Interview : Rencontre avec Oki Sato, fondateur du studio Nendo

À 43 ans, Oki Sato, architecte et designer japonais du studio Nendo, est aussi célèbre en Occident pour la poésie de ses installations – comme récemment au Bon Marché Rive Gauche – que pour son dessin élégant prisé des éditeurs de mobilier. L’homme que nous avons rencontré à Paris s’amuse sans s’irriter de cette étiquette d’ambassadeur du design de son pays... Japonais certainement, international sûrement !

 

En France, un proverbe dit : « Nul n’est prophète en son pays. » Et vous ? Le Japon vous aime-t-il autant que nous vous aimons ?
Oki Sato : Dans mon pays, l’attention qui m’est portée est très différente de celle d’ici. La question pour moi est de savoir comment l’on me considère au Japon, mais aussi en Europe. Parce qu’au fond, je suis toujours caché dans mon studio en train de dessiner. Je crois qu’au Japon, on me perçoit comme un designer occidentalisé. Et, en Europe, comme un designer japonais. Ça me va très bien. Je ne m’en soucie d’ailleurs pas plus que cela. Je reste avant tout focalisé sur mes projets.

À Tokyo, en 2019, Kashiyama Daikanyama, des restaurants jusqu’au logo en passant par les boutiques, un centre commercial 100 % Nendo
À Tokyo, en 2019, Kashiyama Daikanyama, des restaurants jusqu’au logo en passant par les boutiques, un centre commercial 100 % Nendo Takumi Ota

En fait de designer japonais, vous semblez plutôt international et mixte culturellement ?
Exactement, comme un Jasper Morrison anglais, inspiré par la culture japonaise. Tout comme Jaime Hayón, qui est espagnol, mais dont le design est mâtiné de diverses inspirations culturelles. Nous parlons un langage international. Quand je voyage à Paris, à New York ou à Milan, je peux voir tout ce que nous avons tous en commun. Mais si vous allez dans une petite ville japonaise, même la perception du temps qui s’écoule y est différente d’ailleurs.

Dès ses débuts, le designer a travaillé en Europe, notamment pour Swedese avec le tabouret Wind (2004).
Dès ses débuts, le designer a travaillé en Europe, notamment pour Swedese avec le tabouret Wind (2004). © MASAYKI HAYASHI

Y a-t-il un avantage particulier à évoluer dans une sphère nippone, éloignée de l’Europe ?
Sur certains points, il y a des éléments communs entre Tokyo et les capitales européennes. Les frontières sont parfois floues. C’est peut-être pour cela que je cherche à créer des liens entre les gens vivant dans des lieux aussi éloignés les uns des autres.

Durant la foire de Milan, en 2017, l’installation Slice of the Time pour l’horloger italien Panerai.
Durant la foire de Milan, en 2017, l’installation Slice of the Time pour l’horloger italien Panerai. Takumi Ota

Quelles sont les différences entre le monde du design de vos débuts, à Tokyo, en 2002, et celui d’aujourd’hui ?
Il y a dix-huit ans, à Tokyo, tout rentrait dans des catégories. Les architectes d’intérieur dessinaient des intérieurs. Quand un architecte faisait un projet d’intérieur, il s’en cachait presque. Je trouvais ça terrible. D’où le nom « Nendo » (« argile »), qui suggère la forme libre de la pâte qu’on modèle. Pourquoi ne pourrait-on pas dessiner à la fois des trombones et des centres commerciaux ? Au bout du compte, entre le rationnel et l’émotionnel, tout ce travail est à destination des gens. Nous avons donc commencé à dessiner librement et avons été perçus comme étranges. Puis, le monde du design est devenu plus flexible et la ligne à ne pas franchir plus poreuse. La catégorisation, désormais, c’est fini ! Nous travaillons dans un flux général que nous influençons plus ou moins.

Les trois sacs de la collection « Katachi », dessinée pour Longchamp (2019).
Les trois sacs de la collection « Katachi », dessinée pour Longchamp (2019). Akihiro Yoshida

Avez-vous davantage attiré l’attention des Japonais à mesure que vous étiez reconnu à l’étranger ?
C’est vrai qu’il n’y en a pas tant que ça, des architectes et des designers japonais internationalement sollicités. Je pense d’ailleurs que certains se demandent pourquoi Nendo expose une installation au Bon Marché Rive Gauche, à Paris ! Pourquoi travaillons-nous sur le prochain TGV, projet archi industriel ? Sans compter que nous sommes en train de faire aussi un hôtel en Chine. Je crois que la plupart des gens sont perturbés par cela au Japon. Parce qu’en réalité, le lien entre tous ces projets n’existe que dans ma tête. Et le travail que je peux faire sur un projet de téléphone mobile peut ensuite m’inspirer pour un autre, d’architecture intérieure. Cela n’a effectivement de sens que pour moi !

Oki Sato est-il l’ambassadeur de Nendo davantage que celui du design japonais ?
(Rires.) L’idée d’être le représentant du design japonais me rend plutôt service alors que je ne suis pas en réalité l’ambassadeur de quoi que ce soit ! Mais c’est bien d’en parler, parce que je ne tiens définitivement dans aucune boîte !