En 2022, en visitant la manufacture de Ginori 1735 pour un sujet, je suis tombée d’amour pour le service bleu canard imaginé par Giovanni Gariboldi (1908-1971) en 1954, exposé dans la partie musée. “Il faut absolument rééditer Colonna”, avais-je insisté. La modernité de ces tasses empilables, la façon dont elles traversent avec brio l’épreuve du temps, est indéniable. “Nous cherchons les moules”, m’avait assuré Annalisa Tani, alors brand manager du porcelainier dont l’usine se situe à Sesto Fiorentino, à quelques pas de Florence, en Italie. Deux ans plus tard, quelle joie de découvrir que ce souhait a été exaucé. Blague à part, Ginori 1735 ressort donc de ses archives cette ligne culte en série limitée, pour notre plus grand plaisir. Plongée dans l’univers d’un génie de la porcelaine qui séduit son monde depuis presque trois siècles.
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Un souvenir d’enfance
L’histoire de Ginori 1735 résonne profondément en Italie, où chaque famille semble avoir tissé un lien intime avec le roi toscan de l’or blanc. Des souvenirs d’enfance de repas familiaux dominicaux, des assiettes qui se transmettent de génération en génération, toujours manipulées avec précaution. “Tous les Italiens possèdent un service Ginori, assure Guglielmo Olearo, directeur commercial. C’est ce qu’on offrait traditionnellement en cadeau de mariage au siècle dernier, même dans les milieux modestes, même s’il fallait se cotiser et faire des sacrifices. Mes grands-parents étaient peu argentés. Pourtant, ils avaient un service de la marque, blanc, tout simple, dont j’ai hérité.”
La griffe a tout de même connu des moments difficiles, manquant de disparaître et d’emporter avec elle tout un pan de la culture transalpine. Gucci, florentine elle aussi, rachète en 2013 la manufacture en faillite, passée depuis dans le giron du groupe Kering. Alessandro Michele y reprend quelque temps la direction artistique, avant d’être propulsé à la tête des collections de la marque de mode. Là, il remet au goût la ligne Oriente Italiano, un classique dont le motif s’inspire d’un décor de la Manufacture Ferniani de Faenza datant de 1765 environ, la propulsant en tête des ventes aussi bien sur le vieux que sur le nouveau continent, en Asie comme en Occident.
Le créatif a l’idée merveilleuse de réinvestir le 17, Via dei Rondinelli, à Florence, le Palazzo du marquis Carlo Ginori, fondateur de la Manufacture Ginori (en 1735, devenue Richard Ginori en 1896, puis Ginori 1735 en 2020), où l’auteur Carlo Collodi, qui y a grandi, y aurait écrit les premières aventures de son coquin pantin. Un lieu de 600 mètres carrés chargé d’histoire, hors du temps, aux poutres apparentes, parquet à la Versaille et jardin d’hiver luxuriant, où se mêle lithographies d’oiseaux et tables parfaitement dressées avec la vaisselle du porcelainier.
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Colonna de Gariboldi : le coup de génie de Ginori
Ginori 1735 continue de s’entourer de la crème de la créativité : Luca Nichetto, Luke Edward Hall et Virgil Abloh y ont tous les trois signé des collections pour la maison. Mais difficile d’oublier que Gio Ponti (1891- 1979) y régnait en maître de 1923 à 1933, s’occupant des catalogues, des packagings, dirigeant le personnel et signant de nombreux modèles, coupant les ponts avec le passé, révolutionnant les manières de fonctionner, modernisant les couleurs, les formes et les motifs en joignant le fonctionnel à l’artistique.
En 1954, avant de succéder à l’architecte auprès de qui il a tout appris, Giovanni Gariboldi imagine pour Ginori 1735 une collection aux lignes géométriques précises, dont les tasses s’emboîtent, créant une tour de Pise toute droite, une composition verticale répondant au désir d’un nouvel art de vivre. Le designer a misé juste, puisque Colonna remporte cette même année un Compas d’or lors de la première édition du prestigieux prix lancé par Gio Ponti. « Sans passion, il ne resterait que la technique. Sans âme, que de la porcelaine. C’est la création qui obéit à la vie, et non l’inverse”, disait son designer.
Il semblerait donc que les moules du service aient finalement été retrouvés, permettant ainsi à la griffe de donner une seconde vie à ce modèle emblématique. Alain Prost, PDG de Ginori 1735, nous souffle qu’en avril 2024, à l’occasion de la prochaine édition du salon du meuble de Milan, une nouvelle collection dérivée de Colonna sera dévoilée… “mais je ne peux pas vous en dire plus pour l’instant. Ce sera incroyable, unique et innovant”, promet-il. Rendez-vous dans deux mois dans la capitale lombarde.
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