Tendance playful : à la recherche d’un design qui rend heureux

« Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants, mais peu d’entre elles s’en souviennent », écrivait Antoine de Saint-Exupéry. Ces dernières années pourtant, le souvenir des tendres années refait surface dans l’univers du design. Couleurs vives, formes ludiques, simplicité du trait, identité affirmée de l’objet, la nouvelle génération de designers n’a pas froid aux yeux.

En observant les lampadaires jaune poussin d’Axel Chay, les tasses Chunky à gros pics signées Gustaf Westman ou encore les poufs animaux du décor du défilé printemps-été 2025 Bottega Veneta par Matthieu Blazy, force est de constater qu’un vent de nostalgie venue de l’enfance souffle sur la création. Des couleurs chatoyantes, des motifs enfantins, des formes d’une simplicité parfois déconcertante. Cette tendance playful, voisin bruyant du minimalisme suédois et du « wabi-sabi » japonais bouscule les codes des dernières années. Décryptage de ce design ludique qui fait du bien à nos intérieurs et au moral.


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De Memphis au design ludique

D’un côté, l’influence du mouvement Memphis, qui connaît un regain d’intérêt – l’importante exposition organisée par le Vitra Museum en 2021, « Memphis : 40 ans de kitsch et d’élégance », en atteste – ne peut être ignorée.

Karl Lagerfeld dans son appartement Memphis de Monte Carlo en 1982. © Jacques Schumacher / Vitra Design Museum, «Memphis : 40 ans de kitsch et d’élégance»
Karl Lagerfeld dans son appartement Memphis de Monte Carlo en 1982. © Jacques Schumacher / Vitra Design Museum, «Memphis : 40 ans de kitsch et d’élégance»

« Memphis est l’un des phénomènes les plus inhabituels apparus dans le monde du design au cours de ces dernières décennies, peut-on lire en introduction de l’événement. Il est apparu au cours de l’hiver 1980/81, lorsqu’un groupe de jeunes designers désireux de rompre avec les dogmes du fonctionnalisme et du design industriel s’est formé autour de l’architecte et designer italien Ettore Sottsass. Caractérisés par des couleurs criardes et des motifs sauvages, les dessins de Memphis semblaient tout droit sortis des pages d’une bande dessinée et ont donné naissance à un tout nouveau look dans lequel la culture populaire, l’esthétique publicitaire et le post-modernisme fusionnaient dans un pot-pourri de folie. » Une esthétique qui se fait de plus en plus présente aujourd’hui, comme le démontrait le Salone del Mobile de Milan en avril dernier où les couleurs pop se faisaient remarquer.

Cécile Coquelet, directrice de créations chez Monoprix, souligne quant à elle l’influence de notre époque actuelle, difficile, sur les designers : « Le design playful est un contrepied à la morosité actuelle et à cette période de crises à répétition des plus anxiogènes. Les créateurs, tout comme les acheteurs, sont à la recherche d’un design qui rend heureux, qui fait sourire, un écho à la période de l’enfance et son innocence. »

Les poufs animaux du défilé printemps-été 2025 de Bottega Veneta par Mathieu Blazy, qui avait lieu le 21 septembre dernier à Milan.
Les poufs animaux du défilé printemps-été 2025 de Bottega Veneta par Mathieu Blazy, qui avait lieu le 21 septembre dernier à Milan.

Les têtes de proue de la tendance playful

Si depuis la fin du Covid la tendance explose, les années précédentes marquent un premier balbutiement dans cette direction à travers des créateurs tendant à faire évoluer les codes de l’intérieur. Faye Toogood était l’une de celles à poser les premiers jalons de cette tendance en 2014 avec la création de sa Roly Poly Chair. Une chaise aux formes simples et directes, sans détails, et décliné dans des couleurs acidulées venant réveiller la décoration. Aujourd’hui, la jeune génération de designers est celle qui fait le plus clairement ressortir cette esthétique. Axel Chay, évidemment, mais aussi Gustaf Westman et Diego Faivre expérimentent chacun à leur façon les limites de la créativité dans le domaine de l’objet.

« Pendant la crise sanitaire nous sommes entrés dans une période très caverneuse, le Wabi Sabi devenant l’esthétique de choix dans une période de dé-consommation, rappelle Pauline Glaizal, directrice artistique de Made in Design. À une époque où la standardisation de nos intérieurs était devenue la norme, les jeunes designers ont cherché à se distinguer et n’ont pas eu peur de prendre des risques. La façon dont ils travaillent est elle aussi très différente, ce sont des designers-makers qui entrent en contact avec la matière, l’expérimentent, fabriquent leurs objets. Cela mène inévitablement à une démarche plus artistique et à la recherche d’une rupture avec le mass market. Cette tendance fait glisser le design vers des pièces plus sculpturales, du collectible design qui raconte quelque chose, et d’une certaine façon se rapproche encore un peu plus de l’art. »

Le designer Gustaf Westman chez lui, en Suède entouré de ses créations au design ludique et accompagné du rappeur Tyler, The Creator.
Le designer Gustaf Westman chez lui, en Suède entouré de ses créations au design ludique et accompagné du rappeur Tyler, The Creator.

La manifestation de cette vision nouvelle d’un design ludique se traduit de façons différentes selon les créateurs. Si pour Axel Chay elle passe par l’exploitation de la simplicité de la forme et de la couleur, chez Gustaf Westman la dimension ludique se traduit quant à elle par l’humour. Ses Spiky Cups, tasses à cafés hérissées de piquants en sont le parfait exemple, tout comme le miroir réalisé sur-mesure, en un seul exemplaire, pour l’artiste Tommy Cash, adoptant une forme phallique et un coloris pastel rose layette. Pour Diego Favre, ce retour à l’enfance passe par la matière. En effet, ses meubles aux lignes enfantines sont réalisés en pâte à modeler. Un double écho à la jeunesse, résolument playful. Quant à Alexandre Benjamin Navet, il multiplie les collaborations avec de grandes maisons et autres institution – il a notamment réimaginé la façade de l’Hôtel des Arts de Toulon -, apposant sur ses créations son trait de pastel énergique et coloré façon dessin d’enfant.

Sur les rails du succès

Le succès du design playful est indéniable. Gustaf Westman, 407 000 abonnés sur Instagram, vend ses objets dans le monde entier, de la chanteuse belge Angèle au rappeur Tyler, The Creator. La collaboration unissant Monoprix et Axel Chay en est un autre exemple : seulement quelques mois après la sortie de la collection initiale, la marque prépare déjà la réédition des objets en version chromée prévu pour la fin octobre. « Nous ne faisons jamais cela d’habitude, en général plusieurs années passent avant que nous ne lancions une nouvelle collaboration avec un même designer, confie Cécile Coquelet. Mais l’engouement a été tel que nous n’avons pas voulu faire attendre le public pour obtenir une nouvelle chance d’acquérir l’une des créations d’Axel. Le succès de cette esthétique playful est indéniable. Notre collaboration avec le Marseillais s’est écoulée en à peine 48h, et la réédition de cet automne promet de rencontrer le même succès. »

Les objets de Diego Faivre, recouverts de pâte à modeler, entrent parfaitement dans cette tendance playful.
Les objets de Diego Faivre, recouverts de pâte à modeler, entrent parfaitement dans cette tendance playful.

Ces pièces osées aux identités affirmées n’effraient pas, bien au contraire. Pour Pauline Glaizal de Made in Design les acheteurs n’ont aujourd’hui plus peur d’acheter au coup de cœur, de se diriger vers des choix moins rationnels d’une certaine façon, et d’opter pour des décisions basées sur l’émotionnel. « La tendance playful fonctionne pour une raison simple : nous cherchons de la joie là où nous pouvons en trouver, et le design offre cet échappatoire. Nous voulons des pièces qui racontent une histoire, des créations tout simplement « feel good », qui nous rendent heureux, nous font du bien. »

En une : la collection « Folies » au design ludique d’Axel Chay pour Monoprix (sortie le 7 février 2024), photographiée aux côtés de petites voitures et autres jouets.


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