À 30 ans, Gustaf Westman cumule déjà 351 000 followers sur Instagram. Et si, tout comme son atelier de Stockholm, son profil est un joyeux bazar bien maîtrisé très éloigné des standards léchés du réseau social, ses tasses boudinées et ses miroirs en fleur titillent nos envie régressives de pièces refuges et colorées aussi réconfortantes que les coquillettes-jambon de maman. Rencontre.
À lire aussi : Le meilleur de la Stockholm Design Week 2024
Un designer né
Petit, Gustaf Westman passe son temps à dessiner. Activité certes banale chez les jeunes enfants, sauf que lui se plaît à imaginer les maillots de corps de ses équipes de foot préférées et des casques de protection quand il part skier avec ses parents. “J’avais tout un processus de conception, avec des étapes précises qui me demandaient beaucoup de réflexion. Je me reconnecte toujours au sentiment que j’éprouvais alors, car je vis mon rêve – même si la partie business n’est pas ce que je préfère.”
Le Suédois, qui grandit dans la petite ville de Dalsjöfors, berceau de l’industrie textile du pays, sort peu de sa campagne natale. “Aller au musée ne faisait pas partie de notre quotidien et nous n’allions jamais en ville.” Il observe pourtant sa mère passionnée de mobilier économiser pour s’offrir des pièces signées. “Elle a même racheté les meubles du McDonald’s du coin quand celui-ci a fermé !” Le blondinet à la gueule d’ange s’intéresse tôt à l’architecture et au design et s’abreuve de documentaires qui l’immergent dans le domaine, appréciant particulièrement les styles d’Alvar Aalto et Arne Jacobsen. “J’avais aussi des livres sur le sujet, mais étant dislexique, je ne regardais que les images. Aujourd’hui encore, lorsque mes amis débattent de telle ou telle publication, je me sens un peu à l’écart. Mais cela fait aussi partie de ma force : je n’ai pas besoin de références pour trouver l’inspiration.” Même si ses créations fleurent bon Ettore Sottsass et les meubles iconoclastes édités par Memphis Milano.
À l’école polytechnique Chalmers, à Gothembourg, Gustaf Westman rencontre pour la première fois d’autres personnes de son âge partageant les mêmes centres d’intérêt et des adultes évoluant dans des milieux artistiques. Dans un esprit de “qui peut le plus peut le moins”, il se dirige naturellement vers des études d’architecture. “J’aimais tout ce qui touchait à la création. Je voulais être designer et j’ai pensé que ce serait plus simple d’y arriver en apprenant et en comprenant d’abord comment construire un bâtiment. De commencer par le plus difficile pour se diriger vers plus simple ensuite.” Pendant ces quelques années, il laisse sa créativité s’exprimer, ne se préoccupant pas pour ses projets de choses aussi triviales que des normes et des budgets.
En 2018, diplôme en poche, il entre en stage dans un prestigieux cabinet. “J’ai alors su que pour être un bon architecte, il est essentiel d’apprécier tous les aspects du métier, aussi bien la partie construction qu’économique et environnementale… alors que seules les formes m’intéressent. J’ai tenu un an et cette expérience, très constructive au demeurant, m’a fait comprendre que je devais changer d’échelle. Par ailleurs, j’étais conscient de n’avoir aucune connexion dans ce secteur, contrairement à mes camarades qui avaient à la fois l’argent et les relations : j’ai compris que si je voulais m’exprimer à travers mes objets, il fallait le faire en mon nom.”
Gustaf Westman, star d’Instagram
En parallèle, il crée pour des influenceurs du mobilier sur mesure, “chose peu commune à cette époque en Suède”. Ses objets s’impriment sur les rétines des utilisateurs d’Instagram et il développe rapidement une activité d’architecte d’intérieur. “J’ai imaginé le showroom d’une boutique de vêtements en ligne dont j’ai conçu le mobilier. On m’a alors demandé si ces meubles étaient à vendre : c’est ainsi que tout a commencé.”
La styliste Hanna MW commande un miroir Curvy au Suédois, qui tape dans l’œil de certains followers. Il se construit alors progressivement une clientèle. Tylor, the Creator se rend chez Gustaf Westman et lui achète le même miroir. Quant à la chanteuse belge Angèle, elle aussi est friande de ses accessoires bourrés de peps et tout en courbes. “Ces réactions m’ont étonné : je ne concevais même pas qu’on puisse vendre des choses en étant indépendant.” Si le designer se cantonne au trait, il se laisse guider par ses fabricants – tout est confectionné en Suède à part les céramiques, au Portugal – qui matérialisent ses idées. “Les artisans sont inclus très tôt dans le processus de conception et m’apportent leur expertise. On a chacun nos spécialités et lorsque l’on est entouré des bonnes personnes, il est inutile de tout savoir.”
Impossible en regardant les objets imaginés par Gustaf Westman de ne pas être frappé par la simplicité du trait. “Je tiens à ce que mes accessoires et mon mobilier soient simples et faciles à comprendre, même si je les mets en scène de manière assez chaotique. Non pas que je sois fainéant, mais j’aime réduire les lignes à leur essence, à l’essentiel. Selon moi, je me rapproche en cela des designers scandinaves.” À cela près que ses créations unicolores se déclinent dans des rose Malabar, des rouge lipstick ou encore des jaune soleil, dans la même veine que les pièces d’Univers Uchronia et d’Axel Chay. “Je trouve que les couleurs vives mettent en valeur les formes, permettent de les comprendre et, dans une pièce, font ressortir les objets.” Bois, métal ou céramique : même l’œil averti ne saurait le dire, tant leur aspect glossy est trompeur. “J’aime cette confusion, rendue possible lorsque l’on privilégie les formes simples.”
Dans son studio, on ne sait où donner de la tête. Les versions mini de ses best-sellers, comme des jouets de poupées que l’on aimerait collectionner et sa cuisine, sublimes et tout en rondeurs, attisent les convoitises – il s’agit en réalité de caissons Ikea dont il a confectionné les façades. À quand la collab’ ?
À lire aussi : Qui s’intéresse encore à la couleur de l’année Pantone ?