Interview : Marc Newson à livre ouvert

Rencontré à Paris à l'occasion de la signature de son beau livre, "Marc Newson. Works 84-24", retraçant quarante ans de carrière créative, le designer australien aujourd'hui basé à Londres se livre sur son enfance bricoleuse, sa fascination pour les montres et sa réaction en découvrant l'une de ses créations à la télévision.

À l’étage de la boutique Taschen de la Rive gauche parisienne, les interviews s’enchaînent. Il faut dire que Marc Newson fait partie de ces stars du design. Devant l’Australien basé à Londres, en veste rayée et chemise à carreaux Vichy, des piles de son nouveau livre XXL d’un bleu céleste, attendent leur signature. Le temps d’échanger quelques mots avant le début du marathon.


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IDEAT : Êtes-vous heureux d’être de retour à Paris ?

Marc Newson : Se retrouver dans la Ville Lumière est toujours un plaisir ! J’y ai habité en effet, dans différents quartiers. Mon préféré est sûrement la Butte Bergeyre, près de la place Colonel Fabien, dans le 19e. On y trouve de très belles petites maisons, notamment la Villa Zilveli de Jean-Paul Goude, mon voisin de l’époque.

Marc Newson
Marc Newson

IDEAT : Qui vous a le plus influencé en tant que designer ?

Marc Newson : J’étais très éloigné de cet univers, ayant grandi en Australie, mais je me nourrissais de revues européennes, en particulier italiennes. Évidemment, il était souvent questions des mêmes acteurs, des mêmes influences. Il faut dire qu’après la Seconde Guerre mondiale, l’Italie a connu un incroyable élan créatif dans le domaine du design industriel. J’ai été profondément inspiré par cette période, comme beaucoup de designers de ma génération d’ailleurs.

IDEAT : Avez-vous toujours voulu devenir designer ?

Marc Newson : Pas du tout. Je n’ai pris conscience de l’existence de ce métier qu’à la fin de mon adolescence. Je me suis formé à l’orfèvrerie et à la joaillerie au Sydney College of the Arts, un peu par défaut – je ne savais pas vers quoi me diriger. J’étais naturellement créatif et j’ai commencé à construire des choses, des meubles, en apprenant sur le tas, dans les ateliers de l’école.

L’égouttoir ludique Dish Docteur, imaginé pour Magis en 1997. © Marc Newson
L’égouttoir ludique Dish Docteur, imaginé pour Magis en 1997. © Marc Newson

IDEAT : Quel a été le premier objet que vous avez fabriqué ?

Marc Newson : Je ne pourrais le dire ! Enfant, je passais mon temps libre dans le garage de mon grand-père qui fourmillait d’outils, à bricoler toutes sortes d’objets. À l’époque, nous n’avions pas de smartphones ni de distractions modernes, il fallait s’occuper et confectionner ses propres objets. Je me suis donc construit mon propre monde.

IDEAT : Aujourd’hui, grâce à l’impression 3D, il semblerait que la fabrication d’objets soit encore plus simplifiée.

Marc Newson : L’impression 3D est un outil formidable. Je m’en sers avant tout comme afin de prototyper et de tester des idées. Cependant, je pense que les jeunes designers doivent être conscients des limites imposées par ces technologies. Il est crucial de ne pas se laisser restreindre par ces limitations et de les surpasser en utilisant d’autres méthodes. La technologie, quelle qu’elle soit, doit rester un outil, pas une fin en soi.

Dessins d’études d’objets du décapsuleur Stavros, 1997. © Marc Newson
Dessins d’études d’objets du décapsuleur Stavros, 1997. © Marc Newson

IDEAT : Vous avez conçu votre première montre en 1986, à 23 ans, avant de lancer votre propre marque en 1994 et de participer à la conception de l’Apple Watch. Comment avez-vous vécu cette expérience ?

Marc Newson : J’avais atteint une certaine expertise du secteur. Ce projet a permis une fusion parfaite entre mes connaissances et cette nouvelle technologie, qui devenait ainsi très “humaine”, anthropomorphe, ne pouvant réellement fonctionner qu’en harmonie avec le corps.

IDEAT : Pensez-vous que les montres connectées ont révolutionné le design horloger ?

Marc Newson : Absolument. Il y a 200 ans, lorsque les montres de poche sont devenues des montres-bracelets, cela a été un changement majeur. Encore aujourd’hui, nous continuons à porter nos montres au poignet – l’emplacement est idéal. Je l’ai compris en travaillant sur ce projet.

La montre Atmos 568 en cristal Baccarat pour Jaeger Lecoultre, 2016. © Marc Newson
La montre Atmos 568 en cristal Baccarat pour Jaeger Lecoultre, 2016. © Marc Newson

De plus, le poignet reste l’un des meilleurs endroits pour prendre le pouls et d’autres données. Personne ne pensait que l’Apple Watch serait un succès. Et finalement, elle a réintroduit la montre auprès d’une nouvelle génération qui avait arrêté d’en porter, puisqu’ils se contentaient tous de leurs téléphones portables.

IDEAT : Qu’avez-vous ressenti en découvrant votre chaise Lockheed Lounge dans le clip Rain de Madonna, en 1993 ?

Marc Newson : C’était assez surréaliste car à cette époque, âgé d’à peine 30 ans, je n’avais pas d’équipe, pas de moyen d’être informé officiellement. Je l’ai découverte – comme tout le monde – en visionnant le clip sur MTV, qui était alors une véritable institution. Mais en la voyant à travers l’écran, j’ai eu la sensation de ne pas en être l’auteur.

J’ai conçue la Lockheed Lounge en 1986, elle avait depuis eu sa propre vie, sa propre carrière. Elle avait évolué de son côté. J’ai toujours eu ce regard détaché vis à vis de mes créations. Je n’ai même pas réfléchi aux bénéfices potentiels sur ma réputation, ma crédibilité, ma carrière ou que sais-je, j’étais obnubilé par l’avenir et le projet d’après.

> “Marc Newson. Works 84-24”, Marc Newson & Alison Castle, aux éditions Taschen, 496 pages, 150 €. Disponible ici


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