Daisuke Yamamoto : « Cela m’attristait de jeter mes objets »

Dans son atelier de Shibuya, Daisuke Yamamoto transforme des rebuts d’acier en pièces de design audacieuses. Révélé au Fuorisalone de Milan en 2023, l’architecte explore le potentiel créatif du réemploi. Rencontre.

Dans son studio de Shibuya, à Tokyo, Daisuke Yamamoto évolue au milieu des chutes de profilés d’acier léger récupérés sur des sites de construction – l’une des signatures de son travail. L’architecte et designer (ayant notamment collaboré avec Masamichi Katayama, le fondateur de l’agence japonaise Wonderwall) entend mettre en lumière le potentiel créatif du  ré-emploi des matériaux. Après une irruption remarquée sur la scène design internationale en 2023 lors du Fuorisalone de Milan avec sa série de sièges Flow, dont un hommage personnel et contemporain au projet-manifeste Autoprogettazione d’Enzo Mari de 1974, le japonais explore aujourd’hui d’autres façons d’aborder ce même matériau. En attendant de découvrir ses dernières créations en mars, à Paris, sur le salon Matter & Shape Daisuke Yamamoto s’est confié sur sa vision de l’objet et ses projets.


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Rencontre avec le designer Daisuke Yamamoto

IDEAT : Pourquoi avez-vous choisi d’être architecte?

Daisuke Yamamoto : Lorsque j’étais enfant, j’aimais beaucoup dessiner. Je me souviens également  que, lorsque les objets qui m’entouraient devaient être jetées, cela m’attristait. Donc par exemple, si le climatiseur tombait en panne, je m’empressais d’en faire un croquis, de manière à le « conserver ». Par ailleurs, mon école élémentaire était très proche de Yumenoshima [une île artificielle située dans la baie de la capitale nippone qui a, depuis le milieu des années 1970, été transformée en parc, Ndlr]. Le sol de cette « île des rêves » [comme on l’appelle généralement] a été construit à partir de déchets provenant de Tokyo et j’ai donc, dès mon plus jeune âge, eu conscience du potentiel que représentaient les détritus.

Daisuke Yamamoto @ Akiko Baba
Daisuke Yamamoto @ Akiko Baba

Par la suite, j’ai fréquenté un lycée de Harajuku et la combinaison de design, de culture pop, de musique et d’architecture qui définissait alors ce quartier a aussi eu beaucoup d’influence sur moi. Tous les grands bâtiments qui s’érigeaient – Tokyo était en pleine essor de construction dans les années 1990 –  m’inspiraient et j’ai voulu participer à cette dynamique. J’ai donc intégré la Musashino Art University afin de devenir architecte.

IDEAT a t-il eu d’autres déclics ?

Daisuke Yamamoto : En débutant mes études d’architecture, je me suis nourri de la dimension philosophique de l’architecture, en particulier le mouvement métaboliste [courant architectural japonais avant-gardiste des années 1960 et 1970 selon lequel l’architecture ne devrait pas être pensée comme fixe mais pouvant au contraire croître et se modifier au fil du temps à l’image du métabolisme cellulaire. Le bâtiment le plus emblématique est la Nakagin Capsule Tower de Kurokawa Kishô, construite à Tokyo en 1972 et démolie en 2022], mais aussi les Radicaux italiens.…

J’ai passé des heures à lire et ai compris que l’architecture ne se résumait pas à la seule conception / construction des bâtiments, mais qu’à travers elle, on pouvait modifier le contexte dans lequel on vit. J’accorde beaucoup d’importance à cela, ainsi qu’à la narration pour mieux partager mon point de vue. Je ne suis pas vraiment un designer, mais j’aime tenter de créer un produit qui exprime ma philosophie et ma pensée.

IDEAT : En 2023 à Milan, lors du Fuorisalone, Flow, votre toute première collection de sièges construite in situ à base de rails d’acier léger – ceux que l’on utilise pour fixer les panneaux de placoplâtre – a été plus qu’acclamée. Votre chaise Flow Enzo Mari Hommage fait d’ailleurs dorénavant partie de la collection du Vitra Design Museum, c’est dire. Qu’est-ce qui vous à, justement, poussé à élargir votre pratique vers le design ?

Daisuke Yamamoto : Pendant le Covid, je n’ai cessé de me demander comment le monde allait changer à l’issue de la pandémie. Et j’ai eu le temps de réfléchir à ce que nous pouvions faire — à ce que je voulais faire. Il se trouve qu’au Japon, la durée de vie moyenne des espaces commerciaux est d’environ trois ans, parfois même moins. Or, je conçois des magasins, donc je considère qu’il est de ma responsabilité de faire quelque chose à ce sujet. Le métal recyclé que j’utilise provient donc de la phase post-démolition de projets sur lesquels j’ai travaillé en tant qu’architecte.

Dans le studio de Daisuke Yamamoto, à Shibuya (Tokyo).
Dans le studio de Daisuke Yamamoto, à Shibuya (Tokyo).

Je récupère les rails et polis chaque pièce à la main. Puis j’assemble ces éléments en panneaux selon un système de construction que j’ai mis au point – j’ai même créé mes propres connecteurs pour le faire. Mais j’explore en ce moment d’autres façons d’utiliser ce même matériau, afin de modifier son aspect, de même que la perception que l’on en a. Pour les pièces que je vais présenter à Matter & Shape, j’ai, par exemple, expérimenté des traitements électrolytiques après avoir enlevé la couche de zinc, ce qui m’a permis d’obtenir différentes nuances chromatiques.

IDEAT : Daisuke Yamamoto, comment définiriez -vous Tokyo ?

Daisuke Yamamoto : Tokyo change en permanence. Son côté dystopique motive le désir de faire quelque chose de positif pour la ville, tandis que celui, utopique, représente le confort que je ne veux pas perdre.

> Daisukeyamamoto.com


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