Ronan Bouroullec dessine le style de Issey Miyake

Vingt-quatre ans après avoir conçu avec son frère Erwan la boutique Issey Miyake dans le Marais, qui les a fait connaître au niveau international, le designer Ronan Bouroullec voit ses dessins orner la collection « Homme Plissé Miyake automne-hiver 2024-2025 ». Une collaboration à la croisée des disciplines dont la première salve verra le jour en magasin dès cet été.

Le 18 janvier dernier, au palais de Tokyo, en préambule au défilé de la collection « Homme Plissé Issey Miyake », Vincent Gilet, monsieur Communication de la maison, informait les journalistes un par un de la direction qu’allait suivre le show – pris d’assaut.


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Dans le sillon du tissu

Pourtant, le nom du designer invité, Ronan Bouroullec, semblait inconnu à certains. Même si, dans le public, quelques vétérans se souvenaient fatalement de la boutique APOC – l’une des entités d’Issey Miyake – conçue en 2000 par Ronan et son frère, Erwan Bouroullec.

Le designer Ronan Bouroullec voit ses dessins orner la collection « Homme Plissé Miyake automne-hiver 2024-2025 », 2024 – IDEAT
Le designer Ronan Bouroullec voit ses dessins orner la collection « Homme Plissé Miyake automne-hiver 2024-2025 », 2024 – IDEAT © OLIVIER BACO

Quelques minutes avant que le premier mannequin ne surgisse, pantalon plissé battant en rythme à mi-mollet effilé, Ronan Bouroullec, entouré de Pascale Mussard, présidente de la Villa Noailles, et de Didier Krzentowski, fondateur de la Galerie Kreo, commentait sobrement les premiers vêtements de cette collaboration, en partie accrochés au mur, tels des tableaux aux cimaises d’une salle d’exposition.

Quelle surprise de voir les dessins au feutre-pinceau ou au stylo bille de Ronan Bouroullec (exposés de Paris à Toulon) orner un manteau couleur crème de Issey Miyake. Mais aussi un immense pardessus plissé, strié de lignes bleu indigo ou brun terre, dont les lignes se fondent autant dans les plis du tissu que dans sa couleur générale…

Parmi les surprises du défilé « Homme Plissé Issey Miyake automnehiver 2024-2025 », ces pardessus plissés avec sac assorti, dont les motifs tirés des travaux de Ronan Bouroullec épousent les plis du tissu. Une fusion sans dilution pour des vêtements mettant en valeur aussi bien la créativité du designer que celle du Miyake Design Studio. Tandis qu’accroché au mur, n’importe quelle pièce de la collection fait oeuvre.
Parmi les surprises du défilé « Homme Plissé Issey Miyake automnehiver 2024-2025 », ces pardessus plissés avec sac assorti, dont les motifs tirés des travaux de Ronan Bouroullec épousent les plis du tissu. Une fusion sans dilution pour des vêtements mettant en valeur aussi bien la créativité du designer que celle du Miyake Design Studio. Tandis qu’accroché au mur, n’importe quelle pièce de la collection fait oeuvre. © OLIVIER BACO

Fin 2022, quand l’équipe contacte Ronan Bouroullec pour réaliser des vêtements en rapport avec ses dessins, les deux parties pensent à quelque chose entre mode et art graphique, et c’est tout. Le designer nous confiait alors : « Comme mes dessins sont souvent des tracés de lignes qui se juxtaposent, il est vrai qu’avec ce principe de vêtement plissé, ce que je dessine produit des effets visuels assez proches de ce qui se passe dans les plissés de tissu, notamment sous l’effet des jeux d’ombre et de lumière. C’est intéressant qu’ils aient prêté attention à mon travail entre autres autour de ça. »

À voir les aplats de couleurs du dessin paraissant comme appliqués par une brosse s’incorporer au tissu plissé, on imagine le designer en concepteur de textile et les cerveaux d’Homme Plissé Issey Miyake en architectes du vêtement. Un mannequin défile, un sac en tissu plissé assorti à sa tenue.

Toujours inspiré des oeuvres de Ronan Bouroullec, le Miyake Design Studio a aussi créé des accessoires, des sacs, des écharpes ou des bonnets. Une originalité toujours facile à porter.
Toujours inspiré des oeuvres de Ronan Bouroullec, le Miyake Design Studio a aussi créé des accessoires, des sacs, des écharpes ou des bonnets. Une originalité toujours facile à porter. © OLIVIER BACO

Un autre lui succède, vêtu du manteau doté d’une grande poche de type patch dans laquelle celui-ci se plie. Le regard du spectateur semble s’arrêter au carrefour de l’architecture, de la mode, du design et de la fonction.

À la croisée des disciplines

Plisser, plier du textile, c’est très japonais. Mais faire des vêtements avec l’équipé du Miyake Design Studio au lancement du label Homme Plissé Issey Miyake, c’est participer à une expérience. Issey Miyake lui-même a déjà travaillé en relation avec l’univers d’autres créateurs, tel Ikko Tanaka, mais la griffe reste discrète sur les détails techniques qui entourent cette nouvelle collaboration.

Tout a été techniquement pensé pour que le vêtement ne soit pas une version « allégée » des dessins de Ronan Bouroullec.
Tout a été techniquement pensé pour que le vêtement ne soit pas une version « allégée » des dessins de Ronan Bouroullec. © OLIVIER BACO

L’équipe nipponne de Issey Miyake a choisi, suivant le type de vêtements, l’emplacement précis de l’impression des dessins de Ronan Bouroullec. Ils deviennent motifs de poncho ou de chemise, à partir par exemple de trois dessins différents réalisés au stylo bille et sérigraphiés sur du polyester.

Le vêtement découpé puis cousu est ensuite pressé entre des cylindres dentelés chauffés à 200 degrés. C’est ainsi qu’il est définitivement plissé, infroissable et résistant aux lavages. Esthétiquement, le rendu de la vivacité des couleurs est fidèle aux oeuvres originales car la sérigraphie procède de plusieurs plaques séparées pour chaque couleur. Les mouvements du corps en marche feront bouger ces traits entre plis et rayures.

L’impression de fluidité et d’ampleur ne doit pas tromper. Le vêtement, plissé, est de fait plus léger qu’un imperméable et assurément plus coloré.
L’impression de fluidité et d’ampleur ne doit pas tromper. Le vêtement, plissé, est de fait plus léger qu’un imperméable et assurément plus coloré. © OLIVIER BACO

L’équipe de l’Homme Plissé Issey Miyake s’est aussi inspirée du registre des couleurs de Ronan Bouroullec pour imaginer des bonnets, dont une partie se déroule pour se transformer en écharpe. Un pan de pardessus plissé se rabat sur la tête avec la même grâce qu’un voile de maharani indienne.

Pour caler les dessins dans le patron du vêtement, les épaules, les manches et les coutures ont été étendues afin que le vêtement puisse draper toute la silhouette. Car si amples soient-ils, ces grands manteaux légers, souples comme des peignoirs, épousent le corps une fois portés. Des pièces qu’il faut essayer pour dissiper tout préjugé d’extravagance.

Alors que ses dessins quotidiens commencent à être davantage exposés, Ronan Bouroullec en apprécie pour la première fois le parti graphique qu’Homme Plissé Miyake peut en tirer.
Alors que ses dessins quotidiens commencent à être davantage exposés, Ronan Bouroullec en apprécie pour la première fois le parti graphique qu’Homme Plissé Miyake peut en tirer. © OLIVIER BACO

Entre Ronan Bouroullec et Homme Plissé Issey Miyake, c’est donc un nouveau rendez-vous. Issey Miyake (1938-2022) était un passionné de design, mais aussi de recherche et de développement. Il a introduit dans l’univers de la mode des matériaux jamais utilisés auparavant (comme le papier, le plastique, le raphia ou le crin) et, dès la fin des années 80, a développé sa technique du plissé, qui connut un succès foudroyant avec la ligne « Pleats Please ».

Son travail de créateur tout comme ses magasins, signés Shiro Kuramata ou encore Tokujin Yoshioka, captivaient l’étudiant Ronan Bouroullec : « Issey Miyake était un constructeur. Pour moi, il est quasiment un architecte dans la manière dont il bâtit les vêtements. Ce qui est très beau chez lui, c’est cette passion du design et de la technique. » 

Chaque pièce issue de la collaboration entre Homme Plissé Miyake et Ronan Bouroullec, pour être singulière, n’en reste pas moins très facile à porter.
Chaque pièce issue de la collaboration entre Homme Plissé Miyake et Ronan Bouroullec, pour être singulière, n’en reste pas moins très facile à porter. © OLIVIER BACO

En 1977, dans un article paru dans le journal Mainichi Shimbun, le grand architecte Arata Isozaki (1931-2022) définissait ainsi l’ADN protéiforme du créateur japonais : « Ces dernières années, le travail de Issey Miyake n’a pas été circonscrit à la mode, mais a constitué un événement dans le domaine de la culture qui envoie un stimulus très fort dans les autres champs du design. »

En 2018, le grand architecte italien Michele De Lucchi écrit dans Domus, la bible du design, qu’Issey Miyake est un « progettista », un designer au sens italien du terme. À la fin du défilé Homme Plissé Issey Miyake au palais de Tokyo, c’est exactement le sentiment que l’on a : comme si Ronan Bouroullec avait collaboré avec un autre designer.

> À lire : Issey Miyake, Taschen, monographie 1960-2022, par Midori Kitamura, directrice du Miyake Design Studio, entrée dans la maison il y a quarante-cinq ans. (Anglais, japonais).


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