Il y a 3 ans, Thibaut Saguet, fondateur de NV Gallery, ayant à cœur de faire vivre la griffe au-delà du meuble, approche la peintre et chanteuse Claire Laffut dans l’idée de créer ensemble une collection de mobilier imprégnée de son univers onirique. “Je fais beaucoup de musique et j’ai même accompagné quelques artistes au piano quand j’étais plus jeune, raconte l’entrepreneur. Nous avions suffisamment de points communs avec Claire pour envisager une collaboration.”
Claire Laffut a le design dans la peau. “Mon père est un fou de design, il m’emmenait avec lui à 6h du matin sur des brocantes pour y dénicher des pépites. J’adorais ces excursions, raconte la pétillante artiste. Il construit des maisons qu’il décore de A à Z et m’a ainsi transmis l’amour des objets. En grandissant, j’ai développé une certaine exigence envers eux, que ce soit au niveau de leur conception, de leur confort, de leur utilité et, surtout, de leur aspect visuel et de leurs vibrations.”
En 2016, avant même de se lancer dans la chanson, l’interprète d’Hiroshima, qui peignait déjà beaucoup, a été approchée par Red Editions afin de créer avec eux, à partir de ses dessins, une table en marbre à l’occasion de la Design Week parisienne. Pourtant, la jeune femme n’a jamais envisagé une carrière dans la création de mobilier. Après une blessure qui la force à renoncer à la danse, elle file à Bruxelles poursuivre un cursus dans la pub. “J’ai détesté”, avoue-t-elle. La peine de cœur qui suit la pousse à s’enfuir vers la capitale hexagonale. “Deux ans après mon arrivée, j’ai rencontré un musicien et nous passions des nuits entières en studio à faire des jams. Le chanteur du groupe venait de quitter Paris pour les Etats-Unis et j’ai commencé à improviser. Ça m’a possédé. C’est arrivé par le fruit du hasard et c’est devenu mon métier. Car, si j’avais pratiqué le piano enfant, je n’avais encore jamais chanté. Si je ne pensais plus à me replonger dans le design, j’ai toujours eu cette manie de vouloir dessiner mes pochettes d’album et les décors de mes clips vidéo.”
A lire aussi : Design et Musique : Les trois pièces iconiques de Claire Laffut
Rêve Lucide, une collection aux lignes organiques et réconfortantes
L’histoire de la collection commence à Ibiza, en plein confinement. “Je logeais dans une sorte de vieille finca très organique aux murs arrondis tout autour de moi, avec beaucoup de bois, continue la jeune femme. L’île, en plein hiver, est très différente de ce que j’en connaissais. Vidée de ses fêtards, la nature magnifique reprenait ses droits.”
Sur les moodboards qu’elle réalise, les peintures surréalistes de l’Américaine Gertrude Abercrombie sont légion. “L’oeuvre Self-Imprisonment (1949), dans lequel une femme, de dos, reste accrochée aux barreaux d’une fenêtre, ne se rendant pas compte que derrière elle, sa prison posée au milieu d’une terre déserte est ouverte, m’évoquait cet instant où il était devenu compliqué de faire de la musique, à faire à cause de notre isolement forcé et de l’interdiction de se produire en concert. Comment retrouver une liberté créative lorsque l’on est réfugié dans nos maisons ?”
Claire imagine une collection réconfortante, des meubles aux lignes généreuses, tout en rondeurs et aux tissus doudou. Surtout “rien de froid ni de prétentieux.” La table Paleta en bois, reprenant l’aspect d’une palette de peintre déformée, cet objet si personnel pour elle, sur lequel elle mélange ses pigments et concocte sa petite chimie. Le canapé Archipel au socle en bois supportant une “sorte de barque”. Le miroir Ahora impressionne par ses lignes sculpturales. “Le miroir a été un objet particulièrement important pour moi, que ce soit dans mon enfance en tant que femme, car il représente le regard que l’on pose sur soi. Quand j’avais environ 10 ans, j’entrais dans la chambre de ma mère et, en me regardant dans l’immense miroir de son dressing, j’avais l’impression de capturer un morceau de la vie, un bout du moment présent – d’où le nom que j’ai donné au mien, qui signifie “maintenant” en espagnol.” Quant à la lampe Songe, elle reproduit la lumière des pleines lune légèrement rosée, invitant à une introspection bienveillante.
Lanzarote comme terrain de jeu
“J’ai incarné la collection du début à la fin, affirme Claire. Il était très important pour moi d’être présente à chaque étape.” Ainsi, la chanteuse choisit Lanzarote comme terrain de jeu pour mettre en scène ses pièces. “Si la collection est née à Ibiza, je préférais un lieu plus lunaire et cette île est un endroit très spécial, improbable, où on a l’impression d’être sur une autre planète. Grâce à l’artiste César Manrique, Lanzarote a banni la publicité et toute l’architecture respecte le paysage, les œuvres sont parfois enfouies dans la roche, rien ne déforme ni ne vient violer la beauté et l’harmonie de la nature. Ce qui selon moi résonne avec la collection dont le nom, Rêve Lucide, symbolise l’oxymore parfaite dans laquelle je vis en tant qu’artiste qui cherche à interpréter le monde de manière poétique tout en me confrontant à la réalité.”
Évanescente, la collection laisse de côté la couleur, privilégiant le crème et le bois naturel, comme une page blanche sur laquelle l’esprit vagabonde, sans que sa créativité ne soit court-circuitée par un intérieur trop chargé. “Il s’agit d’une maison de retraite artistique fantasmée, qui n’existe que dans ma tête. Bizarrement, mon chez moi ressemble davantage à un tableau du Douanier Rousseau, très coloré, avec des oiseaux du paradis, des peintures, des guitares et énormément de vêtements partout !”
A lire aussi : Le nouveau visage de l’artisanat portugais