George Nakashima, trente années pour façonner un lieu singulier en Pennsylvanie

En Pennsylvanie, dans l’est des États-Unis, l’ébéniste, architecte et designer George Nakashima, l’une des voix les plus originales du design du XXe siècle, a construit, pendant près de trente ans, un endroit hors norme. Composé de 21 bâtiments disposés sur cinq hectares, il tient à la fois du lieu de vie et de l’atelier. Visite guidée.

« Il serait impossible pour moi de concevoir une chaise en plastique, en métal ou en contreplaqué. Je n’ai pas cet état d’esprit. J’ai plutôt l’impression de produire du mobilier de qualité dans lequel survit l’esprit d’un arbre auquel je donne en quelque sorte une seconde destination. C’est cela que je recherche : nouer une relation avec un arbre. Je suis même très heureux de faire ça », expliquait George Nakashima (1905-1990), dans une interview à écouter sur le site Nakashima Woodworkers.


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Domaine expérimental

L’histoire de l’ébéniste et architecte, né aux États-Unis dans une famille japonaise, est d’abord liée à un lieu : la ferme de New Hope, un petit village de Pennsylvanie, sur la côte est américaine. De la fin des années 1940 au milieu des années 1970, il a vécu et travaillé ici, au début avec son mentor, l’architecte américain Antonin Raymond, ancien collaborateur de Frank Lloyd Wright (notamment sur la construction de l’Hôtel impérial de Tokyo).

Le Conoid Studio, avec son toit en forme de coquille, est à la fois un atelier, une résidence et un showroom. Il date de 1959.
Le Conoid Studio, avec son toit en forme de coquille, est à la fois un atelier, une résidence et un showroom. Il date de 1959. RICHARD POWERS

Les deux architectes se sont rencontrés lors du tour du monde en bateau qu’effectue George Nakashima dans les années 1930. Au cours de ce périple, il fait aussi la connaissance de sa femme, Marion Okajima, au Japon, et de Le Corbusier, en France, avec qui il échange sur la vocation sociale du design.

De 1937 à 1940, il supervise le chantier du dortoir de l’ashram de Golconde, conçu par Antonin Raymond à Pondichéry, en Inde. C’est à ce moment-là qu’il commence à fabriquer ses premiers meubles.

Le genkan (mot japonais pour « vestibule ») du pavillon d’hôtes et son paravent shoji (parois constituées de papier translucide montées sur bois).
Le genkan (mot japonais pour « vestibule ») du pavillon d’hôtes et son paravent shoji (parois constituées de papier translucide montées sur bois). RICHARD POWERS

Mais alors qu’il est de retour aux États-Unis depuis un an, a lieu l’attaque japonaise de Pearl Harbor. À l’instar de nombreux Américains d’origine japonaise, le couple Nakashima est interné au camp de Minidoka, dans l’Idaho. George réussit néanmoins à y travailler avec le maître charpentier japonais Gentaro Hikogawa (1902-1963).

En 1943, Antonin Raymond et son épouse Noémi parviennent à faire libérer George et Marion. Les Raymond, propriétaires d’une ferme à New Hope, proposent alors à George de l’embaucher comme ouvrier agricole. Ce dernier accepte et trouve aussi le temps de concevoir et de fabriquer des meubles.

Le bâtiment des Arts, achevé en 1967, a été imaginé par Nakashima comme une galerie pour abriter les peintures de Ben Shahn, un ami de la famille. Aujourd’hui, on peut admirer des meubles du designer et ses collections.
Le bâtiment des Arts, achevé en 1967, a été imaginé par Nakashima comme une galerie pour abriter les peintures de Ben Shahn, un ami de la famille. Aujourd’hui, on peut admirer des meubles du designer et ses collections. RICHARD POWERS

Au début, le couple Nakashima occupe un simple cottage avec un petit terrain dans les environs. Le garage est transformé en atelier de fabrication de mobilier (c’est d’ailleurs à ce moment-là qu’une rencontre de George Nakashima avec l’éditeur Hans Knoll aboutit à l’édition d’une collection de chaises en bois).

Et c’est ici que George commence à imaginer et à bâtir un domaine, qui s’est agrandi au fil des ans, pour finir par accueillir 21 bâtiments – parmi lesquels une salle d’exposition, des ateliers, mais aussi la maison familiale des Nakashima et de leurs deux enfants, achevée vers 1947, et le Conoid Studio, en 1959.

La salle de tatamis du pavillon d’hôtes. Terminé en 1975, ce bâtiment a été conçu par Nakashima avec de nombreux éléments japonais, notamment le vestibule et les paravents shoji (les parois constituées de papier translucide montées sur bois).
La salle de tatamis du pavillon d’hôtes. Terminé en 1975, ce bâtiment a été conçu par Nakashima avec de nombreux éléments japonais, notamment le vestibule et les paravents shoji (les parois constituées de papier translucide montées sur bois). RICHARD POWERS

À la fois atelier, résidence et showroom, c’est l’un des édifices les plus grands et les plus audacieux de cet ensemble. Le domaine a atteint sa forme définitive dans les années 1970, lorsque se sont ajoutés une maison d’accueil, un cloître, un « bâtiment des arts » et une pool house. Aujourd’hui, le site où vit et travaille Mira, la fille des Nakashima, se visite sur rendez-vous.

Toit sculptural

La construction du Conoid Studio est l’occasion pour Nakashima d’explorer son intérêt pour les structures en forme de coquille, s’inspirant pour cette maison-atelier du travail de Félix Candela, architecte mexicain pionnier en la matière.

Dans la ferme de New Hope, en Pennsylvanie, les buches, dalles et autres échantillons, récoltés par les Nakashima, sont soigneusement stockés dans les divers endroits du domaine.
Dans la ferme de New Hope, en Pennsylvanie, les buches, dalles et autres échantillons, récoltés par les Nakashima, sont soigneusement stockés dans les divers endroits du domaine. RICHARD POWERS

Le Conoid Studio est coiffé d’un toit de béton scellé, à l’intérieur comme à l’extérieur, par des revêtements protecteurs. Sous cet élément sculptural, le studio est éclairé par une large rangée de fenêtres donnant sur les arbres. Les planchers en bois, les fenêtres et les lanternes en papier d’Isamu Noguchi confèrent à l’espace une impression de nature, qui vient dialoguer avec le toit en béton.

L’endroit est idéal pour exposer le mobilier de George. Le designer américain Harry Bertoia, sculpteur à l’origine, étant un ami de la famille, on peut y admirer plusieurs de ses sculptures. Un bureau, une kitchenette et une petite salle de bains ont été placés à l’arrière.

Dans le Conoid Studio, une chaise fabriquée par Nakashima, posée devant un paravent shoji.
Dans le Conoid Studio, une chaise fabriquée par Nakashima, posée devant un paravent shoji. RICHARD POWERS

En 1975, deux ans après que Nelson Rockefeller, gouverneur de l’État de New York, lui a commandé 200 chaises pour sa maison, George Nakashima termine la guesthouse – une résidence indépendante à côté de chez lui. Elle a également été conçue avec un mélange d’influences japonaises et américaines, au diapason d’une approche prenant toujours en compte le contexte environnemental du site.

Ce pavillon d’hôtes comprend un espace de vie qui fait à la fois office de salon, de chambre à coucher et de salle à manger, tandis qu’une cuisine est soigneusement dissimulée derrière une cloison coulissante. Une « chambre japonaise » avec des tatamis est destinée aussi bien à la contemplation qu’au repos.

La grande salle de bains du pavillon d’hôtes – également appelée maison de réception –, avec sa baignoire sculpurale, sur mesure, en mosaïque. Les prénoms des enfants et des petits-enfants du couple Nakashima sont inscrits dessus.
La grande salle de bains du pavillon d’hôtes – également appelée maison de réception –, avec sa baignoire sculpurale, sur mesure, en mosaïque. Les prénoms des enfants et des petits-enfants du couple Nakashima sont inscrits dessus. RICHARD POWERS

Dans la grande salle de bains, la baignoire est sculpturale. Elle est recouverte de mosaïque, et les noms des enfants et des petits-enfants de Nakashima y ont été inscrits. Actuellement, c’est Mira, elle-même architecte et designer, qui, avec son frère, dirige le George Nakashima Woodworkers, un atelier d’une douzaine d’artisans. Elle a collaboré avec son père sur certains projets avant sa disparition, en 1990, et témoigne :

« J’ai une affection particulière pour le Conoid Studio. Parfois, quand j’y travaille tard, je peux regarder le soleil se coucher à travers le mur de verre. Cette impression de voir tout ce qui se passe à l’extérieur, très présente dans l’architecture japonaise traditionnelle, est quelque chose d’incroyable. »


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