Marion Mailaender, architecte d’intérieur et designer, est basée entre la Ville Lumière et la Cité Phocéenne. On lui doit notamment le Tuba Club, niché sur les Calanques marseillaise, rapidement devenu le lieu le plus prisé de la région. Quant à Fabien Cappello, Français passé par Londres avant de s’installer à Mexico, il séduit par son mobilier troué et bariolé. Elle est présidente du jury de la 8e édition de Design Parade Toulon, concours dédié à l’architecture d’intérieur, lui de la 18e édition du festival Design Parade Hyères, centré sur le design d’objets, qui auront lieu du 27 au 30 juin 2024. Tous deux sont également les invités d’honneur de cet événement qui met en lumière la crème de la nouvelle garde de la création. Rencontre.
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Design Parade 2024 : la voix du futur
IDEAT : Selon vous, pourquoi ces concours sont-ils si important ?
Marion Mailaender : Je ne vois pas d’autre festival soutenant à ce point la jeune création. Il fallait du courage pour se lancer dans une aventure pareille, et l’événement est de plus intéressant et de plus en plus suivi Et puis, la Villa Noailles, de manière générale, décentralise la culture depuis des années et n’a pas attendu que Marseille soit nommée capitale européenne de la culture en 2013.
Fabien Cappello : Cette opportunité peut changer la carrière d’un designer. Même participer aux ateliers pour enfant, comme je l’ai fait, ouvre des portes et change une vie.
IDEAT : Que vous envoient les candidats ?
Marion Mailaender : La sélection se fait en deux temps. D’abord nous recevons un dossier pdf comprenant plans et croquis. Lorsqu’ils sont sélectionnés pour le second tour de ce concours dédié à la scénographie et à la conception d’espaces, ils peuvent étoffer leur candidature d’échantillons et de maquettes. Certains ont fait des choses incroyables, même parmi les projets qui n’ont pas retenu notre attention. Des modèles réduits en terre cuite cou tissés, par exemple. Alice Roux et Mattia Listowski, qui ont conceptualisé une idée de voyage à travers la fenêtre d’un train, nous ont envoyé une myriade d’expérimentations de matières, d’émaux, des morceaux, des amorces d’idées. C’était très touchant. Quant à Martin Lichtig, nous avions du mal à comprendre son image mais il l’avait accompagnée de plans explicatifs et de maquettes. Il a imaginé un personnage possédant une gigantesque collection d’œuvres qu’il pourrait exposer dans un espace réduit grâce à des panneaux escamotables. Il aurait pu proposer des étagères pleines à craquer, mais il a préféré créer un véritable dispositif architectural qui répond à une problématique donnée.
Fabien Cappello : Après la présélection, j’ai convoqué le jury, fantastique cette année, dénué de designer – j’y tenais – mais des personnalités comprenant les objets à travers leurs différentes pratiques, leur art, des voix ayant une vision sur l’objets sans en être les concepteurs. Je tenais à ce qu’on élève le discours en faisant un pas de côté. Les candidats du concours design peuvent également enrichir leur dossier, mais ils sont tenus de respecter une taille assez limitée, presque plate, 5 centimètres d’épaisseur, je crois.
Une idée de transmission
IDEAT : Comment avez-vous choisi les finalistes ?
Marion Mailaender : Avec le jury de Design Parade Toulon 2024, composé notamment de Jean-Charles de Castelbajac et de Jean-François Lesage, nous avons souhaité mettre en avant les projets privilégiant le volume, l’espace et l’architecture intérieure au sens large – comment est-ce qu’on bouge dans l’espace, quels sont les points de vue créés, les perspectives, comment dirige-t-on le corps dans ce volume, etc. Nous avons également retenu des projets aux concepts et aux intentions très fortes, préférant la créativité à la réalisation parfaite, car nous avons considéré qu’ils étaient peut-être ceux avaient le plus besoin de notre aide.
Fabien Cappello : Je tenais à sélectionner un éventail de voix représentatives de ce que pourrait signifier la pratique du design aujourd’hui, pour ses jeunes. Beaucoup de points de vue différents, basculant du plus artistique au plus formel. Nous nous sommes posé la question de ce dont nous aurons besoin à l’avenir. J’ai confiance en ce que les plus jeunes ont à nous dire et à nous transmettre sur le futur du design. Cette discipline s’enrichit beaucoup de la jeunesse, de la compréhension qu’ils ont des choses. J’ai une approche très horizontale de la vie et des relations, et selon moi, en tant que jury, nous devions nous poser la question de ce que ces jeunes créateurs pouvaient nous apprendre, eux, plutôt que de poser un jugement sur leur travail. Je cherchais des valeurs très humaines, honnêtes, humbles, sans prétention, que ce soit pour des projets très industriels ou au contraire faits à la main. Nous cherchions des voix singulières et des créateurs maîtres de leur art.
IDEAT : Qu’ont en commun les projets de cette année ?
Marion Mailaender : Le concours d’architecture d’intérieur ayant comme thématique la Méditerranée, il a fait émerger des projets autour de la terre cuite, des questions de rafraichissement d’espace. De manière générale, l’artisanat est très présent. Ayant grandi à Marseille, la ville au bord de l’eau m’intéresse beaucoup et j’ai regretté parfois une vision un peu étroite, cliché qui émanait de certains dossiers. Beaucoup ont oublié la dualité qui règne en Méditerranée, le côté bling, too much, kitsch. Par exemple, nous avons reçu des projets sans machine à laver, fantasmant l’idée du lavoir dans cette région. Wendy Andreu, membre du jury âgée de moins de 30 ans, a refusé de but en blanc de soutenir ces candidatures : nous ne pouvons pas vivre de cette façon. En revanche, nous avons sélectionné Anaïs Fernon, qui a imaginé un système de rafraichissement avec un rideau de perles de terre cuite. Soit un traitement très actuel d’une problématique elle aussi très actuelle.
Fabien Cappello : Beaucoup parlent de contexte social, d’histoire, de décolonisation, de ressources à travers leurs objets. Le design va beaucoup plus loin que la création d’une forme, c’est une discipline connectée à un contexte, une société, un environnement, un lieu. Cette conception se ressent de plus en plus chez dans les projets de ces jeunes, déjà chez Yassine Ben Abdallah, qui a remporté le Grand prix Design Parade Hyères 2023 et fait cette année parti du jury.
IDEAT : Un conseil à donner aux 20 finalistes ?
Marion Mailaender : Continuer de travailler. Et être sincère.
Fabien Cappello : De nous ouvrir leur cœur, d’être le plus honnête possible avec qui ils sont. Éviter les outils qui pourraient générer une perception fausse.
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