Architecture : à quoi ressembleront les cimetières de demain ?

A quelques jours de la Toussaint, le devenir des demeures des morts si chères aux vivants reste au coeur des préoccupations des architectes français.

Le mythique cimetière du Père-Lachaise à Paris, le cimetière monumental de Milan, en Italie, véritable témoignage architectural de la ville, la tombe Brion imaginée par l’architecte Carlo Scarpa et située à San Vito d’Altivole, dans la province de Trévise en Italie, ou encore le joyeux cimetière de Sapanta en Roumanie… Les cimetières sont des pièces maîtresses des villes. Pourtant, le sujet semble être moins médiatique que les nouvelles tours de Dubaï ou les centres culturels, alors que les défis des cimetières de demain sont pourtant nombreux. Quel avenir réserve-t-on aux demeures des morts, dans un monde où la population ne cesse d’augmenter, où les usages changent et où la place, parfois, vient à manquer ? Entre cimetières-parcs et gratte-ciels funéraires, les architectes français réfléchissent au devenir de ces lieux réservés à nos défunts, si symboliques et importants pour les vivants.

Les escaliers menant au toit terrasse de la conciergerie du cimetière métropolitain de Montpellier. © MC-Lucat
Les escaliers menant au toit terrasse de la conciergerie du cimetière métropolitain de Montpellier. © MC-Lucat

De vrais lieux de vie

A Montpellier, la première phase de création du cimetière métropolitain, extension du cimetière communal déjà existant, a été terminée au début de l’année 2023. Soit un complexe funéraire conçu comme un parc paysager méditérranéen d’une surface de 13,5 hectares que l’Agence Traverses s’est plu à modeler, à l’opposée du “cimetière parking”, avec ses alignements géométriques très ordonnés, peut-être très rentables mais dénués d’âme.

Le cimetière métropolitain de Montpellier a été imaginé comme un parc verdoyant, un lieu de promenade et de recueillement. © MC-Lucat
Le cimetière métropolitain de Montpellier a été imaginé comme un parc verdoyant, un lieu de promenade et de recueillement. © MC-Lucat

Pourquoi la mort devrait-elle être synonyme d’atmosphère sombre, noire, d’un panorama fait de conifères monospécifiques dont le vert, triste, demeure inchangé toute l’année ?, s’interroge Jean Planès, architecte associé de l’Agence Traverses. Évidemment, on ne joue ni au ballon ni au ping pong dans un cimetière, mais pourquoi ne pourrait-on pas en faire un lieu agréable, rassurant, où l’on se promène, qui ferait du bien aux vivants et dans lequel on ne se sentirait pas angoissé par le poids pesant de la mort ? Nous voulions démontrer que ce lieu si symbolique pouvait être aussi agréable que n’importe quel autre parc public.


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Le cimetière métropolitain de Montpellier est avant tout un cimetière paysager, jouxtant un bois classé. © MC-Lucat
Le cimetière métropolitain de Montpellier est avant tout un cimetière paysager, jouxtant un bois classé. © MC-Lucat

Concevoir un cimetière, en particulier multiconfessionnel comme celui-ci, est un travail à part, continue Jean Planès. Tout d’abord parce que le rapport à la mort est un sujet extrêmement politique et d’autant plus complexe qu’il reste tabou – peu osent s’y aventurer. Par exemple, laisser l’herbe pousser en vrac n’est pas toujours apprécié – certains pensent qu’il s’agit d’un manque de respect envers les défunts. Alors qu’en réalité, nous préconisons une installation de la biodiversité, une manière de faire entrer le vivant dans le domaine des morts, rendant ainsi ce dernier plus doux.

“Le site a façonné un objet architectural qu’est le cimetière”

L’Agence Traverses, spécialisée en architecture, paysage et urbanisme, a été animée par la perspective de créer un nouveau panorama sur un terrain à l’origine relativement nu. L’espace est vaste, les caveaux et lieux d’inhumation réunis en ilots et en carrés séparés par des allées végétalisées cassent le rythme habituel des alignements de rangées et favorisent l’intimité. Asseyant son statut de cimetière paysager, 27 500 végétaux dont 923 essences méditerranéennes ont été plantés afin de palier à la monotonie et à l’uniformité d’usage. « Nous avons également beaucoup réfléchi à la symbolique, comment mettre en scène ces images du ciel, de la terre lorsque l’on ne peut pas utiliser de signes religieux. Proposer une manière d’accompagner les morts tout en apaisant les gens, en faisant en sorte qu’ils se sentent bien dans un lieu où d’ordinaire, ce n’est pas le cas.

Une vue du cimetière métropolitain de Montpellier, imaginé par l’Agence Traverses. © Claude Cruells
Une vue du cimetière métropolitain de Montpellier, imaginé par l’Agence Traverses. © Claude Cruells

Jouxtant le bois classé, l’imposante conciergerie frappe par son aspect monolithique dont la morphologie massive met en lumière le poids de la mort. “Il y a un rapport très kinesthésique au lieu lié à la matérialité des bâtiments, à leur épaisseur et au rapport à la topographie, continue Jean Planès. L’accès à la toiture est une façon d’accrocher le ciel. La montée des marches fait varier la ligne d’horizon qui s’ouvre petit à petit sur le cimetière vers lequel nous nous dirigeons.” La magnifique vue depuis le toit terrasse sur le bois classé limitrophe, les coteaux et le Pic Saint Loup est une raison supplémentaire de visiter le cimetière.

Un cimetière la tête dans les étoiles

Le parc cimetière est une idée très intéressante lorsque l’on dispose d’un foncier suffisant, assure Romaric Fillette, gérant de From Architectes. Néanmoins, dans des métropoles très denses où vivent plusieurs milliers d’habitants, cette solution est rarement possible.” Surtout à Paris intra muros, où le manque de concessions libres dans les cimetières poussent la mairie à enterrer ses morts de plus en plus loin du centre-ville. “Il y a quelques années encore, on avait éventuellement des listes d’attente mais maintenant, ce n’est plus possible”, confiait Michel Kawnik, président de l’Association française d’information funéraire.

La « Tour sans fin », le projet de cimetière gratte-ciel imaginé par l’agence From Architectes.
La « Tour sans fin », le projet de cimetière gratte-ciel imaginé par l’agence From Architectes.

Selon ce dernier, en 2017, seulement 171 places avaient été libérées au sein des 14 cimetières de Paris intra muros, un chiffre très loin de pouvoir satisfaire les 5.000 demandes annuelles. Une saturation qui ne date pas d’hier puisqu’elle accompagne la croissance démographique effrénée, entamée depuis 1850.  Sans parler des prix exorbitants pratiqués à Paris où une concession perpétuelle de 2 mètres carrés coûte 16 000 euros (contre un peu moins de 4000 euros au cimetière de Thiais, dans le Val-de-Marne). “Les cimetières intra muros parisien sont réservés aux nantis”, déplore-t-il.

Le constat, déjà réalisé par Romaric Fillette au début des années 2010, l’a poussé à réfléchir sur un cimetière d’un nouveau genre. Le cabinet From Architectes soumet en 2011 au concours Skyscrapers, organisé par eVolo magazine, « La tour sans fin« , une étude de cimetière gratte-ciel en plein cœur de la Ville Lumière, à deux pas de la Tour Eiffel, qui n’a jamais vu le jour. Le projet se veut encore plus fou que le Memorial Necrópole Ecumênica, situé à Santos (Brésil), dont les 14 étages en font le plus haut cimetière du monde et où Pelé a récemment été enterré. “Selon nous, il est important de garder nos défunts à proximité, au sein des villes, d’en conserver une mémoire même si les usages changent et que l’on se rend de moins en moins au cimetière. L’idée était donc d’imaginer un lieu de recueillement perpétuel pour l’ensemble de la population parisienne, un mémorial vertical visible d’un peu partout dans la capitale.

La « Tour sans fin », projet de cimetière vertical imaginé par From Architectes, a été pensé comme un cylindre dont une rampe permettrait une promenade sans fin.
La « Tour sans fin », projet de cimetière vertical imaginé par From Architectes, a été pensé comme un cylindre dont une rampe permettrait une promenade sans fin.

Un immense cylindre qui puisse grandir verticalement, doté d’une rampe en spirale à l’instar du Guggenheim Museum de New York, le long de laquelle se succèdent les urnes et les plaques commémoratives, des concessions au sous-sol et, au sommet, d’un belvédère offrant une vue imprenable sur la capitale. Sans fenêtre ni élément décoratif, la « Tour sans fin » se veut sobre, solennelle, comme une toile blanche qui laisse aux proches la possibilité de s’exprimer. Et, à l’extérieur, sur la façade, chaque urne, chaque plaque dispose d’un témoin lumineux pouvant s’allumer à une date choisie. “Evidemment, « La tour sans fin » est un projet ostentatoire, nous sommes allés toujours plus haut et toujours plus loin afin de marquer les esprits et de faire comprendre que la solution se situe à l’entre-deux.


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