Une visite de la villa Santo Sospir avec Jean Cocteau

Dans un court métrage datant de 1952, Jean Cocteau improvise un reportage déco à la villa Santo Sospir. Deux années auparavant, il s'était laissé aller à orner — ou plutôt « tatouer » — les murs de la résidence saint-jeannoise de son amie Francine Weisweiller. IDEAT vous en ouvre les portes.

A Saint-Jean-Cap-Ferrat, les villas d’exception ne manquent pas. Celle de la famille Weisweiller n’est pas forcément opulente, mais elle est devenue mythique. Réunissant la décoration d’une Madeleine Castaing en pleine gloire, amie de la famille, et les œuvres improvisées d’un Jean Cocteau touche-à-tout, la villa Santo Sospir, bâtisse des années 1930, est l’incarnation de toute une époque.

Aux prémices de la villa Santo Sospir

L’histoire commence alors qu’Alec et Francine Weisweiller sont contraints de quitter la France en raison de leur confession juive. Alec promet à Francine qu’à leur retour sur la côte d’Azur, il lui offrirait la maison de ses rêves. La guerre enterrée, le couple rentre au bercail et, lors d’une balade en bateau, Madame aperçoit une villa, en pointe du cap. « Elle dominait le cap Santo Sospir, le dernier cap sur la carte avant le Cap Ferrat » dit Cocteau dans son court-métrage. Même de loin, Francine le sait, sa maison fantasmée, c’est celle-là.

Francine Weisweiller.
Francine Weisweiller. Villa Santo Sospir

Le couple devient propriétaire en 1948. L’année suivante, Francine se lie d’amitié avec Jean Cocteau sur le tournage de « Les Enfants Terribles », l’adaptation de son roman par Jean-Pierre Melville. Le trouvant fatigué, elle l’invite à venir se reposer dans sa sublime villa. Il y restera des années.

Jean Cocteau l’insatiable

« Il ne fallait pas habiller les murs, il fallait dessiner sur leur peau »

Rapidement, Cocteau se lasse du manque de décoration. « Les murs blancs de la villa me criaient leur ennui » dit-il. Ainsi, l’artiste demande à son hôte la permission d’orner le mur du salon, celui où trône la cheminée, d’un Apollon majestueux.

Le salon de la villa Santo Sospir, avec Apollon et ses prêtes du soleil par Jean Cocteau.
Le salon de la villa Santo Sospir, avec Apollon et ses prêtes du soleil par Jean Cocteau. Villa Santo Sospir

Jean Cocteau est fier de présenter sa première œuvre à la villa Santo Sospir à son ami Matisse. Celui-ci l’encourage à continuer : « Quand on décore un mur, on décore les autres. » Obsédé par sa tâche, Cocteau ajoutera graduellement de nombreux autres « tatouages » : une forme toujours esquissée au fusain sans réflexion préalable, directement sur le mur, assortie de quelques pigments de couleurs mélangés à du lait cru.

« J’ai tatoué cette villa comme un corps humain, des pieds à la tête »

Si de nombreuses figures représentent des personnages de la mythologie grecque, d’autres sont inspirés de la vie de Jean Cocteau, à l’image des « prêtres du soleil » qui entourent Apollon, nés de son souvenir des pêcheurs de Villefranche, port auquel il restera attaché toute sa vie. Ou encore d’un berger aux traits rappelant ceux de Jean Marais, l’un de ses célèbres amants.

Une œuvre totale

Pas du genre à faire les choses à moitié, Jean Cocteau transforme la villa Santo Sospir en une œuvre totale. Ne laissant (presque) aucun mur vierge d’un tatouage, il applique la même recette aux portes et peint les plafonds. Les meubles et la décoration de style javanais, en partie chinés par Madeleine Castaing, n’entravent en rien la ferveur d’un Cocteau qui les tatouera avec le reste.

Même une céramique n’a pas échappé au pinceau de Cocteau.
Même une céramique n’a pas échappé au pinceau de Cocteau. Villa Santo Sospir

Dans la salle à manger, c’est une tapisserie réinterprétant le mythe de Judith et Holopherne qui habille un mur. Une pièce majestueuse tissée pendant cinq ans par la manufacture d’Aubusson, une référence encore aujourd’hui. A l’extérieur, des mosaïques parent les chemins d’accès à la villa, reprenant à leur tour la mythologie grecque.

Dans la salle à manger, la tapisserie représentant Judith et Holopherne commandée par Jean Cocteau.
Dans la salle à manger, la tapisserie représentant Judith et Holopherne commandée par Jean Cocteau. Villa Santo Sospir

Le destin de la villa Santo Sospir

Saint-Jean-Cap-Ferrat se mue en un repère de célébrités à mesure que Cocteau tatoue les murs de Santo Sospir. Rainier III, Charlie Chaplin, Liz Taylor et Richard Burton sont autant de noms qui y posent leurs valises. De nombreux fameux visiteurs, comme Alain Delon et Romy Schneider, s’y réfugient, fuyant les paparazzis, participant au dessein de la désormais célèbre villa.

D’une affaire de jalousie naîtra une rancœur insoluble entre Francine et Jean Cocteau. Ils coupent les ponts en 1961 et ne se parleront plus, jusqu’au décès de l’artiste en 1963. L’héritière le rejoint en 2003, laissant à son intendant de toujours, Eric Marteau, le bon soin de la villa Santo Sospir. Celui-ci s’en occupe toujours à ce jour, alors que la résidence subit d’importants travaux de rénovation, impulsés par ses nouveaux propriétaires.

Jean Cocteau à la villa Santo Sospir.
Jean Cocteau à la villa Santo Sospir. Villa Santo Sospir

La villa Santo Sospir rouvrira ses portes en octobre 2023. En attendant, Cocteau continue d’inspirer, tant les designers que les architectes d’intérieur.