Design, presse et arabica : la revanche des kiosques à journaux

Longtemps voués au silence, les kiosques à journaux reprennent vie dans nos villes. Micro-architectures engagées ou vitrines de luxe temporaires, ils incarnent un nouvel urbanisme sensible, à mi-chemin entre culture de proximité, design et storytelling.

Sous son dôme vert, les kiosques à journaux ont longtemps veillé sur les trottoirs parisiens, comme discrets compagnons de trottoir. Puis, les rideaux sont tombés, un à un, relégués au rang de mobilier muet. Mais dans un monde automatisé, certains refusent de disparaître et font de la résistance. Ils rouvrent : réinventés et plus réveillés que jamais.


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Humbles héros du quotidien

Emblématiques dans le paysage parisien, les kiosques à journaux racontent l’évolution de nos quartiers comme aucun autre mobilier urbain. Jadis cœur battant de l’information de rue, ils ne sont aujourd’hui plus qu’une poignée : à peine 250 tiennent encore debout à Paris, contre plus de 500 il y a vingt ans.

Sous son dôme vert, les kiosques à journaux ont longtemps veillé sur les trottoirs parisiens, comme discrets compagnons de trottoir.
Sous son dôme vert, les kiosques à journaux ont longtemps veillé sur les trottoirs parisiens, comme discrets compagnons de trottoir. Geoffrey Chevtchenko Unsplash

Le canard ne s’arrache plus à la première heure. Le bruissement du papier a cédé la place au silence lissé des écrans éclairés. Pourtant, quelques irréductibles résistent qui ont déjà fait l’objet, il y a une dizaine d’année, d’un relooking complet pensé par matali crasset. Repeints, détournés, imprimés en 3D, habillés d’identités fortes, ces minuscules bastions culturels renaissent en librairie alternative, en corner de presse engagée, en encore micro-café ou en galerie miniature.

Le kiosque ne vend plus seulement des revues : il revendique une autre façon de lire, de voir, de parler. Véritable repère dans le paysage citadin, il rappelle que l’urbanité ne se résume pas à la circulation et aux buildings, mais se construit aussi dans ces petits gestes et ces rendez-vous quotidiens.

 

Néo-kiosques, vigie du bon goût

Parmi les pionniers du kiosque réinventé : News & Coffee, né à Barcelone, où l’on fait rimer arabica torréfié et presse affûtée, à travers des revues pointues internationales. On y vient pour l’odeur du papier, un mot échangé, un titre qu’on ne cherchait pas. À Bordeaux, tout a basculé pour Manon Locteau et Maxime Morcelet, duo créatif du Gang of Food, avec une affiche aperçue dans le tramway : et s’ils devenaient kiosquiers ?

Fermé depuis deux ans et demi, le kiosque de la place Pey-Berland rouvre grâce à leur énergie, avec une nouvelle identité : Basta Kiosque. Ambiance ultra-léchée (tabourets Tam Tam bleu ciel, chaises en métal chromé Ted Net de Niels Gammelgaard, typo travaillée), café de spécialité et magazines confidentiels. On y croise souvent les mêmes visages. Il y a ceux qui viennent chercher une revue design, d’autres, un prétexte pour retarder la journée avec un expresso bien tiré.

Print is not dead. Long live print. À Marseille, les kiosques non plus n’ont pas dit leur dernier mot. Devant le métro Chartreux, Pain Pan habille son kiosque d’un jaune solaire, version micro-architecture radieuse et repaire à bons grains. À Périer, l’ancien kiosque est devenu le QG des crus engagés et torréfiés maison du Café Corto. Au 128 boulevard Voltaire (XIe), le kiosque parisien joue lui aussi les caméléons, tantôt écrin pour les burgers végétaux du chef Alain Ducasse, tantot repaire à croissants dorés de la boulangerie Frappe.

Micro-architectures, maxi-impact

Petits par la taille, grands par leur impact, les kiosques à journaux tapent aussi dans l’œil des plus grandes marques. Bien plus qu’un comptoir, le kiosque devient vitrine pop-up, manifeste graphique et geste de storytelling incarné. En juin 2024, Miu Miu déploie son projet « Summer Reads » dans huit villes et célèbre la littérature au féminin au sein de kiosques à journaux revisités en version graphique : courbes fluides, silhouette blanche épurée et touches bleu marine.

Après les bouquinistes des quais de Seine, Louis Vuitton s’est invité dans les « edicole » vénitiens – ces petits kiosques traditionnels en bois – pour y présenter ses City Guide et Travel Book.
Après les bouquinistes des quais de Seine, Louis Vuitton s’est invité dans les « edicole » vénitiens – ces petits kiosques traditionnels en bois – pour y présenter ses City Guide et Travel Book. DR

Après les bouquinistes des quais de Seine, Louis Vuitton s’est invité dans les « edicole » vénitiens – ces petits kiosques traditionnels en bois – pour y présenter ses City Guide et Travel Book. La maison a ensuite investi un kiosque historique de Capri, avant de réinventer et d’exporter le modèle parisien jusqu’à Dubaï, tout en pêche et monogramme.

De Prague à Singapour, Hermès a aussi fait voyager son magazine Le Monde d’Hermès dans un kiosque orange vif aux allures de scène poétique : terrasse assortie, cafés fumants, bouquets de fleurs, portraitiste ou poète à la clé. Conçu par le studio MEAN*, l’un d’eux a même été imprimé en 3D à partir de matériaux 100 % recyclés et recyclables, avec des tuiles signature en forme de H.

De Prague à Singapour, Hermès a aussi fait voyager son magazine Le Monde d’Hermès dans un kiosque orange vif aux allures de scène poétique : terrasse assortie, cafés fumants, bouquets de fleurs, portraitiste ou poète à la clé. Ici le kiosque de Wozere Studio à Bercelone en 2023.
De Prague à Singapour, Hermès a aussi fait voyager son magazine Le Monde d’Hermès dans un kiosque orange vif aux allures de scène poétique : terrasse assortie, cafés fumants, bouquets de fleurs, portraitiste ou poète à la clé. Ici le kiosque de Wozere Studio à Bercelone en 2023. © Hermès

Tantôt bastion de la presse indépendante, tantôt vitrine éphémère, le kiosque à journaux se joue des étiquettes. Compact, ancré, symbolique, il devient un lieu de rencontres, d’histoires, de résistance douce à la vitesse et à l’indifférence.


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