Que représente cette maison pour vous ? De quoi avez-vous hérité et comment s’est passée la transition ?
Caterina : Nous n’avons pas l’impression d’avoir hérité de quelque chose au sens littéral du terme mais plutôt d’un état d’esprit, d’une histoire, d’une vision afin de continuer l’aventure de nos parents qui ont connu les grandes années du design. C’est la raison pour laquelle nous ne parlons pas, en ce qui nous concerne, de « seconde génération ». Depuis le début, ils nous ont transmis leur passion, leur sens de la découverte, de l’échange, des rencontres. Dedar est le fruit de tout cela.
S’il n’y avait pas eu cette formidable aventure familiale, qu’auriez-vous choisi comme métier ?
Caterina : J’ai fait des études de politique internationale et je crois que j’aurais bien aimé être journaliste ou écrivain, ou exercer un métier lié à la recherche.
Raffaele : Je pense que j’aurais travaillé dans l’architecture.
Quelles sont vos fonctions respectives ?
Raffaele : Nous n’avons pas vraiment de fonctions bien définies car nous travaillons de manière extrêmement soudée, dans un climat de confiance : une société quelle qu’elle soit n’est pas une entité figée. La maison n’est d’ailleurs plus du tout aujourd’hui ce qu’elle était à l’origine. Si la plupart de nos usines sont situées près de Côme, nous faisons également tisser certaines de nos soies à Lyon et broder nos étoffes à la main en Inde. Notre binôme est important, ne serait-ce que pour alimenter la réflexion, les remises en question, l’ouverture d’esprit. Même au sein de l’entreprise, notre travail est collectif et instinctif, et cela non seulement au niveau de la création mais aussi de la gestion. Nos relations sont très saines, même si nous avons parfois des coups de foudre opposés.
Comment se démarque Dedar en matière de création et de développement international ?
Caterina : Par le regard que nous portons sur toute nouvelle création. Chaque collection est un parcours, elle est différente et unique. Elle n’a rien à voir avec la précédente, elle n’aura rien à voir avec la future. Chez nous, il n’y a pas de série, rien n’est figé.
Quel est le style Dedar ?
Caterina : Une palette de couleurs fortes, des motifs graphiques souvent abstraits, peu de fleurs ou de thèmes très figuratifs. En revanche, il y a des contrastes de matières, des effets de tissages, à l’exemple du modèle Mademoiselle, une soierie 200 fils/cm2. Notre philosophie est de séduire, de créer une émotion, de jouer sur la liberté créatrice, de mettre l’accent sur la qualité, le savoir-faire et le confort.
Comment avez-vous imposé ce style ?
Raffaele : Par une stratégie multifacettes et des images publicitaires fortes, en travaillant sur l’immédiateté, l’instant volé, et en posant sur nos collections un regard proche de la photo d’art contemporain, de l’avant-garde ou de la mode. Car un tissu est souvent très difficile à photographier. Pour l’instant, nous avons abandonné les visuels de détails exécutés en studio, préférant réaliser des clichés dans des lieux inattendus : la villa Necchi, la bibliothèque du Palazzo Sormani à Milan, des palais XVIIIe afin de créer des effets de surprise, des coups de foudre. Cela dit, le produit lui-même reste son meilleur outil de communication.
Caterina : Il y a également ces formidables rencontres avec des designers, des architectes et des artistes qui font des choses très différentes de nous et qui réalisent avec nos ateliers une création particulière qui ne sera jamais déclinée. Nous avons travaillé avec Bruno Frisoni, directeur artistique des souliers Roger Vivier, qui a conçu un footstool (tabouret bas). Stephen Burks a utilisé notre passementerie pour créer des tabourets, Michele Bönan dessine les décors de nos showrooms et Tristan Auer a donné naissance à une sorte de petit cabinet. L’idée est de montrer une performance technique, de réaliser une pièce unique, une espèce d’œuvre de compagnonnage dévoilant le fruit de deux sensibilités différentes.
Quelle part de budget consacrez-vous au développement, à la recherche de matières innovantes, de tissus outdoor, etc. ?
Raffaele : 3 % de notre budget est dédié au développement et à la recherche. Le contract représente 20 % de notre production, et 10 % sont consacrés à l’outdoor, que nous avons lancé en 2007.
Quels sont les hôtels, lieux publics ou privés auxquels vous avez participé ?
Caterina : Tout a commencé avec l’hôtel Costes, en 1995 à Paris, puis il y a eu les hôtels J.K. Place à Florence, Capri et Rome, le restaurant de Joël Robuchon au casino de Las Vegas, les hôtels Seven Stars Galleria à Milan et Le Burgundy à Paris (2010), le restaurant Monsieur Bleu au palais de Tokyo à Paris (2013) et l’hôtel Mandarin Oriental à Milan (2015). En ce moment, nous travaillons pour le Four Seasons de Londres et sur de nombreux projets privés. Il y a également des commandes particulières, comme ce rideau que nous avons exécuté pour le musée Bugatti, vingt mètres sur six tissés d’un motif abstrait inspiré du pixel.
Avec quelles agences d’architecture intérieure travaillez-vous ?
Raffaele : Principalement avec des agences d’architecture françaises. Pierre-Yves Rochon pour le Four Seasons de Londres, Gilles & Boissier pour le restaurant Tong Yen, Joseph Dirand pour Monsieur Bleu, Jean-Michel Wilmotte pour le restaurant Les bouquinistes de Guy Savoy, Jacques Garcia pour La Réserve. Nous travaillons très bien avec la France car il y a chez vous une vraie passion pour le tissu. Mais nous avons aussi collaboré avec Antonio Citterio pour le Mandarin Oriental de Milan et avec Dimore Studio pour l’hôtel Saint-Marc…
Caterina : Il y a effectivement une véritable tradition de showrooms en France, souvent situés dans des quartiers riches en galeries d’art. C’est la raison pour laquelle nous avons ouvert notre premier espace parisien à Saint-Germain-des-Prés, dans l’ancienne galerie de Fabien Boulakia. C’est dans ce même esprit que nous avons ensuite ouvert à Milan notre second showroom. Des lieux dans des quartiers historiques, au carrefour de la mode, de l’art et de la décoration.
Profil express
Diversifiant création et fabrication dans des usines spécialisées, Dedar fabrique 80 % de sa production près de Côme, région réputée pour sa soie. Ici, tout relève d’un savoir-faire qui se rapproche d’un métier d’art où les innovations techniques flirtent avec les tissages artisanaux, les fibres naturelles avec les fils technologiques. Un an de travail est nécessaire pour réaliser une collection, plusieurs années d’expérimentation pour obtenir un procédé de développement. Créée par Elda et Nicola Fabrizio, deux passionnés du design et de création textile, la maison familiale a été reprise en 1997 par les enfants du couple fondateur. Caterina et Raffaele y ont insufflé leur dynamisme et leur vision. S’ils volent aujourd’hui de leurs propres ailes, ils n’ont pas pour autant coupé le dialogue avec leurs parents.
En 1995, Dedar lance sa première collection de tissus ignifugés pour l’hôtellerie et crée la division Contract, un service de conception qui répond à toutes les questions relatives à l’architecture d’intérieur. Le premier grand chantier voit le jour en 1995 avec l’hôtel Costes, à Paris, suivi de boutiques de palaces, bateaux de croisière et yachts privés. Réalisée en Trevira CS et Polyester FR, la collection compte aujourd’hui 80 créations non feu déclinées dans une palette chromatique de 700 tonalités qui s’appliquent également à une ligne de papiers peints. En 2001, la maison lance son tissu emblématique Brio, inspiré de la haute couture des années 50. Suivent en 2007 les premiers papiers peints, puis, trois ans plus tard, une collection de papiers peints en vinyle sur TNT (non tissé) ainsi que l’impression numérique sur tissu. En 2012, l’enseigne habille de velours les banquettes de la barge royale pour fêter les soixante ans de règne de la reine d’Angleterre. En 2013, la marque remporte le prix EDIDA (Elle Deco International Design Awards) pour la collection « Wow ». Elle en lance une nouvelle, outdoor cette fois, en 2014.
Points de vente : 4 400 dans 80 pays, dont des showrooms à Paris, Milan, Moscou, Londres et Munich et des filiales en France, à Dubaï et aux États-Unis.
Collections : 350 articles déclinés dans 3 000 couleurs. 500 000 mètres de tissus en stocks assurent 98 % des commandes.
Tél. : 01 56 81 10 95.