Très apprécié par les puissants de l’art contemporain, du groupe LVMH à la Fondation Luma en passant par la fondation Guggenheim, Frank Gehry ne doit en aucun cas voir sa carrière réduite à ces projets. Car si ses réalisations ont marqué l’architecture mondiale de ces trente dernières années, elles ne représentent qu’une petite partie de son parcours.
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Né le 28 février 1929 à Toronto, Frank Gehry grandit dans une famille modeste d’origine russe et polonaise. En 1947, ils déménagent à Los Angeles puis le jeune Canadien part étudier l’ingénierie et le génie chimique à Toronto. Il assiste un jour à une conférence d’Alvar Aalto : son premier contact avec l’architecture, et un déclic ! De retour en Californie, il suit des cours du soir pour s’initier à la discipline. Il est finalement diplômé d’architecture à l’Université de Californie du Sud en 1954.
Celui qui se qualifie rétrospectivement de progressiste apprend ensuite l’urbanisme à l’Université d’Harvard puis part en voyage d’études et découvre la culture européenne, opposée selon lui à l’architecture californienne. Il intègre différentes agences avant de fonder son propre studio en 1962, à Los Angeles où il vit toujours.
Dans son ouvrage « Frank Gehry, les chefs-d’oeuvre », publié chez Flammarion, Jean-Louis Cohen évoque l’arrivée du Canadien dans le paysage californien de la fin des années 70 : « C’est alors qu’apparurent en Californie du Sud, où le langage le plus caractéristique était jusque-là celui qu’avaient élaboré Richard Neutra et ses contemporains, des espaces et des formes surprenants. »
En 1978 est érigée une maison conçue pour sa famille à Santa Monica. Considérée comme un édifice fondateur par l’auteur, la bâtisse marque les esprits en raison de sa structure porteuse en bois exposée et des matériaux jusque-là jamais employés dans l’architecture résidentielle classique, comme la tôle ondulée ou le grillage.
A ce sujet, Cohen évoque les liens de Frank Gehry avec les artistes de Los Angeles comme Gordon Matta-Clark et Robert Rauschenberg qui exploraient les déchets ou la déconstruction des bâtiments. « Je ne sais pas distinguer le beau du laid » avait-il alors confié à un journaliste.
En plus d’éclater « l’orthodoxie moderne » de l’architecture, Frank Gehry a appris à s’entourer dans la seconde moitié des années 50, alors qu’il étudiait les centres commerciaux au sein de l’agence de Victor Gruen. « Gehry se familiarisa avec une méthode de travail fondée sur l’interaction avec de nombreux spécialistes, des ingénieurs aux graphistes, en passant par les acousticiens et les paysagistes. Il y découvrit l’importance de l’éclairage artificiel et y acquit le sens du détail. Surtout, il apprit à créer les effets les plus frappants avec les matériaux les plus économiques. » explique Cohen.
En charge de repenser l’Hollywood Bowl, il utilise des matériaux inhabituels comme des tubes de carton et des sphères de plastique. Autre scène musicale pensée par ses soins, le Walt Disney Concert Hall, qui nécessita près de quinze ans de travail.
Frank Gehry s’est aussi affiché comme un chantre de l’absurde, avec le bureau de l’agence Chiat/Day, flanquée d’une paire de jumelles.
Autre exercice du genre, le Restaurant Fish Dance à Kobe (1986-1987) dont le bâtiment n’est autre qu’une sculpture en forme de poisson.
Sa première réalisation européenne ? La sculpture « Balancing Tools », le Vitra Design Museum et un hall de fabrication pour la célébrissime maison d’édition Vitra.
D’ailleurs, c’est celle-ci qui édite aujourd’hui la « Wiggle Side Chair » créée en 1972 : une assise sculpturale durable et robuste conçue en carton.
La même année, il livre la maison du peintre Ron Davis (qui s’inspire des déformations géométriques dans ses œuvres), à Malibu. En 1985, Frank Gehry confiait à Peter Arnell et Ted Bickford, auteurs de Frank Gehry: Buildings and Projects : « J’étais nerveux à propos de ce projet. Je pensais que les angles pouvaient être bizarres et générer un sentiment de malaise. (…) Ce bâtiment a débloqué beaucoup d’autres possibilités pour moi. (…) Si rien n’est droit, on a une tout autre vision.»
A la fin des années 80, Gehry est l’un des premiers architectes « à utiliser l’ordinateur non plus pour la gestion, le calcul des structures ou le dessin des fonds de perspective, mais bien pour définir des formes aux courbures complexes qui étaient calculables et pouvaient être évaluées financièrement sans que les entreprises n’en fassent par peur de l’inconnu des évaluations astronomiques. » affirme Cohen. Le musée de Bilbao est d’ailleurs la première vitrine de cette nouvelle forme de pratique.
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Offrant à Frank Gehry son titre de « starchitecte », le musée Guggenheim (1991-1997) est la bâtisse de tous les superlatifs. Philip Johnson n’hésite pas à la comparer à la cathédrale de Chartres et estime qu’il s’agit du « plus grand bâtiment de notre époque ». 60.000 heures ont été nécessaires à la numérisation de la maquette physique, les vagues habillées de titane affichent une silhouette inspirée par la « Madone à l’Enfant » de Giovanni Bellini : le Guggenheim est un moment fort de la carrière de Gehry et de l’histoire de la conception des musées.
Un an plus tôt, l’architecte livrait à Prague l’Immeuble Nationale-Nederlanden. Ces deux tours cylindriques, dont l’une habillée de verre subit une torsion, furent rapidement rebaptisées « La maison qui danse » car elles rappellent Ginger Rodgers et son compagnon de danse Fred Aster.
Dans les années 90, Frank Gehry poursuit sa tournée européenne avec le Neuer Zollhof (1994-1999) à Düsseldorf, le siège de la DZ Bank à Berlin (1995-2001) et avec le MARTa à Herford (1998-2005) drapé « dans des voiles de briques ».
Auréolé du prix Pritzker en 1989, le Canadien signe la Pavillon Jay Pritzker à Chicago (1999-2004), élégant assemblage de tôles d’acier.
Avec l’Hôtel Marqués de Riscal à Eltziego en Espagne (2003-2006), Frank Gehry s’offre un retour spectaculaire en Espagne, venant poser sur les vignes de La Rioja, une étonnante fleur de titane.
De l’autre côté de l’Atlantique, l’architecte érige sa toute première tour avec la Beekman Tower à New York (2003-2011) trois ans avant l’inauguration de la Fondation Louis Vuitton (2004-2014). La légende voudrait que lors d’une visite à Bilbao, Bernard Arnault impressionné a eu l’ambition de confier à Gehry un projet de cette ampleur.
Tout comme le musée Guggenheim, la Fondation Vuitton renvoie à nombre d’objets d’inspirations, allant des grands édifices de verre parisiens à la « La Mer de glace » de Caspar David Friedrich peint en 1824, ou encore des voiles gonflées par le vent.
Autre mastodonte muséal signé Frank Gehry, la Fondation Luma à Arles (2007-2021), une tour sculpturale de 56 mètres de hauteur, constellée de 11 500 panneaux en inox.
Outre ces projets médiatiques, le monstre sacré de l’architecture internationale revisite la maison où tout avait commencé en 1978 à Santa Monica. Jean-Louis Cohen y lit « une solidité constructive » qui « forme une métaphore éloquente de la reconnaissance dont Gehry a fini, bien tard, par bénéficier à Los Angeles ».
> Pour en savoir plus, lisez « Frank Gehry, les chefs-d’oeuvre » de Jean-Louis Cohen chez Flammarion
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