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Voilà plus d’un an que l’on n’avait pas vu ça chez Christie’s… La dernière fois, c’était en mai 2022 pour un dessin inédit de Michel-Ange. Comme lui, c’est au tour du Rhinocrétaire I de François-Xavier Lalanne d’être mis aux enchères ce 20 octobre dans une vente à lui tout seul. Attention, star ! D’autant plus qu’il s’agit là du premier secrétaire-rhinocéros comme son nom l’indique, le premier d’une série de quatre variations autour d’un même thème — du moins, celles qui sont connues. Pour cause, celle-ci a été soigneusement conservée au sein de la même famille depuis trois générations, achetée en 1946 par Jeanine Restany qui venait de la présenter dans sa Galerie J, par ailleurs fief du nouveau réalisme.
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Les Lalanne atteignent des records
Certes, les chanceux qui ont pu visiter la grande rétrospective Lalanne au Musée des Arts décoratifs à Paris en 2010 auront déjà aperçu ce Rhinocrétaire I mais c’est bien la seule et unique fois qu’il aura quitté son bercail, jusqu’à aujourd’hui. Dans les maisons de vente, qui dit rareté, qualité muséale, provenance familiale, première parution sur le marché, dit estimation à plusieurs zéros : entre 4 et 6 millions d’euros en l’occurrence.
Et puis surtout, ce sont les Lalanne ! François-Xavier et Claude, les rois du marché actuel, capables de concurrencer aussi bien la sainte trinité Prouvé-Perriand-Le Corbusier que les best sellers de l’art. Raison de plus pour accorder au Rhinocrétaire I une place de choix, comme le confie Agathe de Bazin, Responsable de la vente chez Christie’s : « Il y a l’idée de lui donner une plateforme unique qui n’est pas donnée à toutes les œuvres, en raison du caractère fabuleux de la pièce, à la frontière entre les Beaux-arts et les Arts décoratifs. Car François-Xavier Lalanne a justement voulu briser cette frontière et on ne se sentait pas de la placer avec des tableaux ou des meubles. Aussi, c’est un moment très important pour le marché et nous avons voulu que ça fasse l’événement. Cet objet transcende les catégories >».
D’accord, la patine des feuilles de laiton martelées est somptueuse, la qualité des soudures traduit un véritable talent artisanal, la bête est fascinante… Mais qu’est-ce qui fait tant courir les acheteurs ?
En novembre 2022, chez Sotheby’s, le second volet de la collection de l’une des filles Lalanne, Dorothée, atteignait 48 millions d’euros, soit deux fois son estimation pour 88 lots – tous vendus évidemment –, les 81 lots du premier volet ayant déjà totalisé 80 millions d’euros un plus tôt. On arrondit le calcul pour vous : 129 millions d’euros.
Quasi simultanément, Christie’s vendait coup sur coup un Âne planté de François-Xavier Lalanne en bronze patiné à 8 405 000 $, bien au-delà de son estimation entre 300 000 et 500 000 $, et pulvérisait le record du monde aux enchères pour Claude Lalanne avec une pièce unique, le lustre Structure végétale aux papillons, parti à 3 740 000 €, estimé entre 800 000 et 1 200 000 €, en provenance d’un pied-à-terre « curated by Hubert de Givenchy ».
Les favoris du gotha
Si on laisse volontiers la bataille des chiffres aux mastodontes Sotheby’s et Christie’s, difficile de ne pas au moins les commenter et se demander comment on en est arrivé là. Petit précis historique des enchères par Agathe de Bazin : « Un premier moment déterminant a été la vente de la Collection Yves Saint Laurent et Pierre Bergé en 2009. Ils ont été parmi les tous premiers collectionneurs des Lalanne dès 1965 et ont acquis et commandé tout au long de leur vie. Un ensemble de miroirs et un bar font plus d’un million d’euros chacun et, à partir de là, ces objets exceptionnels vont permettre à d’autres de ressortir en construisant la cote des Lalanne. Le deuxième moment arrive suite au décès de Claude, quand les collections de la famille arrivent sur le marché. Par ailleurs, il faut faire remarquer que la plupart des œuvres anciennes proviennent déjà de magnifiques collections».
Des collections prestigieuses qui déroulent un name dropping digne du meilleur gotha, comme le rappelle bien le livre François-Xavier & Claude Lalanne in the domain of dreams paru chez Rizzoli : « Iolas était très bon pour savoir à qui il fallait vendre les œuvres et ainsi il était capable de vendre les Lalanne aux meilleurs collectionneurs, explique son compagnon André Mourgues. Par exemple, il a immédiatement placé les Moutons chez les Rothschild, les Agnelli et Annette Gruner Schlumberger qui a acheté bien des choses et a installé toutes ces sculptures dans sa fondation des Treilles ». Iolas, immense figure des galeristes de l’époque qui, poussé par Jean Tinguely et Niki de Saint-Phalle, ira justement voir la première exposition conjointe des Lalanne à la Galerie J avec entre autre le Rhinocrétaire I et les signera peu de temps après.
Des matériaux qui attirent l’oeil
Autant dire qu’avant d’avoir épaté Tom Ford, Carla Fendi, Marc Jacobs et Peter Marino, les Lalanne étaient déjà dans toutes les maisons synonymes de bon goût et de beau monde, ce qui crée sans doute un effet d’appât auprès d’une clientèle actuelle qui achète souvent bras dessus bras dessous avec son décorateur. Par ailleurs, s’ils ne sont pas aussi exceptionnels que le Rhinocrétaire I, les fameux Moutons développés en plus grande série et les éditions plus abordables de la Galerie Artcurial ont donné à François-Xavier et Claude Lalanne une certaine visibilité, fruit d’une gestion habile entre l’offre et la demande.
Ainsi, un Lalanne est facilement reconnaissable par son vocabulaire, plutôt animalier pour François-Xavier, plutôt végétal pour Claude, et évidemment par le côté plus ou moins doré selon le matériau – bronze, laiton, etc. On le sait, tout ce qui brille attire comme le miel les abeilles.
En revanche, là où la vague Gabriella Crespi – très gold aussi malgré une cote moins colossale – joue la carte du glamour, l’esprit des Lalanne nous plonge dans un univers à la fois féérique et plein d’humour, plus grand que nature et qui parle aisément à un public avide de spectaculaire drolatique : le gorille coffre-fort, le babouin cheminée, le ban crocodile, les fauteuils crapauds, l’oiseau à bascule, la mouche toilettes ou encore un rhinocéros secrétaire justement, truffé de curieux gadgets du seau à glace au shaker, en passant par la lampe incorporée.
Dans le catalogue de l’exposition Lalanne au Château de Chenonceau en 1991, Robert Rosenblum écrivait : « Faut-il supposer que nous pénétrons, grâce aux Lalanne, dans la phase moderne des jardins du plaisir démocratique qui s’étend des beaux jours des Expositions universelles jusqu’à l’empire planétaire des Disneyland ? Ou bien sommes-nous de retour dans le monde plus intime et plus réservé des « Folies » de jardin au XVIIIème siècle où un gentilhomme pouvait se permettre de vivre non loin de Paris dans une colonne en ruine, ou de surprendre Amalthée et sa chèvre cachées dans les recoins d’une grotte artificielle ? Ou encore, revenus à une tradition plus vénérable des jardins français, l’univers de Le Nôtre auquel François-Xavier se réfère, au cours d’un entretien, comme un merveilleux amalgame de disciplines multiples : urbaniste, ingénieur et architecte mais aussi sculpteur, paysagiste et poète, mélange qui pourrait tout aussi bien s’appliquer aux Lalanne eux-mêmes ». Aujourd’hui, la première des trois options est peut-être la bonne.
Exposition du 12 au 20 octobre, vente le 20 octobre 2023 à 18h30 chez Christie’s Paris – 9, avenue Matignon, 75008 Paris. www.christies.com
