Tendance : Quand les designers dessinent des it-bags

Dans une récente interview, Philippe Starck s’étonnait de la folie entourant les sacs à main. Karl Lagerfeld, lui, y voyait une parure prouvant que le moral et les affaires de celui qui le portait étaient au beau fixe. Voici comment cinq designers, amis du beau autant que de l’utile, voient les choses…

Au début du XXe siècle, on l’appelait « réticule » et il servait à transporter le minimum. Aujourd’hui, le sac à main est devenu une parure aux multiples fonctions. Elle fait les choux gras des labels de mode. Car même cher, un sac culte se vend comme des petits pains. Si c’est dans les années 1990 que les griffes, notamment italiennes, ont été les premières à découvrir cette manne commerciale, elles n’en ont pas inventé le concept. L’actrice Grace Kelly avait – sans aucun contrat à la clé ! – incité de par son élégance, des compatriotes à acheter le même sac qu’elle. Conservatrice du musée Hermès, Ménéhould du Chatelle confirme : « Ce sont les clientes américaines de la fin des années 1950 qui, venant au magasin de la rue du Faubourg Saint-Honoré, demandaient ce qu’elles appelaient le “Kelly bag”. »

Au début des années 1990, les maisons italiennes multiplient les modèles de sacs à fermeture ornées de logo. Ce que faisait déjà en France une maison comme Chanel. De Dior à Vuitton en passant par Goyard, les modèles déclinent le sac classique et la publicité popularise au-delà du cercle des habitués, les toiles monogrammées. Leurs historiques motifs passent ainsi d’une présence discrète à l’omniprésence…

Le sac devenu rentable, on commence à parler de ceux qui les dessinent. On ne parle pas encore de sac de designer, même s’ils sont fatalement dessinés par quelqu’un… Le mythique Lady Dior est devenu culte quand la femme du maire de Paris l’a offert à la princesse de Galles en visite… qui en a ensuite acheté plusieurs. Depuis, des maisons comme Vuitton, Dior et Fendi (groupe LVMH) sortent régulièrement des sacs avec des artistes contemporains. Ceux dont il est question ici sont surtout ces sacs dessinés par les designers, par définition serviteurs de l’ergonomie et de l’esthétique. Pas des stars de la mode, plutôt des praticiens qui nous veulent du bien…


M Family de Susan Bijl et Bertjan Pot (Hay)

Les six modèles de la M Family.
Les six modèles de la M Family. DR

Par sa forme on ne peut plus casual, on peut dire que la facilité d’usage de ce M Family a largement été éprouvée. Ce sac est un projet de Susan Bijl, qui a voulu concevoir un simple shopping-bag en nylon mais avec des couleurs et des motifs qui le distinguent, dans une sorte d’esthétique de proximité. Des labels de mode comme Jil Sander ont pu choquer quand ils reproduisaient en version luxe, le sac d’emballage en papier brun longtemps typique des épiceries américaines. Fendi vient de faire défiler cette saison la version luxe de son sac d’emballage jaune avec son nom écrit dessus. C’est l’époque. Bertjan Pot n’est pas un designer qu’on associe spontanément à ces démarches. Ce fan de cerf-volant et de masques drolatiques et colorés préfère travailler sur la petite musique de l’objet le plus quotidien et l’amener vers quelque chose d’autre par le seul biais des associations de couleur, d’où les six modèles différents.

 


Le Pliage de Nendo (Longchamp)

Sac Cône.
Sac Cône. DR

Nendo, c’est le design sur un plateau, la poésie en prime… Le maroquinier français Longchamp a demandé au designer japonais Oki Sato du studio Nendo de réinterpréter son fameux sac de 1993, Le Pliage, conçu par Philippe Cassegrain et inspiré par l’art de l’origami. Il en existait deux versions, sac ou plié avant que Nendo n’en propose une troisième… en trois modèles. Le premier se transforme en rangement ou en cabas cubique. Le second prend carrément la forme d’un cône qui s’ouvre par le haut et qu’on peut suspendre dans une penderie. Le troisième est un sac inspiré du furoshiki, japonais, ce tissu dans lequel on emballe tout. Ces nouveaux modèles sont toujours en nylon et cuir, disponibles en plusieurs tailles. Un produit en édition limitée qui souligne le désir de modernité d’une maison fondée en 1948 et qui appartient toujours à la même famille, pas repliée sur son passé.

Sac Cercle.
Sac Cercle. DR
Sac Cube.
Sac Cube. DR

Ten Pocket Bag de Big Game (Rubberband)

Ten Pocket Bag.
Ten Pocket Bag. DR

Ceux qui les connaissent attendent plus du collectif romand Big Game un sac pratique qu’un signe extérieur de richesse… De fait, difficile d’imaginer un sac en tissu plus pratique, même si on peut penser que toutes ces poches poussent à trop fouiller à l’intérieur. Son éditeur est indien, un pays ou le produit malin relève presque du tour d’esprit, avec des très grandes villes dans lesquelles une journée de déplacement peut nécessiter ce genre d’accessoire. Partout dans le monde, on peut y ranger des fruits, une baguette de pain, le journal, ses papiers, son téléphone, des dossiers, un livre, un iPad… Le trio de designers s’est inspiré d’un sac d’accessoires techniques qu’on verrait plutôt sur un chantier. Ils ont juste pensé à attribuer une poche à chaque objet pour nous éviter de chercher 10 minutes ses clefs avec un chien en laisse et un téléphone sur l’oreille. Big Game n’a jamais de mal à trouver de nouvelles solutions fonctionnelles. Ils n’ont en tous cas plagié personne. On appelle ça innover…

Ten Pocket Bag.
Ten Pocket Bag. DR

Flute de Michael Anastassiades (Valextra)

Flute, en version mini.
Flute, en version mini. DR

On ne va pas se mentir, les clients de Valextra ne poussent pas la porte de leur magasin de Milan, régulièrement scénographié par des architectes ou des designers, de Patricia Urquiola à John Pawson, pour dénicher des cabas pratiques. Ou si c’est le cas, pour en trouver la version luxe… et elle existe ! Mais sans excès d’ornements siglés ou de sobriété janséniste. Valextra cultive les valeurs de la traditionnelle maroquinerie italienne mais ne veut surtout pas que leur savoir-faire n’empiète sur le potentiel créatif des designers et architectes. Quand le Chypriote Michael Anastassiades, réputé pour la beauté sereine de ses lampes, dessine des sacs, le savoir-faire de la maison s’oriente vers une certaine épure. Il a dans cet esprit réinterprété l’iconique modèle S des sixties. Résultat : un sac à main épuré avec des détails, double anse et zip bijou. Basta? Ce serait trop simple… La barre dorée de son fermoir, aussi pratique soit-elle, a autant d’impact qu’un logo signature. Mention spéciale au grand sac de voyage aux bords arrondis, parfaitement unisexe et plein d’une tension presque poétique, entre esthétique et fonctionnalité.

Sac de voyage Flute.
Sac de voyage Flute. DR

Sacs Greta d’Elena Salmistraro (Uptoyouanthology)

Sacs Greta
Sacs Greta DR

De l’art de faire un sac signature sans faire passer celles qui le portent pour des fashion victims… C’est la designer et artiste italienne Elena Salmistraro qui s’y colle. Qu’elle fasse du mobilier pour Emmemobili, des vases pour Bosa, des totems pour La Manufacture ou des tapis pour cc-Tapis, la couleur et la matière dialoguent ou s’opposent toujours avec des associations de couleurs insolites, rythmées par des motifs graphiques. Ces sacs Greta existent sous deux formes : la petite pochette qui évoque, ouverte, une version stylisée d’un amical visage de poupée Kokuchi, et le sac de taille plus courante. Ils ont été réalisés pour la plateforme de vente en ligne Uptoyouanthology fondée par Nicolo Gavazzi. On y retrouve la crème de la jeune garde du design international, Elena Samistraro en tête.

Sacs Greta
Sacs Greta DR