Franklin Azzi donne un nouvel éclat à la Tour d’Argent

Le plus vieux restaurant de Paris vient de rouvrir ses portes, fier d'un nouvel habit qui conjugue son histoire à une certaine modernité impulsé par l'héritier des lieux, André Terrail, de concert avec son architecte, Franklin Azzi.

« La rénovation est à la hauteur de mes attentes car le restaurant a conservé ses trois petites marches qui conduisent de la salle haute à la salle basse », nous répond le chef de rang qui nous escorte du rez-de-chaussée au 6e étage, là où les réjouissances se passent. Le symbole de ces marches est pluriel. Elles rappellent l’histoire architecturale de la Tour d’Argent, une institution depuis 1836, bâtie sur ce qui était le plus vieux restaurant de Paris (1582) lors des grands travaux du baron Haussmann, mais elles évoquent les différents niveaux de lecture du restaurant  — « certains aiment être vus, d’autres privilégient l’intimité » – et souligne l’état d’esprit de la rénovation, axé sur un travail de mémoire et non pas l’idée de faire table rase du passé.


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Une histoire contemporaine

Commandé à Franklin Azzi à la suite d’un concours en 2019, le chantier de la Tour d’argent a pris fin mi-août 2023 après 15 mois de fermeture. « Les lieux arrivaient à obsolescence », examine l’architecte en charge du projet. « Nous avions besoin de nous inscrire dans la modernité », renchérit André Terrail, dont la famille est propriétaire depuis 3 générations du restaurant le plus fameux de Paris. « Mais il n’était pas question de gommer l’histoire si riche de ce lieu ».

L’appartement Augusta, une nouveauté qui se cache dans l’immeuble de la Tour d’Argent.
L’appartement Augusta, une nouveauté qui se cache dans l’immeuble de la Tour d’Argent. Ambroise Tezenas

La Tour d’Argent s’élève dans le ciel parisien plus brillante que jamais. Et ce n’est pas une métaphore. Coiffé d’un nouveau toit (en zinc, toujours dans une logique de faire du neuf grâce aux histoires du passé), le restaurant se pare également d’un nouveau plafond monumental, véritable prouesse architecturale. « Il n’était pas question d’exécuter un idée purement esthétique, explique Franklin Azzi. Ce plafond est un geste fort qui tient aussi de l’acoustique, de la ventilation et de la lumière. »

Alors, si la technique est bien là (le montage du plafond débute au centre exact de l’immeuble et se dessine selon un schéma mathématique qui a permis l’emboitage parfait des « tuiles » d’aluminium), le propos de ce plafond effet boule disco éclatée à plat était aussi de rendre à Paris la Tour d’Argent. « C’est aussi une manière de repositionner l’immeuble dans la ville ». On peut désormais voir distinctement le restaurant des quais de Seine grâce à ce plafond qui reflète les couleurs et la vie qui évoluent dans ses murs. « J’aime attendre le soir que des passants s’arrêtent pour admirer notre nouvelle lumière, confesse Virginie Guyonnet, directrice de la communication du groupe Tour d’Argent depuis 20 ans. Quelle joie d’entendre l’émotion que suscite notre lieu, même depuis l’extérieur ».

Le nouveau ciel de la Tour d’Argent laisse se refléter les couleurs de ses environs et du ballet qui s’y joue.
Le nouveau ciel de la Tour d’Argent laisse se refléter les couleurs de ses environs et du ballet qui s’y joue. Ambroise Tezenas

De nouveaux espaces pour la Tour d’Argent

Qui dit nouveau toit dit logiquement ajout d’un rooftop, une terrasse végétalisée qui accueillera les clients de l’établissement pour un digestif post repas ou des groupes qui l’auront privatisée pour des évènements. « Elle reprend la trame des deux niveaux de la salle du 6e, c’est un peu un second restaurant à ciel ouvert », explique Franklin Azzi.

L’architecte, qui a travaillé « pour mais surtout avec » son client, André Terrail, a également inclus au projet deux autres nouveaux espaces : un appartement privé qui permettra à ceux qui y passeront la nuit de, pourquoi pas, s’offrir les services du chef Yannick Franques, et un bar au rez-de-chaussée, qui donne « une nouvelle dimension » à ce qui servait autrefois de sas d’accueil.

Le nouveau toit-terrasse de la Tour d’Argent.
Le nouveau toit-terrasse de la Tour d’Argent. Ambroise Tezenas

« J’aime l’idée des bars d’hôtels dont la fonction évolue en fonction de l’heure de la journée », déclare l’architecte. Ainsi, le Bar des Maillets d’Argent servira petits-déjeuners comme goûters, capuccinos comme Expresso-Martinis, dans un décor feutré qui s’éloigne des codes du restaurant perché au sixième. S’y retrouvent néanmoins de nombreuses pièces d’art, anciennes comme modernes, héritées de la collection de la Tour d’Argent comme commandées à des artistes contemporains.

La fresque d’Antoine Carbonne.
La fresque d’Antoine Carbonne. Ambroise Tezenas

Un travail d’équipe

Parce que cette réalisation est un véritable projet total. « J’ai eu, pour la première fois peut-être, la sensation qu’on me faisait totalement confiance pour mener le chantier où je l’avais imaginé. Et pour ce faire, je me suis entouré de dizaine de corps de métiers différents, d’artisans parmi les meilleurs de leurs spécialités. »

Alors, si l’on aime à citer les artistes qui, de leur patte, ont aidé à propulser la Tour d’argent dans son époque (la fresque d’Antoine Carbonne, dans la salle haute du restaurant, est probablement la plus remarquable mais, caché dans l’appartement Augusta, le portrait en carreau de céramique de Maximilien Pellet n’est en rien moins réussi), il faudra également souligner le savoir-faire des artisans français qui ont accompagné Franklin Azzi et ses équipes. « Le lustre est à lui seul une autre prouesse technique », souligne l’architecte, désignant une pièce sculpturale réalisée dans les ateliers Alexis Néon et Ezeka.

Le lustre est composé de 277 pampilles de verre extra-clair crochetées à six anneaux d’acier chromé.
Le lustre est composé de 277 pampilles de verre extra-clair crochetées à six anneaux d’acier chromé. Ambroise Tezenas

Artisan parmi les artisans, celui sans lequel la Tour d’Argent n’aurait pas la même saveur s’est vu offrir une cuisine ouverte sur la salle. « Peut-être la partie du projet la plus compliquée, comme l’avoue sans détour Franklin Azzi. Il nous a fallu simplifier les flux, faire en sorte que les stations soient les plus proches possible pour raccourcir les manipulations… » Ouvrir une cuisine professionnelle face à ses clients, c’est aussi tout bonnement s’exposer au monde. « Une cuisine génère des bruits, des odeurs et, soyons honnêtes, des réactions humaines, commence Virginie Guyonnet. Nous pouvons néanmoins nous réjouir aujourd’hui de voir que le travail de Franklin Azzi a offert au chef un lieu de travail optimisé pour ses équipes et un véritable spectacle à ceux qui auront la chance de dîner face à eux ».

Et quel dîner ! Yannick Franques, aux fourneaux depuis 2019, réinterprète avec brio la cuisine qui a fait le succès de la Tour d’Argent. S’il s’autorise des mets audacieux, c’est pour mieux porter l’attention sur les classiques, comme le canard au sang, une recette presque centenaire revue et modernisée avec sensibilité. Preuve que les us et coutumes ne sont pas prêts de disparaître, on reçoit toujours un certificat de provenance numéroté de l’identité du caneton (au graphisme lui aussi modernisé), un geste adopté il y a 80 ans et qui fait perdurer la légende du plus vieux restaurant du monde.

Le Bar des Maillets d’Argent.
Le Bar des Maillets d’Argent. Ambroise Tezenas

> La Tour d’Argent. 15 Quai de la Tournelle, 75005 Paris. Réservations.