Du cinéma à l’architecture d’intérieur : histoire de 4 reconversions

Il existe de nombreuses passerelles entre le décor sur grand écran et la décoration d'intérieur.

Quand d’anciens professionnels du cinéma se reconvertissent dans l’architecture intérieure et le design, cela donne des pièces obligatoirement infusées de références artistiques et culturelles, un réflexe narratif, qui parlent à notre sensibilité esthétique, voire à notre inconscient. C’est habité, riche et expressif. La preuve par quatre.


À lire aussi : Blitz Society : Sandra Benhamou signe le décor d’un club d’échecs à Paris


1. Sandra Benhamou

« Ginger », une collection inspirée des seventies et d’un personnage féminin mythique pour les inconditionnels des films de Martin Scorsese, par une habituée des plateaux de tournage, passionnée de cinéma.
« Ginger », une collection inspirée des seventies et d’un personnage féminin mythique pour les inconditionnels des films de Martin Scorsese, par une habituée des plateaux de tournage, passionnée de cinéma. Vincent Leroux

Passionnée par le 7e art, Sandra Benhamou a vécu son rêve américain lorsqu’elle a rejoint, à New York, la distribution et le marketing des films Miramax. À l’époque, elle a beaucoup arpenté les plateaux de tournage, après avoir étudié les sciences économiques et commerciales à l’ESSEC puis travaillé chez Gaumont… Quand elle est rentrée à Paris, elle s’est tournée vers la décoration à travers l’aménagement d’appartements, d’hôtels et de restaurants.

Si elle a souvent dessiné des chaises et des tables sur mesure pour ces projets, elle a franchi un cap dans sa carrière en proposant, il y a deux ans, sa collection de mobilier « Ginger », qui mêle le design et le cinéma, ses deux amours. Une ligne qui fait référence au personnage flamboyant de Sharon Stone dans le film Casino (1995), de Martin Scorsese, et auquel Sandra Benhamou rend hommage à travers, notamment, un fauteuil en velours à la structure en Inox poli miroir.

« Sandra injecte dans son travail toute l’action, le drame, la sophistication et la sensualité que l’on peut trouver dans les fictions filmées. Lorsqu’elle entreprend un nouveau projet, elle garde à l’esprit l’idée obsédante de tout cinéaste : l’éclairage. Elle réussit à recréer l’“heure magique”, qui désigne le moment où la lumière naturelle est la plus belle », expliquent ainsi les fondatrices d’Invisible Collection, le site Internet spécialisé dans le design haut de gamme qui distribue le mobilier de l’architecte d’intérieur.

Mais cette dernière est aussi une collectionneuse d’art contemporain et une passionnée d’architecture et de jazz, et c’est finalement la fusion de tous ces univers qui marque le travail de cette talentueuse Parisienne.


À lire aussi : Frédéric Bourdiec, l’ébéniste devenu architecte et céramiste


2. Roman and Williams – Guild

Collection Ovo lancé par Ovo, le studio de Roman and Williams
Collection Ovo lancé par Ovo, le studio de Roman and Williams roman-and-williams

En 2000, sur le tournage de son film Zoolander, Ben Stiller rencontre Robin Standefer et Stephen Alesch, responsables des décors. Leur travail tape dans l’œil de l’acteur et réalisateur au point qu’il leur commande, deux ans plus tard, la rénovation et l’agrandissement de la petite maison des années 20, de style espagnol, qu’il vient de s’offrir à Hollywood.

Alors que Robin et Stephen avaient l’impression d’avoir fait le tour en matière de cinéma et qu’ils voulaient s’attacher à créer des œuvres durables, cette demande représente un moment clé dans leur carrière. Car le rythme de vie insoutenable de Hollywood et les encouragements du milieu les décident à se tourner définitivement vers l’architecture intérieure.

Ils déménagent à New York, où ils fondent un studio, Roman and Williams, rapidement reconnu grâce à des aménagements spectaculaires, comme celui du Boom Boom Room, le bar de l’hôtel The Standard, dont le comptoir est surplombé d’un immense arbre en métal.

Leur signature ? Depuis vingt ans, ils imaginent des lieux très incarnés, inspirés par la beauté de l’imperfection et habités de références vintage ou de bouquets de fleurs multicolores… En plus d’intérieurs privés de personnalités, les projets les plus célèbres du couple sont liés à l’hôtellerie, pour les marques Ace Hotel et Freehand, par exemple.

En 2017, il a créé son propre label de meubles, luminaires et accessoires, Guild, et il a ouvert la Guild Gallery, un espace d’exposition à New York dans lequel il a conçu un restaurant, La Mercerie. Il est possible d’y croiser le duo quand il n’est pas occupé à soigner sa résidence secondaire de Montauk.


À lire aussi : Rencontre avec Reiulf Ramstad, l’architecte star des Scandinaves


3. Terry Crews

Le canapé Ibis (Bernhardt Design), dessiné par le designer Terry Crews, ex-joueur professionnel de football américain, ex-présentateur de télévision et acteur de blockbusters
Le canapé Ibis (Bernhardt Design), dessiné par le designer Terry Crews, ex-joueur professionnel de football américain, ex-présentateur de télévision et acteur de blockbusters © Richard Wright

On connaît Terry Crews pour sa prestation dans la série Brooklyn Nine-Nine, pour son personnage de Hale Caesar dans la saga de films Expendables et pour son rôle de présentateur de l’émission « America’s Got Talent »…

Ce que l’on sait moins, c’est que cet habitué des blockbusters et ancien joueur de football américain professionnel s’est lancé dans une carrière de designer… Il a démarré comme mécène et directeur artistique de sa maison d’édition Amen & Amen, au service de jeunes talents comme Ini Archibong (qui est devenu une figure sollicitée par des marques comme Sé ou Hermès).

En 2016 à Milan, les deux hommes avaient ainsi présenté leur collection « In the Secret Garden ». Mais sa carrière a véritablement décollé lorsqu’il a dessiné ses premières collections de mobilier pour l’éditeur américain Bernhardt Design. Une collaboration au long cours pour cet autodidacte qui a imaginé des pièces élégantes, intemporelles, aux formes girondes (la chauffeuse Lily, le canapé Becca ou le fauteuil Belmont…).

Par exemple, la ligne « Elevation », qui l’a fait connaître du grand public, est un système modulaire de bancs, de poufs et de tables qui associe bois, métal et tissu d’ameublement. Une série sculpturale portée par des volumes géométriques et un piétement composé d’un assemblage de feuilles métalliques sous un coussinage de cuir matelassé.


À lire aussi : Éloïse Bosredon, architecte à suivre en 2023


4. Atelier de Troupe

Le luminaire ADE de Gabriel Abraham (alias Atelier de Troupe), ex-chef décorateur installé à Los Angeles et inspiré par le cinéma et l’histoire de l’art du XXe siècle
Le luminaire ADE de Gabriel Abraham (alias Atelier de Troupe), ex-chef décorateur installé à Los Angeles et inspiré par le cinéma et l’histoire de l’art du XXe siècle Atelier de Troupe

Les frontières entre l’univers du 7e art et celui de la décoration sont poreuses en Californie, où les deux industries se nourrissent l’une l’autre. Installé à Los Angeles, le Français Gabriel Abraham y avait amorcé une carrière de chef décorateur, mais, en 2011, la passion du design est plus forte et le pousse à dessiner et à éditer du mobilier.

Il fonde alors Atelier de Troupe et modèle des pièces sculpturales, inspirées de l’histoire du design et du cinéma du XXe siècle, tout en développant son propre vocabulaire.Le meilleur exemple, c’est la chaise best-seller Coda, issue de la collection « LA Noir », inspirée du Bauhaus et du cinéma noir des années 70.

Notamment du film The Long Goodbye (Le Privé, en français), de Robert Altman, tiré d’une nouvelle de l’Américain Raymond Chandler. Pour sa ligne « Dada », il est revenu aux sources du design et de l’art du XXe siècle en puisant dans le livre Qu’est-ce que dada ?, de Theo Van Doesburg, publié en 1923 ; du coup, il y mêle influences modernistes et Art déco.

Si son studio est installé à Los Angeles, Gabriel Abraham aime aussi s’offrir des excursions hors les murs et vient ainsi d’investir La Casa Gilardi, à Mexico, dernière œuvre du starchitecte Luis Barragán. Un dialogue fructueux entre les deux créateurs, avec des meubles et des objets fabriqués à la main par des artisans californiens.


À lire aussi : Bas Smets : entretien avec un architecte visionnaire