La Villa Benkemoun, à Arles : 50 ans d’une utopie domestique

Devenue institution culturelle, la Villa Benkemoun, labellisée Patrimoine du XXe siècle, accueille du 31 août au 29 septembre l’exposition « 1974 - Passé, Présent, Futur » qui retrace les espoirs et les échecs de la fin des Trente Glorieuses.

En août 1974, Simone et Pierre Benkemoun, arrivés d’Algérie douze an auparavant, font construire à 4 kilomètres du centre-ville d’Arles une villa de 500 mètres carrés posée sur un domaine d’un hectare. Le couple a foi en un avenir de progrès, porté par l’ambition d’être ancrés dans leur époque et de concrétiser leur vision dans une architecture moderniste. Leur villa sera une utopie domestique très peu conventionnelle, dressée parmi les mas provençaux dont elle tient à se distinguer. Elle sera leur havre de paix pour les 45 années à venir.


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Une architecture moderniste sortie d’une usine à rêves

La construction de l’édifice est confiée à Émile Sala, architecte disciple de Le Corbusier. Pierre Benkemoun, qui sait très bien ce qu’il souhaite, pousse l’architecte à revoir ses dessins : selon sa volonté, aucun mur de sa maison ne sera droit. Une harmonie faite de courbes et de contrecourbes ondulatoires, qui accentue les jeux d’ombres et de lumières au fil du jour. Une étonnante impression de fluidité. La villa Benkemoun s’oriente plein sud pour se protéger du Mistral et s’articule dans un dialogue constant entre l’intérieur et l’extérieur, terrasses ou patios.

La Villa Benkemoun, à Arles. © Serge Benkemoun
La Villa Benkemoun, à Arles. © Serge Benkemoun

Elle semble comme sortie d’une usine à rêves des seventies. Mais quel avenir voulait donc embrasser cette maison futuriste ? Elle fut construite dans une « furieuse envie de tourner le dos à un passé douloureux pour se projeter dans un avenir qu’on n’imaginait que radieux », décrypte Brigitte Benkemoun, la fille de Pierre et Simone, aujourd’hui propriétaire de la villa. Dans cette architecture, labellisée patrimoine du XXe siècle par le ministère de la Culture en 2015, une certaine vision du progrès semble en effet infuser.

Héritière des Trente Glorieuses, la villa repose sur un optimisme à tout épreuve, représentant à elle seule l’apogée d’une période faste de croissance mais aussi la fin d’une ère d’insouciance. Elle questionne ainsi les réussites et les échecs du projet moderne, tant dans ses innovations que dans son exubérance pop. Pénétrer dans cette maison revient à faire des allers-retours entre le proche et le lointain. « Elle montre à voir la projection d’un avenir qui n’est jamais advenu, une sorte de trou noir absolument passionnant à explorer pour comprendre la trajectoire du XXe siècle », souffle Raphaël Giannesini, commissaire de l’exposition « 1974 – Passé, Présent, Futur » qui prendra place au sein de la maison du 31 août au 29 septembre.

La Villa Benkemoun, à Arles. © Diane Hymans_
La Villa Benkemoun, à Arles. © Diane Hymans_

1974, année schizophrénique

Quand elle récupère cette demeure, en 2017, Brigitte Benkemoun décide d’effectuer un travail de sourcing de mobilier d’époque ainsi qu’une restauration, confiée à son époux Thierry Demaizière. Par le biais de son association, La Villa Benkemoun, elle tient à faire passer son ancienne demeure familiale en une institution culturelle, pour y célébrer autant l’audace de ses parents que ce patrimoine architectural exceptionnel.

La Villa Benkemoun, à Arles. © Serge Benkemoun
La Villa Benkemoun, à Arles. © Serge Benkemoun

Le cinquantième anniversaire de la maison est célébré cette année par cette exposition d’envergure, qui trace des ponts entre les époques et éclaire notre actualité en convoquant des artistes comme Andy Wahrol et Joseph André Motte ainsi que des créateurs contemporains nés en 1974 à l’instar d’Isabelle Cornaro. L’ambition est ici de saisir la complicité réciproque des années 1974 et 2024 qu’un demi-siècle sépare. « 1974 est une année schizophrénique, continue Raphaël Giannesini. L’exposition est un retour aux origines des légendes héritées des Trente Glorieuses, mais aussi des premières désillusions nées du choc pétrolier et des bouleversements politiques. Nous allons décomposer la villa entre mythes et réalités ».

L’émergence du combat écologiste

Deux périodes qui s’inscrivent donc en miroir. « Nous avons utilisé 1974 comme un point de départ, retrouvé des pièces historiques, voulu créer une sorte de télescopage d’époques et d’artistes qui travaillent en la mémoire et au futur de cette année-là », complète le commissaire d’exposition. Sont évoqués autant les progrès d’un monde pacifié et connecté, à travers du mobilier en provenance de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle inauguré il y a cinquante ans, qu’une année 1974 emplie de doutes, rongée par la question de l’après choc pétrolier et du nucléaire. De même, le combat du droit à l’avortement porté par Simone Veil est aussi traité.

Hélène Fauquet, « Monochrome », 2020.
Hélène Fauquet, « Monochrome », 2020.

La campagne politique de 1974 constitue quant à elle un autres des fils rouges du parcours, récit d’une France à la croisée de son histoire avec le duel Valéry Giscard d’Estaing contre François Mitterrand, mais aussi la présence de René Dumont à l’élection présidentielle, toute première candidature écologiste, à une période où naît pour la première fois l’idée de décroissance. « Cette exposition est l’occasion de voir comment l’histoire se répète, comment elle bégaye », reprend Raphaël Giannesini. Un éternel recommencement, comme un cycle où s’accroche toujours l’espoir, la foi en un avenir que l’on ne pourra pourtant jamais prédire.

> Exposition « 1974 – Passé, Présent, Futur » , du 31 août au 29 septembre à La Villa Benkemoun, 915 chemin de la Batelle, Arles. Plus d’informations ici.


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