Pour qui cherche de la fantaisie ou de l’originalité, en 2023 il y aura l’embarras du choix. En design comme en mode, la fantaisie ne se cantonne pas aux galeries huppées qui la prennent, de toutes les façons, trop au sérieux. Elle sera partout mais plus sérieuse qu’il n’y parait.
Les injonctions à la liberté en termes de styles de vie parsèment l’histoire de France. « Je ne mets point de bornes à mes plaisirs », disait Madame de Maintenon, dernière compagne de Louis XIV. Si ce n’est pas de la fantaisie… Plus tard, dans les années 80, une rubrique « conso » du magazine Vogue Hommes affichait pour devise : « Tout ce qui est plus n’est jamais trop » quand le magazine Lui parlait de « la défonce du consommateur ».
Dans une société post-confinement, les éditeurs de design et les sites web de décoration soulignent, sans donner trop de chiffres, que les consommateurs confinés ont été nombreux à commander leur nouveau canapé. En restant confiné chez soi, à télétravailler ou à n’évoluer que dans le périmètre de son intérieur, chacun a pu longuement estimer le confort dudit intérieur. De quoi donner à tous des envies de changement ! Ça tombe bien : au regard des nouveaux projets qui fleurissent chaque jour en design comme en architecture, il semblerait qu’il y ait désormais une place pour la fantaisie.
Une tendance ultra graphique
Alors évidemment, quand on dit fantaisie, on pense luxe. Mais ce n’est pas faire une folie que d’aller chez Monoprix voir, à partir du 26 novembre, la collection Pierre Marie x Monoprix. Le créateur s’est révélé très prolifique et Monoprix a suivi. En étendant aux objets du quotidien le registre de formes et de couleurs déjà à l’œuvre dans son appartement vibrant d’exercices de styles, Pierre Marie offre à la convoitise du consommateur aussi bien de la vaisselle que des plaids, une lampe, des pull-overs originaux ou une armoire à pharmacie comme jamais vu. Dans ledit appartement, on se rappelle à quel point un intérieur bien arrangé est tout sauf un fantasme.
Ce désir de fantaisie est évident dans la mode, souvent avec excès, mais la prise de risque est, en ce moment, davantage valorisé. Le pull bon marché n’est plus forcément passe partout. Il s’agit d’imaginer un sweater qui, épousant les formes du corps, va lui apporter quelque chose en termes d’image de soi ou de perception par les autres.
Tout le monde, a déjà déploré qu’un look, un lieu ou une personne ne soit pas très rock’n’roll. Comme s’il en fallait une touche par principe. Le designer anglais Luke Edward Hall y va franco avec son label de mode Château Orlando. Ses dessins à l’aquarelle sous influence Cocteau se déclinent désormais sur de la maille, femme ou homme. Dans un pays réputé fier de ses traditions, la fantaisie, voire l’excentricité, a toujours eu droit de cité même si la réprobation pouvait s’exprimer mais souvent en mode flegmatique. Au Royaume-Uni, c’est comme si personne ne vous disait jamais que le motif ultra graphique de votre sweater faisait tissu d’ameublement. Un homme en imperméable Burberry à motif panthère a toujours sa place dans un vernissage londonien.
En 2023, on devrait trouver facilement des créations du troisième type dans le mobilier comme en recherchant de nouveaux vêtements. Chez l’Italien Missoni, il est sûr que tout son univers visuel de zigzags existe aussi en version domestique, indoor et outdoor.
« Chez des créateurs de cette sorte, la fantaisie est à la fois un tourbillon et un oxygène.»
La Belgique, terre de fantaisie
La fantaisie, c’est aussi de l’humour voire un brin de dérision mais cela doit vibrer. Depuis 2019 et en sortie de confinement plus que jamais, la fantaisie s’exprime plein pot chez Extra-Ordinaire à Bruxelles, l’univers imaginé par le créateur de mode belge Jean-Paul Lespagnard. On ressort de son adresse ou de sa boutique en ligne avec des merveilles et des raretés qu’on ne pouvait même pas imaginer en rentrant. Chez des créateurs de cette sorte, la fantaisie est à la fois un tourbillon et un oxygène.
Après avoir brodé des masques pendant les confinements, Extra-Ordinaire clame à nouveau son nom haut et fort, qu’il s’agisse d’un pantalon cargo à motifs de camouflage revisité ultra pacifique, de shorts plissés atypiques comme des jupes pour homme ou de tout ce qui peut enchanter une maison. Et cela va loin dans les détails, comme avec ces bols réalisés au Mexique, constellés d’une myriade de motifs noirs et luisants. Sans oublier la verrerie, singulière, avec plein de détails, bulles ou rubans de couleur sur le bord. Et ces coussins, façon matelas, tapissés en Inde pour être tout sauf exotiques. La palme revenant à la brosse à tapis, crédible en objet déco surréaliste.
C’est une chose d’avoir un état d’esprit, c’en est une autre de produire un continuum d’objets et de créations qui en procèdent. Chez Extra-Ordinaire, il est tout à fait normal de ressortir avec une bouteille de Verjus, un élixir de raisin alcoolisé venu tout droit du passé.
La fantaisie, en Belgique, n’est pas uniquement démonstrative. On est au pays de Dries van Noten ou d’Ann Demeulemeester. Le designer Lionel Jadot a carrément explosé le genre, créant, seul ou avec d’autres, des univers aussi entiers que à part. La récupération y est vraiment de l’upcycling, n’obligeant pas au neutre et au discret comme garantie de vertu. Au dernier Salone Satellite de Milan, la relève belge ne manquait pas non plus de panache.
En Belgique, les jeunes designers y sont en tous cas un certain nombre à s’affranchir ouvertement de tout ce qui est codifié. Parmi les noms qui comptent et qui montent, un duo s’appelle d’ailleurs même Destroyers Builders. En 2022, les vases Tulumba du duo de Studio Biskt, (Charlotte Gigan et Martin Duchêne), d’ailleurs élus designers de l’année, zappaient toute référence aux typologies classiques. La liberté de leur attitude, c’est un peu l’oxygène du design.
Maîtriser le mélange des styles
Chez le label de design italien Ethimo, la lampe outdoor Gaia de Marc Sadler en est une brillante démonstration. Elle a le charme discret du profil d’une lampe à abat-jour classique mais ce qui est carrément extraordinaire, c’est sa simplicité d’usage. Ces deux luminaires sont reliés par une techno-corde. Une fois la lampe chargée, il suffit juste de lancer la corde dans les branches d’un arbre, à l’instar d’un pêcheur ou de Tarzan. La fantaisie, c’est la liberté, ici celle de l’usage.
Un autre luminaire, de l’éditeur de design italien Foscarini, culte dès sa sortie, illustre bien l’idée de la fantaisie et continue d’être pertinente en 2023. La série de lampes Caboche de Patricia Urquiola et Eliana Gerotto est à composer soi-même en accrochant, sur une petite structure, des sphères translucides comme des gouttes d’eaux. Inspirée d’un bracelet de perles vintage, cette lampe est l’éclat même, allumée ou éteinte. Reposant sur une expertise technique surfine, Caboche est aujourd’hui encore plus transparente qu’à ses débuts. Sa fantaisie repose sur un mécanisme aussi savant que de l’horlogerie.
« La fantaisie, c’est de tout mélanger : le mobilier de design vintage, les époques, les styles, les textures, les matériaux et les designers mais uniquement avec de bons ingrédients.»
Il est toujours gênant d’attribuer à un pays, un je-ne-sais-quoi de fantaisiste. Pourtant, c’est bien à Milan que prospère la planète de Nilufar Gallery. La fantaisie, c’est de tout mélanger : le mobilier de design vintage, les époques, les styles, les textures, les matériaux et les designers mais uniquement avec de bons ingrédients. A Paris, l’exposition de Nilufar Gallery et MODES à Paris, organisée en marge de Paris + Art Basel 2022, accentuait ce qui s’annonce comme une évidence. Ne pas mettre de bornes sinon à ses désirs, encore moins à son goût, bref s’intéresser à tout, plus ou moins.
Le partenariat entre la plateforme MODES et la galerie de design Nilufar semble répondre à la devise « qui se ressemble, s’assemble», sur fond de liberté créative à la milanaise. A l’adresse parisienne de la boutique italienne MODES, les pièces de design de collection, hybrides de design et d’art, ont été sélectionnées par la galeriste Nina Yashar. Elles s’exposent volontiers à côté de sneakers Comme des Garçons distribuées par MODES. La conversation entre les créations de design et d’art introduisent la mode comme une troisième donnée. Rien de minimaliste ici : des œuvres aussi étranges que celles de Jonathan Trayte, tels des volumes façon légumes lisses à la peau synthétique, sont même incorporées à des éléments de mobilier. Autre fantaisie patentée, le cabinet aux portes chamarrées de couleurs de la designer anglaise Bethan Laura Wood. Pour Nina Yashar, le mot n’est pas trop fort : extravagance créative.
Dans un registre plus retenu mais pas moins prolifique, là où le cuir et le daim sont comme une peau qui habille tout, le label italien Giobagnara incarne une autre sorte de fantaisie, plus discrète, avec la gamme Ossicle de Francesco Balzano et ses contours en volutes, tapissées ou marbrées.
Dès la fin de l’année 2022, même la bûche de Noël passe en mode fantaisie. La bûche Frissons du Bristol, signée de son chef Pascal Hainigue, est au-delà du sucre, une sculpture, un pan d’iceberg, avec son ours blanc majestueux comme une sculpture de François Pompon. De la plus haute fantaisie qui, comme le canapé en forme de banquise du label de design italien Edra , avec son ours polaire allongé en dossier, pourrait nous faire penser, sans désir premier de gâcher la fête, à la sérieuse et urgente question de la fonte des glaces. Quand la fantaisie reflète le monde dans lequel nous vivons.