Tendance : quand les couleurs du Bauhaus inspirent nos intérieurs

Des pâtisseries pop aux restaurants bistronomiques, la palette du Bauhaus colore à nouveau nos vies. Rouge, bleu, jaune : trois teintes primaires qui redonnent du muscle à nos intérieurs.

Les designers et architectes d’intérieur se vautrent volontiers dans une palette chromatique plus franche et se font les garants d’un parti pris esthétique radical. Les couleurs primaires chères au Bauhaus, la fameuse école d’art et mouvement architectural né dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres, font ainsi une percée remarquée, rhabillant pour l’hiver à venir restaurant, pâtisserie et accessoires de décoration du quotidien. Doit-on lire en sous-texte que la sobriété et le minimalisme insufflés par la tendance “sad beige” est en train de s’essouffler ? Décryptage.


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Abra, la pâtisserie Bauhaus qui met la couleur à la carte

Lorsque le pâtissier Tal Spiegel imaginait ouvrir son premier lieu parisien, son moodboard mental convoquait à la fois « le Bauhaus, les œuvres de Mondrian et [s]es souvenirs d’enfance ». Sa pâtisserie Abra, inaugurée cet été, est donc un condensé visuel de tout ça. Epaulé par le designer d’intérieur Ron From et l’architecte Nicolas Frances de l’agence iCNOS, Tal a créé un petit cocon sucré dominé par les teintes bleu, rouge et jaune. Soit les trois couleurs primaires sur lesquelles repose la théorie chromatique élaborée par Johannes Itten au sein du Bauhaus, selon laquelle elles couvrent autant une dimension fonctionnelle que symbolique et psychologique.

Une inspiration artistique majeure pour le jeune pâtissier, ancien graphiste et designer de formation, qui connait bien ses classiques. Au point de reprendre également l’association couleur-forme géométrique développée par un autre disciple du Bauhaus, l’artiste Wassily Kadinsky, pour qui le bleu correspondait au cercle, le rouge au carré et le jaune au triangle : « En hébreu ancien, Abra signifie « je veux créer ». Et cette volonté, elle se fait autant ressentir dans le décor que dans mes créations pâtissières qui sont très graphiques, colorées et ludiques, à l’image de mes tablettes de chocolat triangulaires et mes trompe-l’œil représentant un presse-agrumes ou un chapiteau de cirque. »

Nostalgie vs. chromophobie

Une esthétique graphique et chromatique teintée de nostalgie qui entre en résonnance avec l’exposition « Petits Mondes » qui se tient jusqu’au 2 novembre à l’Hôtel des Arts de Toulon : un inventaire représentatif mais non exhaustif du mobilier et des jouets confectionnés depuis un siècle pour les enfants, dont ce formidable « Bauhaus Bauspiel » créé en 1922 par Alma Siedhoff-Busher qui rappelle combien les couleurs primaires étaient une norme pas encore inquiétée par la montée en puissance des « enfants beige ».

Dans un imaginaire collectif noyé sous des couches plus fades et ternes les unes que les autres, cette profusion de couleurs constitue un antidote à la morosité ambiante, allant même à l’encontre d’un fait avéré : la perte de couleurs dans notre quotidien. En 2020, une équipe de chercheurs britanniques s’est amusé à analyser la couleur de 7000 photos et objets du quotidien issus de la Science Museum Group Collection.

Leur conclusion ? Les nuances de noir, gris et blanc représentaient environ 15% des couleurs vers 1800, contre 40% aujourd’hui. L’artiste et auteur anglais David Batchelor, qui a justement participé en début d’année à une exposition collective intitulée « Colour » à Londres, parlait déjà il y a 20 ans de « chromophobie » généralisée dans son livre La peur de la couleur (paru aux éd. Autrement), en réaction à tout ce qui est perçu comme trop féminin, infantile, vulgaire, superficiel… Ambiance.

Maximalisme chromatique : le retour du pop dans nos intérieurs

Quelques signaux faibles perçus ces derniers temps tendent à renverser cette vapeur moribonde. On retient par exemple les photos de l’appartement parisien haut en couleurs du musicien Myd. A l’ouvrage, le studio Zyva d’Anthony Authié, connu pour challenger n’importe quel daltonien à coups de références piochées dans le style Memphis et le Pop Art, et qu’il qualifie lui-même de « cartoonesques ». Cet « architecte maximaliste » n’hésite d’ailleurs pas à exposer son propre lieu de vie sur les réseaux sociaux et dans les médias, légitimant ainsi cette obsession colorimétrique.

Parmi ses pièces phares ? Un ensemble de plots Pion d’Ohm Studio, utilisés en tabourets de table à manger, bleu, rouge, vert et jaune. Une profusion de couleurs à laquelle nous confrontent régulièrement les designers Axel Chay et Gustaf Westman, mais aussi le Belge Grammar Furniture, qui joue sur l’efficacité de la monochromie pour décliner un seul et même objet.

Sur les réseaux sociaux, il n’est donc pas rare de voir des tutoriels pour un relooking intérieur « d’inspiration Bauhaus » qui préconisent de disséminer par-ci par-là quelques pièces colorées comme un meuble de rangement Componibili de Kartell rouge, un pouf Folk bleu de Noo.ma, des cagettes de rangement multicolores chez Hay (soyons fou). Ou encore d’acheter la lampe Blasverk du Suédois Ikea en carmin, outremer et bouton d’or, et de les assembler en mélangeant les 3 éléments qui la composent.

Le Bauhaus, entre couleurs primaires et politique du bon goût

Un comptoir habillé d’un jaune flamboyant, des étagères Tomado d’Adriaan Dekker et un incroyable lustre graphique reprenant le code couleurs du Bauhaus : « Je l’ai chiné aux Puces de Saint-Ouen, 6 mois avant l‘ouverture, c’est lui qui a insufflé la direction à prendre en termes de déco et qui donne le ton », raconte Rémi Lazurowicz, chef parisien du restaurant bistronomique Lazu depuis 8 ans, qui a ouvert en juillet son Comptoir Lazu.

Epaulé par le studio d’architecte Deux et Demi pour le gros œuvre, il est donc allé chiner le mobilier et les éléments de déco en brocantes avec, bille en tête, l’envie de mix’n’matcher l’esthétique Bauhaus et celle du design des années 80, deux références que le quadragénaire chérit.

Lorsqu’on lui fait remarquer que ces couleurs ne sont pas du goût de tous et que les lieux optant pour cette esthétique chromatique sont trop rares pour être cartographiés – citons tout de même A bar with shapes for a name et Warehaus imaginés par Rémy Savage ou encore le Lola Café à Vilnuis, en Lituanie, ouvert en 2019 et imaginé par le cabinet d’architectes Aiai -, le chef rétorque qu’« elles apportent une structure et de la lisibilité à un lieu. »

Un choix d’autant plus clivant qu’il connaît de nouveaux rebonds politiques : en Allemagne, le parti d’extrême-droite AfD a récemment ressorti les vieux démons du nazisme en critiquant l’école avant-gardiste de Walter Gropius qui serait « une aberration historique ». Un acharnement qui a eu l’avantage de rappeler au bon souvenir de chacun la devise – on ne peut plus d’actualité – du Suisse Hannes Meyer, directeur de l’atelier d’architecture du Bauhaus dès 1928 « Volksbedarf statt Luxusbedarf », à savoir, « les besoins du peuple et non du luxe ».


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