Courtesy de l'artiste et Galerie Nathalie Obadia

Photo : Youssef Nabil, le glamour suranné

Depuis près de trente ans, Youssef Nabil construit une œuvre singulière entre journal intime et portraits de célébrités. Son travail de coloriste, à mi-chemin entre photographie et peinture, révèle une réalité imaginaire qui met en relief toutes les contradictions du Moyen-Orient.

Catherine Deneuve en madone endeuillée regardant l’objectif d’un air las, la chanteuse Natacha Atlas, lascivement allongée, fumant le narguilé ou Salma Hayek exécutant une danse du ventre sur une plage abandonnée… Empruntant à la technique de colorisation du cinéma des années 30, ces clichés kitsch et glamour symbolisent l’univers de Youssef Nabil, formé auprès de David LaChapelle, à New York, puis de Mario Testino, à Paris. Ils reflètent un Orient disparu où régnaient tolérance et insouciance.

Natacha fume le narguilé, Le Caire, 2000. Le monde fantasmé et colorisé de Youssef Nabil, amateur de cinéma.
Natacha fume le narguilé, Le Caire, 2000. Le monde fantasmé et colorisé de Youssef Nabil, amateur de cinéma. Courtesy de l'artiste et Galerie Nathalie Obadia

En mélangeant argentique et peinture, le photographe, né au Caire en 1972, reprend une pratique, développée au XIXe siècle par les retoucheurs égyptiens, habitués à coloriser à la main les portraits de famille. Et il l’adapte aux anonymes ou aux stars du cinéma et de l’art contemporain comme Isabelle Huppert, Louise Bourgeois ou Shirin Neshat, qu’il immortalise sur fond neutre dans des poses proches de celles prises par les icônes des films en noir et blanc. Au cœur de ce monde désuet, lui-même apparaît souvent de dos et vêtu d’une djellaba blanche, face à la mer ou à un coucher de soleil, à Naples, à Athènes ou à Marseille. Autant de paysages semblables à des décors de plateau.

Sous le prisme de l’objectif, le voile porté par Catherine Deneuve n’est plus le sujet d’un débat religieux. Il souligne la douceur des traits de l’actrice, qui pose en madone de la Renaissance.
Sous le prisme de l’objectif, le voile porté par Catherine Deneuve n’est plus le sujet d’un débat religieux. Il souligne la douceur des traits de l’actrice, qui pose en madone de la Renaissance. Courtesy de l'artiste et Galerie Nathalie Obadia

Voyageur du temps

Sur l’un de ses autoportraits (en 2012, il confiait en avoir réalisé plus de 75), Say Goodbye, il est assis dans une barque et rame dans le port d’Alexandrie. Nul ne sait s’il fuit la ville ou s’il revient après des années d’errance. Car si l’exil est l’un des thèmes récurrents dans l’œuvre de celui qui a quitté définitivement son pays en 2003, ses images nostalgiques suggèrent davantage le passage du temps, la fugacité de l’existence. Et l’absence du visage de Youssef Nabil laisse au spectateur la possibilité d’incarner ce voyageur. C’est à l’Institut du monde arabe-Tourcoing que sont présentés une trentaine de photographies et trois films – dont You Never Left, avec Fanny Ardant et Tahar Rahim – retraçant la carrière de l’artiste. Construit en 1904, ce bâtiment historique offre un cadre qui convient à merveille à celui qui privilégie le 35 mm et refuse la pellicule couleur.

Youssef Nabil, I Saved My Belly Dancer # XII, 2015, (visuel capturé depuis la vidéo).
Youssef Nabil, I Saved My Belly Dancer # XII, 2015, (visuel capturé depuis la vidéo). Courtesy de l'artiste et Galerie Nathalie Obadia

> « Youssef Nabil ». À l’Institut du monde arabe-Tourcoing, 9, rue Gabriel-Péri, à Tourcoing (59), jusqu’au 12 janvier 2020. 

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