Alors qu’en novembre le film E-1027, Eileen Gray et la maison en bord de mer (Béatrice Minger et Christophe Schaub, 2024) retraçait la construction de l’emblématique villa conçue par Eileen Gray et ses discordes avec Le Corbusier, les artistes Gerard & Kelly lui consacrent, en ce début d’année, une partie de leur exposition « Bardo » (jusqu’au 8 mars 2025 à la galerie Marian Goodman, à Paris).
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Hommage à Eileen Gray
Les artistes Gerard & Kelly fantasment ainsi la dernière journée passée par Eileen Gray dans la fameuse maison construite en 1929 à Roquebrune-Cap-Martin, sur la Côte d’Azur. Dans un court-métrage joyeusement anachronique, une jeune femme noire se lève, place un disque sur son gramophone, trottine au rythme de la musique, petit-déjeune au soleil et se brosse les dents tranquillement avant d’être dérangée par de violents coups frappés sur la porte d’entrée qui la ramènent à son passé – et à la réalité.
Bruyant et décoiffé, tout en tatouages, cheveux mi-longs et pantalon imprimé serpent, Bado rentre après une longue soirée arrosée. Lorsqu’il appelle notre héroïne Eileen, on comprend que les Américains Brennan Gerard et Ryan Kelly ont transposé l’irlandaise née en 1878 dans la peau d’une personne racisée. « À l’époque, être une femme architecte était très marginal, assure le duo. Eileen Gray n’a d’ailleurs pas eu le droit au titre d’architecte. S’il y a toutefois davantage de femmes architectes aujourd’hui, les femmes architectes noires sont malheureusement encore trop rares. »

Si les personnages ont réellement existé – Eileen Gray, la chanteuse Damia, son amante pour un temps, et Jean dit ‘Bado’ Badovici, son vieil ami pour qui elle a construit E-1027 – les situations et les dialogues, eux, ont été extrapolés voire inventés. Le triangle amoureux, la surprise party improvisée et, surtout, l’architecte partant incognito, ultra chic dans un ensemble en denim bleu surpiqué de blanc et lunettes noires vissées sur le nez, après avoir mis le feu à son chef-d’œuvre pour ne jamais y retourner. « Cet élément lui correspond beaucoup. Eileen Gray a brûlé une grande partie de ses archives, elle ne voulaient pas qu’elles lui survivent. Mais nous voulions également rappeler que le littoral méditerranéen est fragile et menacé, constamment victime d’incendies. »
L’architecture française en haut de l’affiche
La fiction se déguste en version augmentée, au sous-sol de la galerie Marian Goodman, jusqu’au 8 mars 2025, dans le cadre de l’exposition « Bardo » des artistes Gerard & Kelly. Assis sur un module de liège, le négatif du solarium présent sur la terrasse de la maison, les spectateurs s’immergent dans cet autre univers, grâce à un subtile jeu de son et lumière et à l’image retouchée en post production afin d’imiter le grain des pellicules du milieu d’antan.

Que ceux qui ne peuvent se déplacer jusqu’à la galerie située dans le 3e arrondissement de Paris, se réjouissent : le film E for Eileen sera diffusé début février sur France 2, accompagné de deux autres, à savoir Bright Hours, tourné à la Cité radieuse de Marseille et Panorama à la Bourse de Commerce, à Paris, formant la série Gerard & Kelly : In situ ! mettant à l’honneur trois chefs-d’œuvre de l’architecte française.
> Exposition « Bardo » de Gerard & Kelly, jusqu’au 8 mars à la galerie Marian Goodman, 79 rue du Temple, Paris 3e.
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