Charlotte Macaux Perelman et Alexis Fabry, l’émotion juste chez Hermès

C’est sur la matérialité que Charlotte Macaux Perelman et Alexis Fabry, directeurs artistiques du pôle maison d’Hermès depuis 2014, ont travaillé pour décliner les dernières collections de l’enseigne. De quoi confirmer la philosophie originelle de la marque, faire rimer la beauté des matières et l’essence du geste pour lancer des lignes encore plus manufacturées, inventives et, surtout, extrêmement élégantes.

Ils se connaissent depuis l’adolescence, autant dire depuis toujours. Tous les deux parisiens, Charlotte Macaux Perelman et Alexis Fabry se sont découverts récemment des origines espagnoles. Cela a sans doute accentué leur complicité, leur manière de se réclamer d’une même sensibilité. Tenter l’aventure d’une direction artistique en binôme pour Hermès fut donc une évidence. « Je ne pense pas que j’aurais accepté cette mission seul(e) », confient-ils. 

L’excellence comme leitmotiv

Ces centres de table Sialk sont réalisés avec une feuille de cuivre émaillée au pochoir.
Ces centres de table Sialk sont réalisés avec une feuille de cuivre émaillée au pochoir. MAXIME VERRET

Architecte DPLG, Charlotte Macaux Perelman est diplômée de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts. Elle a fondé son agence, Studio CMP, à New York, en 2005, puis installé une antenne à Paris, en 2010, non sans avoir fait ses armes chez Philippe Starck, à Paris, chez David Rockwell, à New York, et au sein du groupe hôtelier André Balazs. De son côté, Alexis Fabry, commissaire d’exposition et éditeur, spécialisé dans la photographie sud-américaine, a lancé les éditions Toluca en 2003, avec le designer Olivier Andreotti, et présenté en février dernier, à la Fondation Cartier, une rétrospective sur l’œuvre de la photographe mexicaine Graciela Iturbide.

L’un et l’autre avouent avoir du mal à croire qu’ils travaillent pour une maison qui fait de l’excellence son leitmotiv tout en n’imposant ni cahier des charges ni pression en matière de collections, d’images et surtout commerciale. « Hermès est, en ce sens, une maison anormale », affirme avec humour Alexis Fabry. Et si cela fonctionne depuis huit ans, c’est parce qu’ils ont trouvé un équilibre parfait dans leur manière de gérer les quatre départements (maison, Horizon, la cristallerie Saint-Louis et l’orfèvrerie Puiforcat) et, surtout, parce que leur collaboration repose sur des principes : la confiance, le dialogue, l’absence d’égo, les mêmes goûts, l’accord immédiat (ou pas) d’un simple regard. 

Magnifier le savoir-faire

Les tables Satellite et les chaises Oria d’Hermès, signées Rafael Moneo :
Les tables Satellite et les chaises Oria d’Hermès, signées Rafael Moneo : MAXIME VERRET

Tout a commencé par un déjeuner, en 2013, avec Axel et Pierre-Alexis Dumas, cousins et, respectivement, gérant et directeur artistique général d’Hermès. « Nous avons été complètement abasourdis par leur proposition », racontent Charlotte Macaux Perelman et Alexis Fabry. « D’autant plus que mon activité personnelle démarrait », ajoute ce dernier. Faire des choses dont ils puissent être fiers fut donc l’objectif qu’ils se sont fixé dès le départ. « Il était logique de démarrer par un travail de substitution, afin de proposer quelque chose de plus adapté à la marque, à notre vision de l’habitat », explique Alexis Fabry. Autre défi qu’ils ont relevé avec brio, préserver, voire magnifier les sacro-saintes valeurs de la maison : le patrimoine, la continuité, le savoir-faire, les métiers d’art et la « religion de la qualité », comme le dit le commissaire, quitte, pour la première fois, à accepter une certaine forme d’imperfection, d’irrégularité.

C’est ce que l’on remarque par exemple à travers le fauteuil Sillage d’Hermès, imaginé par le studio d’architecture Studio Mumbai. « Notre première idée, c’était de faire du mobilier en papier mâché, disent-ils, mais surtout une pièce décorée et colorée. » Résultat : une ossature en bois enduite d’une pâte de microfibre de cellulose réalisée dans les Pouilles, en Italie, berceau du papier mâché depuis le XVIe siècle, puis peinte à la main ligne par ligne. L’émotion que véhicule le travail manuel se lit également à travers la pierre bleue du Hainaut de la table basse Lignage d’Hermès. Sombre, elle devient blanche lorsqu’on la grave. Ici, les traits tracés à la règle évoquent les rayons du soleil. Même impression avec les coupes Sialk en cuivre émaillé au pochoir, une première chez Hermès qui a recours à une technique ancienne pratiquée par une artiste italienne qui fabrique des boutons pour le prêt-à-porter.

« Notre mission est de continuer sur la voie de l’intemporalité, même s’il n’y a rien de plus difficile, poursuivent Charlotte Macaux Perelman et Alexis Fabry. Comment faire des pièces qui résistent au temps alors que dès l’instant où elles sont produites, elles semblent déjà s’inscrire dans une forme de passé ? » Ces apports de matières et de savoir-faire ont donc été révélés durant le dernier Salon du meuble de Milan, en septembre, lors de la présentation « Matières à réflexion ». Et la question était simple : comment s’extraire du cuir, c’est-à-dire de l’identité même du sellier français, sans pour autant renier l’âme de la maison ? « On avait également oublié l’histoire qu’a Hermès, depuis son origine, avec la couleur, rappellent-ils. La richesse chromatique des créations de la maison a toujours été présente. Il était évident d’y revenir. » Ce qu’illustrent, par exemple, les corbeilles en cuir et en osier Chromatic ou encore les plaids en cachemire tissé et teint à la main H Dye. 

Le sofa Sellier, signé Noé Duchaufour-Lawrence.
Le sofa Sellier, signé Noé Duchaufour-Lawrence. MAXIME VERRET

De l’âme avant tout

Leur inspiration naît des livres, d’événements imprévisibles, de tout ce qu’ils collectionnent, de la vannerie et de la céramique contemporaine. Elle provient en outre de leur goût commun pour les cultures extra-occidentales : le Japon, l’Amérique latine, l’Afrique, mais aussi de « certains pays qui pratiquent un design protestant », ajoutent-ils, c’est-à-dire épuré, mais avec une âme. « Toutes ces collections nourrissent également le travail de nos agences respectives, renchérit l’architecte. Car si auparavant nos centres d’intérêt étaient cantonnés au secteur privé, faire des objets et du mobilier pour un plus large public et des domaines variés a étendu notre vision et notre réflexion. » 

Et c’est avec le même feu sacré que le duo gère les quatre départements : maison, Puiforcat, Saint-Louis et Horizon, un secteur de niche traitant de la mobilité et produisant des pièces exceptionnelles, comme un vélo, une moto, un yacht, un baby-foot, un cerf-volant, une planche de surf ou une cage à oiseaux. « Pour Puiforcat, on va tenter de franchir des lignes rouges qui ne l’ont jamais été… » confie Alexis Fabry, sans rien ajouter. 

Le fauteuil Sillage d’Hermès, imaginé par l’architecte et designer indien Bijoy Jain (Studio Mumbai),
Le fauteuil Sillage d’Hermès, imaginé par l’architecte et designer indien Bijoy Jain (Studio Mumbai), MAXIME VERRET

« Travailler pour Hermès m’a initié à un certain sens de l’organisation, reconnaît l’homme, celui des contraintes et des vertus de cette dernière. » Car, au début de l’aventure, s’il leur semblait évident qu’ils n’arriveraient pas forcément à garder leur activité respective, la suite a prouvé le contraire. « Nous ignorions qu’Hermès allait à l’inverse servir de contrepoint à ce que nous faisions parallèlement. Cette collaboration est positive et nourrissante », analyse la jeune femme qui a conservé son travail au sein de son agence d’architecture et de design. Mais c’est surtout dans les scénographies réalisées lors des Salons du meuble de Milan qu’elle utilise sa sensibilité d’architecte en faisant rimer perspective, lumière, volume, sauvegarde des éléments d’origine mixés avec des matières d’aujourd’hui et simplification pour laisser l’essentiel s’exprimer. 

On retrouve ces thèmes dans les appartements qu’elle conçoit comme des écrins abritant des collections personnelles, mais également dans des réalisations ouvertes au public comme l’hôtel The Raleigh, à Miami, un lieu Art déco classé qu’elle a traité dans l’esprit de Cuba des années 40, le restaurant Tanuki Tavern, où elle a réinterprété à la mode new-yorkaise une architecture rustique japonaise, ou encore l’hôtel Royalton, à New York, créé par Philippe Starck à la fin des années 80 et qu’elle a rénové dans un style glamour et graphique. Et cette sensibilité pour les petites maisons cubiques et simples comme des cabanes se détecte dans les scénographies qu’elle conçoit pour Hermès, afin de présenter et magnifier les collections chaque année. 

La scénographie réalisée pour Hermès au Salon du meuble de Milan 2021.
La scénographie réalisée pour Hermès au Salon du meuble de Milan 2021. MAXIME VERRET

En 2017, ce fut donc des pavillons en brique blanche répartis sur 300 m2; en 2018, sept maisons recouvertes de zelliges de différentes couleurs, disposées sur 300 m2 ; en 2021, cinq pavillons aux murs en bois chaulé hauts de 7 mètres, confiés à des décorateurs de la Scala de Milan, reprenant des motifs de plaids dessinés par l’artiste italien Gianpaolo Pagni pour le sellier français. « On souhaitait aboutir à une architecture peinte, dit-elle, quelque chose qui soit frais et léger, graphique et coloré. » « Il nous a toujours semblé qu’à Milan, dans le contexte d’une foire dévolue au mobilier, à ce qui est mobile et transportable, il était particulièrement intéressant d’inscrire nos créations dans un édifice charpenté et corpulent, conclut Alexis Fabry, de privilégier l’architecture plutôt que la scénographie. Et qui mieux qu’une architecte pour concevoir cela ? » 

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