Des bancs pour les écoles et un chariot pour les EHPAD : difficile de croire que toutes ces pièces vont être conçues dans les ateliers du Mobilier national ! Et pour cause, quand cette institution, héritière du Garde-Meuble de la Couronne en charge de la gestion du mobilier royal initié au XVIe siècle, apparaît dans les médias, il est surtout question de l’apparat déployé dans les lieux du pouvoir français : bureau du président de la République, nouvelle table du Conseil des ministres, restauration de la Villa Médicis …
Si sa mission relève toujours du service public, entre les dorures de la pompe républicaine et un guichet où les Français demandent leurs APL, il y a un gouffre.
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Il serait dommage d’oublier qu’une Révolution et quelques siècles après sa création par Henri IV, ce fameux garde-meuble a connu plusieurs moutures, dont celle pensée par André Malraux, alors Ministre en charge des Affaires culturelles.
En 1964, le Mobilier national se dote de l’Atelier de Recherche et de Création (ARC). L’objectif ? Offrir une « structure d’innovation de développement qui vient faire de la France un pays d’incubateur de talents du design » explique Loïc Turpin, directeur de la communication du Mobilier national.
« Elle a pour ambition de prototyper les pièces de jeunes designers comme Alain Richard, Olivier Mourgue, Roger Fatus, etc. Tout le design des Trente Glorieuses et au-delà est passé par l’ARC ! Elle a donné aux designers les moyens de développer des pièces complètement folles, comme les pièces de Pierre Paulin, le bureau de François Mitterrand, le fumoir de l’Elysée et toutes ces pièces un peu emblématiques, au design haut de gamme, qui sont aussi les vitrines de la République. »
Le design pour tous
C’est à cette même époque qu’une génération de designers militants va donner vie au fameux « design pour tous» en créant, par le biais de l’ARC, le lit d’hôpital d’Alain Richard, ou encore du mobilier pour les maisons des jeunes et de la culture.
Mais si la chaise « Caddy » d’Olivier Mourgue a pris ses quartiers dans la MJC de Rennes, et le mobilier carcéral de Bernard Moïse a été déployé dans plusieurs prisons, nombreux sont les prototypes qui sont restés à l’état de la pièce unique.
Le tabouret « Cryptogramme » de Roger Tallon, conçu en 1969, a dû attendre 2015 pour être édité chez Sentou. « C’est là où nous avons péché par rapport aux Italiens, constate Loïc Turpin, nous ne sommes pas allés [vers une logique de] série. »
Mobilier national, mobilier de la Nation
Viennent les années 80, tournées vers l’expérimentation et la pièce unique : le Mobilier national se recentre alors sur son cœur de métier à savoir : meubler ses dépositaires officiels. « Nous sommes restés au stade d’incubateur et nous n’avons pas fait le nécessaire pour que les pépites de l’ARC voient le jour. Nous laissions aux designers le soin ou non de poursuivre avec les industriels.» ajoute Loïc Turpin.
« Aujourd’hui, nous voulons renouer avec l’idée que le Mobilier national est le mobilier de la Nation, et que le design peut aussi s’incarner dans des services publics. C’est pour cela que nous avons noué des grands partenariats avec des grandes institutions publiques qui proposent des lieux d’accueil public ».
Des concours pour meubler les lieux publics
L’une des entreprises de ce type les plus récentes est la collaboration avec la BNF et la maison d’édition Alki. De cette heureuse union est née la chaise « Orria » qui accueille les studieux postérieurs la salle Ovale du site Richelieu.
La bibliothèque accueille évidemment plus de monde que les bureaux feutrés de l’Elysée et Matignon mais le Mobilier National pousse le curseur un peu plus loin avec son programme « Le Mobilier de la Nation » qui se développe en plusieurs volets. Le premier est celui des bornes France Services, un réseau de 2379 guichets conçues pour accéder aux démarches administratives de la santé à la retraite, en passant par le droit, le logement, les impôts.
Suite à un concours lancé en juin 2022, c’est la proposition de Piergil Fourquié qui a été retenue. Tout en métal, ce meuble modulable, dont la production se fera fin 2023, pourra s’adapter à tous les espaces possibles, aussi bien à un bus qu’à l’annexe d’une mairie.
Le Campus des Métiers d’Art et du Design a, pour sa part, lancé un concours autour du mobilier scolaire du XXIe siècle, qui a été remporté par le projet ONSSI et se déploiera en fin d’année.
Autre chantier du Mobilier national et autre univers, celui des EHPAD. La mission confiée aux designers ? Dessiner une nouvelle mouture des chariots de couloirs. « Nous demandons aux designers de repenser à la fois ce mobilier mobile, ses usages pour les agents car c’est lourd, peu malléable. Ils doivent correspondre aux besoins des résidents, tout en étant esthétique afin de rompre avec l’univers médical. Il faut du beau, du pratique et de l’ergonomie. » Les candidats ont jusqu’au 14 mars pour soumettre leur proposition.
Un design militant et accessible
Enfin, dernier projet qui devrait voir le jour en 2024, l’édition de la « Chaise Trèfle » de René-Jean Caillette, conçue en 1982 au sein de l’ARC. Grand nom du design de la Reconstruction, Caillette servait un design militant et accessible. Preuve en est, il a fait des Petits Frères des Pauvres son légataire universel. C’est aux côtés de cette association que le Mobilier national choisira l’éditeur qui fabriquera l’assise pliable. L’institution semble donc bien avoir opéré un virage pour remettre le design au service des lieux publics !
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