Aménager un yacht ? Un défi de taille qu’ont relevé avec brio Patrick Jouin et Sanjit Manku, du studio d’architecture et de design Jouin Manku. Pour un client privé féru d’art, ils ont imaginé l’agencement intérieur et la décoration du yatch Kensho, livré en 2022. Avec 75 mètres de long et trois ponts, il peut accueillir jusqu’à douze invités.
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IDEAT : L’aménagement d’un yacht n’est pas un projet qui arrive tous les jours. Comment cette aventure incroyable a-t-elle débuté ?
Patrick Jouin : Tout a commencé par un e-mail reçu fin décembre 2018. Un architecte travaillait sur la conception de Kensho, un yacht de 75 mètres de long, pour un client privé. Il nous a contactés pour un accompagnement.
Finalement, cela a pris de l’ampleur, jusqu’à ce que nous nous retrouvions au cœur du sujet. Le client avait déjà acheté un plus petit yacht, mais là, il voulait se lancer dans la construction du sien, réalisée par Admiral (The Italian Sea Group, NDLR).
IDEAT : Comment avez-vous abordé la question?
Patrick Jouin : Nous avions déjà réalisé un paquebot, le Celebrity Edge, pour la compagnie Celebrity Cruises, construit par les Chantiers de l’Atlantique, mais jamais de yacht. Et nous nous demandions pourquoi.
Cela peut sembler étrange dit ainsi, mais il y a quelque chose de naturel pour nous dans cette idée du vaisseau, qu’il s’agisse d’une voiture, d’un avion, d’un train… Nous ne concevons par les lieux dans une seule logique de sol-mur-plafond.
Notre approche est globale, tout compte et tout est lié : les objets, les formes… C’est l’idée du vaisseau dans lequel nous sculptons l’espace, et un bateau est conçu comme cela. Au-delà de notre envie, il fallait aussi en face quelqu’un qui ait ce type de rapport esthétique, cette confiance. C’est le cas de ce client, qui avait une ambition à la fois architecturale, design, esthétique, et qui est aussi collectionneur d’art.
IDEAT : Quelle était sa demande ?
Sanjit Manku : Son ambition était d’aller loin et d’être présent dans le processus. Son but n’était pas de construire pour revendre. C’est un projet singulier dans lequel il a été très impliqué.
Par exemple, étant très grand, il était important pour lui que la hauteur sous plafond ne soit pas standard, afin qu’il ne se sente pas à l’étroit sur son propre bateau. Cette idée de volume a beaucoup guidé le projet et nous a séduits.
Cette personne a aussi pris des risques, comme celui de déplacer la timonerie, habituellement située sur l’avant du pont supérieur, afin de profiter de cet espace qui offre une vue panoramique sur la mer et donne ce sentiment de naviguer. Sur Kensho, elle se trouve sur le pont principal, ce qui a demandé de travailler avec le capitaine pour recueillir son assentiment.
IDEAT : Est-ce la même approche que pour l’aménagement d’une maison?
Sanjit Manku : Un yacht n’est pas un espace ordinaire, même si on y mange, on y dort, on y fait la fête. Ce n’est pas qu’une question de décor. Tout change constamment: la lumière, l’horizon… C’est un endroit unique. Notre volonté était de ne pas répéter ce qu’on ferait pour une maison, qui pourrait se trouver n’importe où.
Patrick Jouin : De plus, l’univers maritime n’accepte aucune erreur de conception. Un bateau bouge, il est soumis au sel, à la chaleur, à l’humidité, tout doit être fait selon les règles de l’art. Pour nous, c’est un formidable terrain de jeu.
IDEAT : Comment avez-vous procédé ?
Sanjit Manku : Pour chaque projet, nous dessinons beaucoup. Nous faisons de nombreuses esquisses, pour développer chaque pièce de mobilier, d’accessoire, à la fois sur le plan technique et design.
Patrick Jouin : Pour alimenter cette réflexion, nous nous interrogeons sur le déroulement d’une journée, le rythme, nous dialoguons beaucoup avec le client. C’est tout un process d’interrogation, de questionnements. Nous nous racontons des histoires et, en effet, nous dessinons, nous comparons nos esquisses jusqu’à ce que l’histoire prenne.
Nous intégrons aussi les éléments concrets qui nous viennent du chantier naval. Sans oublier le bons sens et le budget. Ce client est très exigeant sur la quête de la perfection, c’est ce qui nous intéresse et ce à quoi nous avons essayé de répondre.
IDEAT : Comment se répartissent les espaces ?
Sanjit Manku : Le pont inférieur compte notamment les cabines invités, dont les chambres s’ouvrent sur la salle de bains pour agrandir l’espace. Le pont principal abrite la Master Suite, qui se compose d’une chambre, d’un dressing, qui sert aussi de bureau, d’un salon privé et d’une salle de bains.
On trouve également la salle à manger, que nous avons imaginée comme un cabinet de curiosités, avec ses vitrines abritant des éléments qui évoquent l’univers marin et ses mystères. Sur l’avant du pont supérieur se trouve le grand salon en lieu et place de la timonerie et, à l’arrière, un autre salon.
Entre les deux, nous avons imaginé un couloir comme une galerie qui accueille des œuvres d’art, lesquelles font partie intégrante du yacht. Nous avons travaillé avec la curatrice Aude Planterose pour la sélection des œuvres.
IDEAT : Kensho est aussi une démonstration de savoir-faire…
Patrick Jouin : Tout a été réalisé sur mesure dans ce bateau de 3000 m2 . Nous avons fait appel à de nombreux talents pour réaliser nos idées. Nous avons demandé à Helen Amy Murray de travailler le cuir sculpté pour habiller les couloirs. Les portes coulissantes dans le salon et les chambres ont été réalisées par Steaven Richard, artiste spécialisé dans le métal, qui utilise une technique ancienne de patine sur laiton texturé.
Les murs sont recouverts d’un treillis métallique tissé main de Sophie Mallebranche. Les portes du dressing dans la Master Suite sont en soie peinte sur mesure par De Gournay. L’artiste Axel Sanson a habillé les murs des salles de bains, dont le décor varie entre mer et ciel, selon le niveau.
Une grande partie du mobilier a été réalisée avec l’Atelier le Floch et l’Ébénisterie générale. Nous avons travaillé avec Preciosa pour les luminaires, qui évoquent la lampe-tempête, et Crystal Caviar pour le lustre de la salle à manger. Kensho possède une dimension asiatique et apaisante, comme un cocon dans lequel on peut se réfugier et se ressourcer.
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