Après s’être formé à l’ébénisterie à Göteborg, puis au design au Beckmans College of Design à Stockholm et enfin à Londres au Royal College of Art, époque Ron Arad, Frederik Paulsen a tracé sa propre voie avec une farouche indépendance, mais aussi un sens aigu de la communauté design. En 2013, il a ainsi imaginé à Stockholm Örnsbergsauktionen, la toute première vente aux enchères de prototypes et pièces uniques organisée par et pour les designers. Son refus du compromis n’a pas empêché sa Chair 01, la chaise brutaliste en pin qu’il a créée pour Vaarnii d’être le best seller de l’éditeur finlandais. En 2021, convaincu qu’une assise est non seulement une pièce fonctionnelle de mobilier mais aussi un artefact culturel, il lance sa propre marque, la bien-nommée Joy objects. Rencontre joyeuse donc, et passionnante, avec cet infatigable électron libre du design suédois dans son nouveau studio de design situé à Årstaberg, dans la proche périphérie de Stockholm.
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Ideat : Votre chaise brutalise en pin Chair 01 est le best-seller de la marque de design finlandaise Vaarnii et vos pièces uniques ou en séries limites sont régulièrement exposées par la galerie Etage Projets à Copenhague. Qu’est-ce qui vous a donc poussé à lancer votre propre marque indépendante, Joy objects ?
Fredrik Paulsen : Il était très important pour moi de créer une marque qui me corresponde à 100 %. Faire les choses à ma façon, sans compromis, depuis le choix des matériaux [recyclés, NDLR] jusqu’à la communication et la distribution en passant par le système de confection des produits et le positionnement prix, que je souhaite garder abordable — en tout cas le plus juste possible, c’est un point également très important à mes yeux.

Ideat : Joy objects est une marque jeune, mais déjà culte. Quand l’avez-vous lancée exactement ?
Fredrik Paulsen: J’ai commencé à travailler sur ce projet au milieu de la pandémie, juste au moment d’ailleurs où Vaarnii m’a contacté. En 2021, avec quelques amis qui investissaient un peu de leur temps avec moi sur le projet de Joy objects, nous avions décidé d’exposer dix chaises en aluminium brut, avec assise en acrylique transparent [tous les matériaux sont 100% recyclés].
Nous avions choisi les vitrines de la galerie Issues dans le centre de Stockholm tout près de la gare centrale afin qu’elles soient aisément visibles depuis la rue. Par pure coïncidence, le lancement a eu lieu le soir même où les restrictions liées à la pandémie ont été levées. C’était vraiment fou ; les gens avaient tellement envie de se retrouver, d’écouter de la musique et de partager un verre. Et les dix chaises ont été vendues dès le premier soir.
Ideat : Lorsque l’on pense aux sièges de Joy objects, ce sont leurs couleurs particulièrement affirmées qui viennent spontanément à l’esprit, à l’image des tabourets de bars que vous avez réalisés pour Hosoi – un des bars installés dans ce hub gastronomique que sont aujourd’hui devenus les anciens abattoirs au sud de Södermalm…
Fredrik Paulsen: La couleur a été la seconde étape. Nous travaillons dorénavant avec l’aluminium 100 % recyclé d’Hydro [entreprise norvégienne] et celui-ci est thermolaqué. L’acrylique du siège est également 100 % recyclé. Le design de la chaise est un système de construction en soi [tous les produits sont emballés à plat et doivent être assemblés par le client], mais la façon dont je choisis les couleurs est également un système. J’essaie le plus souvent d’en combiner deux pour créer une vibration, un léger déséquilibre qui apporte de l’énergie.
Elles ont toutes des associations différentes, mais ensemble, cela constitue une harmonie. La chaise entièrement orange que vous voyez ici est une commande spéciale du magasin de vinyles Arketyp de Södermalm, qui a ouvert en février et dont j’ai réalisé l’aménagement, avec notamment des meubles sur roulettes, l’espace devant être flexible selon les diverses performances qui s’y déroulent.

Ideat : Avez vous privilégié uns stratégie de distribution particulière pour une marque mobilier contemporain résolument si différente, si indépendante ?
Fredrik Paulsen : Nous avons notre propre boutique en ligne et c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles j’ai dû déménager dans un studio plus grand, afin d’avoir davantage d’espace de stockage. Au début, nous ne travaillions avec aucun revendeur, mais nous sommes dorénavant vendus à New York chez Lichen, une boutique très niche à qui nous proposons, non pas de stocker nos pièces mais de commercialiser quelques séries limitées. Nous avons aussi commencé à collaborer avec la galerie Licht à Tokyo, là encore pour des pièces en édition limitée.
En Suède, nous travaillons avec la boutique de mode Très Bien à Malmö. Mis à part notre e-shop, notre principal revendeur est Slam Jam à Milan. Il s’agit d’une boutique de streetwear pointue et être vendu chez eux, à côté des marques que nous apprécions, nous positionne exactement là où nous voulons être.
Ideat : En parlant de communauté créative, il semble y avoir à Stockholm une vraie dynamique d’entreprenariat cool, fusionnant business, mode, hospitalité et design contemporain. Qu’en pensez-vous ?
Fredrik Paulsen : Il existe sans aucun doute une communauté créative au sens large. Par exemple, les fondateurs du Café Nizza [un groupe de chefs et d’entrepreneurs que l’on retrouve également derrière d’autres établissements cool tels que Babette ou Stadtshotell] s‘adressent à une communauté car ils abordent la scène culinaire en refusant de se limiter à la seule nourriture – aussi excellente soit-elle. Ils accordent une grande attention à l’expérience globale: le design, le graphisme, la musique… C’est une approche à laquelle je peux vraiment m’identifier dans ma pratique du design.
Ideat : Qu’aimez-vous particulièrement à Stockholm ?
Fredrik Paulsen La ville est assez petite et cette échelle favorise la fluidité des déplacements et des contacts, mais aussi des projets. Par contre, ce qui me manque par rapport à d’autres capitales européennes, ou même par rapport à une ville suédoise comme Malmö, c’est la diversité.
Il y a en effet très peu de magasins ou de restaurants issus de cultures différente dans le centre-ville de Stockholm. Mais j’aime beaucoup la partie de Södermalm où je vis, non loin d’Hornstull, car elle offre un large spectre de courants architecturaux : fin XIX, début XX, fonctionnalisme milieu de siècle, brutalisme, postmodernisme… Mon studio, lui, se trouve en banlieue [à Årstaberg, au sud de Stockholm], et j’y apprécie ce coté moins lisse et plus vibrant de la périphérie.
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