La résine, une matière qui fascine autant qu’elle dérange

Les designers plébiscitent toujours autant la résine, un matériau issu de la pétrochimie, pour sa grande versatilité esthétique. Pourtant, ce matériau pose de nombreuses questions écologiques...

Les sublimes créations en résine de Sabine Marcellis, Sabourin & Costes ou encore Laurids Gallée intriguent, s’impriment sur les rétines. Glossy, la matière s’apparente à du verre. Mat, elle ressemble plutôt à de la cire voire du savon. Beaucoup utilisé par les plasticiens des mouvements Pop Art et Light and Space des années 1960, ce matériau issu de la pétrochimie a gagné du terrain chez les designers ces dernières années malgré l’éveil des consciences écologiques. A croire que parfois, faire du beau est plus important que faire du bien ?

Une transparence qui intrigue

Les tabourets Boudin dessinés par Sabourin & Costes.
Les tabourets Boudin dessinés par Sabourin & Costes.

Dès ses premières années d’études à l’École Supérieure d’Art et de Design de Reims, Paola Sabourin, co-fondatrice du studio Sabourin & Costes, se rend compte de la fascination que suscite la résine : “Pour un projet de fin d’année, j’avais utilisé de la résine et un moule qui, ensemble, formaient l’objet final. Le projet n’était pas très ambitieux mais tout le monde a été fasciné par ce truc. C’est vrai que le côté magique lié à la transparence de cette matière hypnotise.” Lorsqu’elles montent leur studio, en 2019, Paola Sabourin et Zoé Costes se tournent naturellement vers la résine moulée dans la masse pour leur première collection, Boudin. Une collection image qui tape dans l’œil des médias et journalistes.

La table basse et le tabouret en résine transparente de la collection Liquid imaginée par Lukas Cober.
La table basse et le tabouret en résine transparente de la collection Liquid imaginée par Lukas Cober.

L’Allemand Lukas Cober est lui aussi attiré par la transparence de la résine, qui permet aux formes rondes et organiques de ses tables basses et de ses tabourets de s’effacer. Laurids Gallée explore quant à lui la transparence de la résine via ses magnifiques luminaires dont les lignes, grâce à la lumière qui danse à l’intérieur, semblent changer constamment. Outre-Atlantique, Quincy Ellis, fondateur du studio Facture dédié à la résine – dont 25% de celle qu’il utilise contient de la biorésine – et basé à Brooklyn, se plaît à jouer avec la translucidité de la résine mate et la façon dont elle piège la lumière, créant un effet luminescent.


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Gros plan de la table d’appoint Metropolis en résine mate pensée par Laurids Gallée.
Gros plan de la table d’appoint Metropolis en résine mate pensée par Laurids Gallée.

La résine ouvre le champ des possibles

Mais comment se travaille la résine ? A l’état liquide, on traite la résine comme de la céramique : chaque couleur nécessite une recette spécifique. “Le procédé se situe entre la chimie et l’artisanat”, explique Paola. Une fois que la matière a durci, qu’elle a pris sa première forme, on la travaille comme du bois. Evidemment, il faut la polir et la poncer, pendant des heures voire des jours. Mais on peut aussi la sculpter, la percer et l’assembler sans démarcation car nous nous servons de la résine comme liant. La matière peut ainsi être réparée sans que ce soit visible.” La résine ouvre le champ des possibles. “Cette matière permet au créateur un contrôle créatif total, affirme Laurids Gallée, designer Autrichien basé aux Pays-Bas. Vous pouvez même la faire ressembler à de la pierre si vous le souhaitez. Les possibilités sont infinies.

Quincy Ellis utilise pour ses meubles une structure en bois qu’il recouvre d’une plaque de résine mate dont l’épaisseur varie, créant des effets dégradés tridimensionnels.
Quincy Ellis utilise pour ses meubles une structure en bois qu’il recouvre d’une plaque de résine mate dont l’épaisseur varie, créant des effets dégradés tridimensionnels.

Paola Sabourin et Laurids Gallée connaissent bien leur sujet. Tout juste diplômés de la Design Academy d’Eindhoven, les deux amis débutent leur carrière professionnelle chez S.T.R.S, une entreprise basée à Rotterdam et spécialisée dans la conception de mobilier en résine pour des artistes, des designers – dont Sabine Marcellis – et des galeristes. “Quand j’ai commencé, l’aventure débutait à peine, raconte Paola Sabourin. Nous avons commencé dans un hangar et au départ, je faisais tout.” Protégés par des masques et des gants afin de se protéger des émanations toxiques – heureusement, celles-ci cessent après durcissement -, tous deux se frottent à cette matière ultra technique, qui requiert une grande maîtrise et un vrai savoir-faire : “C’est un enfer sur terre à mettre en œuvre car ce matériau, très fragile, est sensible, notamment aux variations de températures, continue la fondatrice de Sabourin & Costes. Lorsque l’on travaille la résine transparente polie, le moindre crac dans la matière fout en l’air la pièce.

Faire fi des problématiques écologiques ?

Par ailleurs les designers sont bien conscients des problèmes écologiques que posent l’utilisation de la résine. “Évidemment, je me pose la question de savoir comment mon mobilier affecte l’environnement, explique Laurids Gallée. D’ailleurs, lorsque l’on brûle la résine, les fumées noires qui s’en dégagent nous confrontent à ces réalités. J’ai tenté l’expérience : on aurait dit ces photos d’incendies de pétrole au Koweït, en 1991. Et puis, même si des expériences sont menées avec des chenilles et des bactéries, on ne sait pas encore comment se débarrasser des matières plastiques.” De quoi se rappeler son origine pétrochimique.

Leurs objets en résine, matière issue de la pétrochimie donc d’énergies épuisables, participent à un modèle linéaire – on produit, on s’en sert, on jette – et non circulaire – on produit, on s’en sert, on réemploie: “De mon côté, je travaille en très petites quantités voire en pièces uniques, continue Laurids Gallée. Je ne pense pas que ce matériau soit adapté à une production à grande échelle. Je traite la résine comme un diamant. Je travaille sur un petit morceau pendant des jours et des jours jusqu’à ce qu’il soit absolument parfait et que le matériau soit suffisamment solide pour résister à l’épreuve du temps, qu’il soit encore  impeccable dans des centaines d’années, contrairement à un sac en plastique que nous jetons après deux minutes d’utilisation.


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Et Lukas Cober de tempérer : “Il est vrai que le durable n’est qu’un discours marketing. Un meuble doit durer dans le temps. Mais il y a tellement de produits de masse qui sont commercialisés sous le label “sustainable”.” Mais si la fast-fashion tente de s’acheter une éco-crédibilité à coups de collections soit disant respectueuses de l’environnement, existe-t-il vraiment du “fast-mobilier” ? Change-t-on de sofa tous les 3 mois ? Même le canapé Klippan du géant suédois Ikea est encore viable des années après achat. Ce mobilier d’art, onéreux, est certes produit en petites séries, l’impact global sur leur activité est donc minime. Mais si on le compare à celui d’une chaise ou d’une table éco-conçue, la différence est colossale. S’il n’y a pas de mauvais matériaux, il y a cependant de mauvais usages – les paille en plastique jetables, par exemple. Le tout est de savoir si l’envie d’exposer une jolie console dans son salon en est un.