retranchements. Entre une cartographie de l’esprit de Grayson Perry et un cabinet de curiosités contemporain dédié à notre imaginaire collectif, l’exposition « Inner Space » « explore le monde interne et inconscient qui influence l’architecte. Mais aussi la manière dont l’architecture peut inspirer d’autre disciplines  », expliquent les commissaires Mariabruna Fabrizi et Fosco Lucarelli. D’autant plus attrayante qu’elle est l’une des rares à mélanger les disciplines et les médiums, notamment la réalité augmentée, l’exposition présente par exemple Autobiography Iconography, une série d’images composant le musée fictif et personnel de Valerio Olgiati. Architecture traditionnelle indienne, miniatures médiévales, Koshine House de Tadao Ando, lampe Akari d’Isamo Noguchi… Pas de doute, on est bien dans la tête d’un génie !


Et l’urbanisation, rationnelle ou pas ?

Exposition « Agriculture and Nature : Taking the country side », sise au Garagem Sul, un centre culturel majeur installé dans le quartier de Belém.
Exposition « Agriculture and Nature : Taking the country side », sise au Garagem Sul, un centre culturel majeur installé dans le quartier de Belém. ©Hugo David

Sébastien Maro nous embarque dans une virée à la campagne avec « Agriculture and Nature : Taking the country side ». Dans la lignée de ses cours à Harvard, au sein d’un programme dirigé par Rem Koolhaas, le philosophe et historien illustre, avec une fresque et une impressionnante série d’images et de projets, ses réflexions sur deux disciplines – urbanisme et agriculture – trop souvent dissociées. Chronologique, l’exposition remonte à leurs naissances simultanées, aux origines de l’humanité, avant de retracer leur divorce progressif depuis la révolution industrielle. Au terme du parcours, quatre illustrations envisagent enfin leurs relations futures suivant différents modèles. Entre l’« infiltration » de la nature dans la ville et la « confrontation » radicale de l’espace urbain et rural, le commissaire nous invite ainsi à « questionner l’idée que la métropole est l’avenir de l’humanité. »

« Au cours des deux ou trois derniers siècles, l’urbanisation est apparue comme le sens naturel de l’évolution mais, environnementalement parlant, on sait désormais que cela posera problème. On est face à une situation à la fois impossible et inévitable. » Sébastien Maro


Beauté au naturel

Réalisées spécialement pour l’exposition « Natural Beauty », les photos de Tatiana Macedo mettent en scène tous les bâtiments évoqués au long du parcours, dont une station-service développée en 1953 par Jean Prouvé.
Réalisées spécialement pour l’exposition « Natural Beauty », les photos de Tatiana Macedo mettent en scène tous les bâtiments évoqués au long du parcours, dont une station-service développée en 1953 par Jean Prouvé. ©Hugo David

Fief officiel de la triennale, le Palais Sinel de Cordes accueille l’exposition « Natural Beauty ». Mais au lieu de se consacrer à l’univers du végétal, celle-ci préfère aborder la « nature rationnelle des principes constructifs », comme l’indiquent Laurent Esmilaire et Tristan Chadney. Autour d’une sublime maquette d’Antonio Gaudi, uniquement constituée de ficelles et de poids pour dessiner des arches parfaites, les anciens élèves d’Eric Lapierre multiplient les analogies inattendues pour révéler « la logique derrière les formes ». En juxtaposant une Biosphère de Buckminster Fuller et la boutique Prada d’Herzog et De Meuron, ou l’hôtel de ville arlésien de Jules Hardouin-Mansart et le Rolex Learning Center de Sanaa à Lausanne, les époques et les styles se répondent pour mettre en lumière un seul point commun : le souci de l’harmonie et de la cohérence, entre moyens de conception, matériaux de construction et formes du bâti.


D’un quartier à l’autre

Boxing Boxes, une installation à mi-chemin entre l’aire de jeu et l’équipement sportif de l’architecte Daniel De Leon Languré.
Boxing Boxes, une installation à mi-chemin entre l’aire de jeu et l’équipement sportif de l’architecte Daniel De Leon Languré. Daniel De Leon Langure

En plus de ces cinq expositions principales, la triennale présente une dizaine d’installations réparties dans toute la ville. Dans le quartier d’Olaias, longtemps abandonné à ses seuls habitants et dénué de tout équipement, l’architecte Daniel De Leon Languré a décliné l’une de ses structures sportives installées à Mexico. Agrémenté de punching balls, cet enchevêtrement de tubes métalliques prône le self-control autant que l’économie de matière. Tandis que dans un ancient couvent de Caxias, les élèves et professeurs de l’école de Chicago revisitent la cellule monacale avec une série de projets retranscrits en maquettes et un habitacle de 4 mètres de coté construit à taille réelle. Un défi de rationalité !


> Triennale d’architecture de Lisbonne. Jusqu’au 2 décembre 2019. 2019.trienaldelisboa.com