Un volume de béton s’élève au milieu d’une symphonie de végétation luxuriante. Nous sommes au centre d’Ibiza, l’île des Baléares connue pour ses fêtes endiablées, ses retraites spirituelles et ses plages immaculées. « Je viens ici pour travailler », déclare l’artiste conceptuel mexicain Stefan Brüggemann, qui a acheté ce terrain par hasard, après le désistement d’un ami et en a fait une maison-atelier brutaliste.
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Brutalisme méditerranéen
Vivant entre Londres et Mexico, Stefan Brüggemann a été séduit par l’idée d’un projet de maison-atelier impossible à réaliser dans ces deux villes. « Il s’agit de remettre en question les paradigmes. Quand vous pensez au lieu de travail d’un artiste, vous imaginez un endroit en désordre rempli de toiles, au sol taché de peinture. Quand vous évoquez Ibiza, vous imaginez des maisons blanches et une vue sur la mer. Ici, j’apporte un espace qui défie l’architecture, le paysage et l’art. »
Le langage artistique de Stefan Brüggemann caractérisé par le minimalisme, le street art et un réquisitoire social au travers de textes l’a amené à collaborer avec son compatriote, l’architecte Alberto Kalach connu pour son interprétation austère des espaces et dont c’est le premier projet européen.
« Je voulais que la construction soit en résonance avec mon approche de l’art, en utilisant efficacement les matériaux bruts », explique l’artiste. L’architecte et lui ont passé deux semaines à faire connaissance avec le terrain et l’un avec l’autre, après quoi Alberto Kalach a eu carte blanche.
L’esthétique brutaliste et inachevée du bâtiment est une déclaration à l’importance de la structure. Le travail de Luis Barragán (1902-1988), architecte mexicain moderniste, qui ne faisait pas de distinction entre l’architecture et le paysage, a également exercé une grande influence. Le concept d’un jardin avec une maison, et non l’inverse, est particulièrement parlant.
Demeure artistique
La construction s’étend sur trois niveaux : l’atelier au sous-sol, un vaste espace au rez-de-chaussée et la chambre principale au premier étage. Contrastant fortement avec l’aspect brut de la structure, l’installation artistique de Brüggemann dans la pièce à vivre – et sa seule intervention dans le bâtiment – consiste en des murs recouverts de feuilles d’or, qui révèlent par endroits des inscriptions, tandis qu’une bande-son enregistrée par l’un de ses amis, le chanteur Iggy Pop, diffuse ses réflexions existentielles.
Le plafond formé de voûtes de béton, ouvertes à certaines extrémités, répond à un sol noir en brique volcanique mexicaine. Les armoires et les lambris sont en yakisugi, du bois brûlé suivant une technique japonaise qui lui donne de la texture et le protège naturellement. La maison ne compte que deux chambres, car elle est conçue comme un refuge intime et un lieu de travail pour Stefan Brüggemann et sa femme.
Toutefois, inspiré par le philosophe allemand Walter Benjamin, qui a passé du temps à Ibiza au début des années 30 pour développer sa pensée et son écriture, l’artiste souhaite inviter en résidence des écrivains, des poètes, des critiques ou des sociologues.
« Dans mon travail, je traite beaucoup avec le langage et les mots. Je veux donc créer un laboratoire pour échanger des idées, en transformant la maison-atelier en un lieu de production intellectuelle plutôt que matérielle », précise-t-il.
À l’extérieur, une piscine circulaire s’intègre parfaitement dans le paysage. Elle est entourée de monticules de terre plantés d’érémophile soyeuse, au feuillage gris argenté, de lavande, d’eucalyptus et de 300 autres variétés. « C’est un luxe pour moi. Lorsque je plonge dans l’eau, je suis immergé dans la nature, dans les couleurs et dans les textures », se réjouit le propriétaire.
Avant de posséder ce terrain de 30000 mètres carrés, Brüggemann n’était qu’un spectateur de jardins et n’avait jamais pensé avoir l’occasion ni l’intérêt d’en imaginer un : « Les graffitis que je crée sont axés sur l’immédiateté. Maintenant que je travaille avec la nature, c’est l’inverse. Cela prend du temps, il faut être patient. »
Depuis le début de ce projet, l’artiste réfléchit également à son évolution: « Je vois le paysage comme un jardin botanique à remplir de plantes. Je souhaite que tout cela devienne une grande œuvre d’art. »
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