Portrait : Philippe Starck (1949-), la superstar du french Design

Meubles, restaurants, mais aussi lunettes, casque audio, hôtels, champagne, yachts… Les créations signées Philippe Starck sont partout. Œuvrant depuis les années 1970 dans tous les univers domestiques, ce partisan d’un design démocratique a couvert le monde de ses objets. Retour sur la carrière du Français qui a imposé sa signature humaniste dans notre quotidien.

Philippe Starck fait partie du cercle très restreint des designers superstars. Au cours de sa carrière entamée à la fin des années 1970, il a dessiné plus de 10 000 objets. Le designer le confie volontiers, cette passion de la création lui vient de son père, concepteur aéronautique. Fort de cet héritage, il entame des études à l’école Nissim de Camondo. C’est là qu’il crée en 1969 son tout premier meuble gonflable, inspiré par le visionnaire Quasar Khanh. Il est ensuite embauché par Pierre Cardin en tant que directeur artistique de sa maison d’édition et commence à imaginer des lieux de nuit : La Main bleue à Montreuil puis les mythiques Bains-Douches à Paris. En 1983, François Mitterrand lui demande de décorer les appartements privés de l’Élysée et l’année suivante, la renommée de Starck explose avec le Café Costes. Il ouvre alors sa première agence de design industriel, Starck Products, qu’il rebaptise ensuite Ubik en hommage au maître de la SF Philip K. Dick. C’est le début de nombreuses collaborations avec des éditeurs internationaux tels que Kartell, Driade, Magis, Alessi ou Vitra.

Dès les prémices de sa carrière, Philippe Starck envisage le métier de façon très humaniste. Il se voit comme un apporteur de solutions aux problématiques globales de ses congénères. Selon lui, le travail des designers doit s’adresser à tous et s’inscrire dans l’évolution du monde. C’est la raison pour laquelle il s’attache à concevoir essentiellement des objets de consommation courante. La diminution des coûts passe alors par la production en série et l’utilisation du canal de la vente par correspondance. Par ce biais, il parvient à toucher un large public et bousculer les conceptions préétablies, comme lorsqu’il vend une maison sur plan dans le catalogue des 3Suisses.

« S’il n’y a pas de vision, humaine, sociale ou amoureuse, un projet n’a pas de légitimité à exister » Philippe Starck

Sa renommée prend toutefois son essor grâce à ses compétences en matière de design d’intérieur et à un homme : François Mitterrand. En 1983, peu de temps après qu’il a été élu, le président d’alors lui confie la décoration de ses appartements privés au palais de l’Élysée. Les Français, et en particulier un dénommé Gilbert Costes, découvrent alors le nom et l’œuvre de Philippe Starck. Flairant le potentiel du designer au succès grandissant, qui pourrait, par la même occasion, offrir un joli coup de pub au café qu’il s’apprête à ouvrir, Costes lui confie dans la foulée la conception de son établissement. Cette fois, le succès est tel qu’il dépasse les frontières et c’est le monde entier qui découvre son nom et son œuvre : la carrière de Philippe Starck est lancée !

Les objets design de Philipe Starck 

Dans sa carrière de designer, Philippe Starck n’a eu de cesse d’élaborer des objets malins et peu onéreux. « Mon objectif est d’améliorer la qualité tout en m’efforçant de la rendre accessible au plus grand nombre, avec des prix justes », plaide-t-il. Impossible de recenser toutes les typologies auxquelles il s’est attaqué mais citons en vrac, comme un inventaire à la Prévert, le presse-citron Juicy Salif (Alessi, 1987), les pâtes pour Panzani (1996), les brosses à dents Fluocaril, les couteaux Laguiole (2012) la Freebox Révolution (2010), la carte Navigo (2011), les parfums Nina Ricci (2010), les tongs Ipanema (2015), la poussette Maclaren (2006)…

Le presse-agrumes Juicy Salif (Alessi, 1990) marque les esprits. Avec ses longues pattes, sa forme mystérieuse inspirée d’un repas de fruits de mer, il ne laisse personne indifférent.
Le presse-agrumes Juicy Salif (Alessi, 1990) marque les esprits. Avec ses longues pattes, sa forme mystérieuse inspirée d’un repas de fruits de mer, il ne laisse personne indifférent. Starck

Quant à sa production de mobilier, elle a réussi à marquer chaque décennie depuis les années 1980. Ses assises notamment incarnent à merveille les préceptes qu’il met en avant : elles associent audace formelle et accessibilité. Avec modèle Louis Ghost (Kartell, 2000), il recrée un fauteuil Louis XVI en plastique transparent, ce qui lui permet d’intégrer à la fois les intérieurs anciens et les contemporains. Un carton écoulé à plus d’un million d’exemplaires… Les tabourets WW Stool (Vitra, 1990) et Bubu (3 Suisses, 1991) ou encore les chaises Masters (Kartell, 2009) et PIP-e (Driade, 2008) sont autant de créations qui partagent cette conception démocratique du design et l’utilisation du plastique pour plus de transparence, de légèreté.

Fauteuil Louis Ghost (Kartell, 2000).
Fauteuil Louis Ghost (Kartell, 2000). DR
Le fauteuil Masters mélange les lignes de trois chaises iconiques signées Eames, Saarinen et Jacobsen (Kartell, 2009).
Le fauteuil Masters mélange les lignes de trois chaises iconiques signées Eames, Saarinen et Jacobsen (Kartell, 2009). DR

Au cours des années 2010, Starck s’attaque à l’urgence écologique et modifie sa pratique en profondeur. « J’ai tenté d’orienter le métier du design dans une action politique et sociale, complice mais dénonciatrice, pour créer de l’action et de la réaction. » Il s’emploie dès lors à réduire le rôle de plastique et à créer des meubles robustes et intemporels, plus durables…

La chaise AI est conçue pour utiliser le moins possible de matériau (Kartell, 2020).
La chaise AI est conçue pour utiliser le moins possible de matériau (Kartell, 2020). Kartell

Cet engagement se traduit au fil de sa carrière par des objets chocs comme la lampe Gun (Flos, 2005) ou le tabouret Attila (Kartell, 1999).

Plein d’humour, Philippe Starck s’inspire des nains de jardins pour concevoir le tabouret Attila (Kartell, 1999).
Plein d’humour, Philippe Starck s’inspire des nains de jardins pour concevoir le tabouret Attila (Kartell, 1999). Kartell
Avec les lampes Gun (Flos, 2005), Starck questionne la banalisation de la violence.
Avec les lampes Gun (Flos, 2005), Starck questionne la banalisation de la violence. Flos

 

Les années 1980 sont une période faste pour Starck architecte, qui érige des bâtiments au Japon d’abord, puis aux États-Unis et en Europe, notamment avec les condominiums Yoo à Londres au début des années 2000…

Le Mama Shelter de Marseille est le deuxième en France après Paris. Philippe Starck décrit l’endroit comme étant : « le jeans de l’hôtellerie, issue des nouvelles valeurs sociales telles que la rigueur, l’honnêteté, l’intelligence et l’humour ».
Le Mama Shelter de Marseille est le deuxième en France après Paris. Philippe Starck décrit l’endroit comme étant : « le jeans de l’hôtellerie, issue des nouvelles valeurs sociales telles que la rigueur, l’honnêteté, l’intelligence et l’humour ». DR

Mais c’est surtout sur le front des hôtels qu’il se fait un nom. Avec l’entrepreneur new-yorkais Ian Schrager, il crée successivement le Royalton, puis le Delano, le Mondrian, le Sanderson, les SLS… Autant d’établissements qui renouvellent en profondeur l’hôtellerie américaine en y apportant sa touche contemporaine et chaleureuse, qui en fait de véritables lieux de vie et non plus de passage… Au début des années 2000, Starck signe coup sur coup à Rio de Janeiro le Faena et le Fasano, où il rend hommage aux maîtres du design brésilien. À Paris, il rénove avec malice le prestigieux Meurice (2008) puis le Royal Monceau (2010), puis il s’allie à la famille Trigano et au penseur Cyril Aouizerate pour imaginer le concept Mama Shelter : situés dans des quartiers populaires, ces hôtels proposent des expériences dans un cadre soigné mais à prix abordable. Suivront la Co(o)rniche et le Haitza sur le bassin d’Arcachon, le Brach et le 9Confidentiel à Paris…

Le restaurant Ma Cocotte a été pensé comme un lieu chaleureux et convivial dans lequel on se sent comme à la maison.
Le restaurant Ma Cocotte a été pensé comme un lieu chaleureux et convivial dans lequel on se sent comme à la maison. Starck

Simultanément, Philippe Starck est sollicité par bon nombre de restaurants à travers le monde. Pour le designer, c’est un moyen de développer de nouvelles idées et d’insuffler une âme différente dans chaque projet. À Paris, il dessine successivement Bon (2000), Bon II (2002), le Kong (2003) et le restaurant de la Maison Baccarat (2004), mais aussi le Paradis du fruit (2009) et Ma Cocotte aux Puces de Saint-Ouen (2012). Doté d’une conscience éthique, il est particulièrement engagé dans les causes environnementales et humaines. Les restaurants auxquels il participe sont alors abordables, tantôt bio, tantôt gastronomiques, et parfois les deux à la fois.

« Le Royal Monceau n’a rien à voir une fois de plus avec l’architecture ou la décoration, c’est une exploration. C’est l’exploration de ce qu’est, de ce que devrait, de ce que pourrait être l’esprit français. Nos qualités, nos défauts, cette poésie, ce romantisme, cette réflexion, cet esprit critique au plus haut niveau développé qui tue ou qui qualifie. » Philippe Starck
« Le Royal Monceau n’a rien à voir une fois de plus avec l’architecture ou la décoration, c’est une exploration. C’est l’exploration de ce qu’est, de ce que devrait, de ce que pourrait être l’esprit français. Nos qualités, nos défauts, cette poésie, ce romantisme, cette réflexion, cet esprit critique au plus haut niveau développé qui tue ou qui qualifie. » Philippe Starck Starck

Starck, l’architecte

À partir de 1989, il crée de nombreux immeubles au Japon, tous plus singuliers les uns que les autres. Le Nani Nani (Tokyo, 1989) est un bâtiment anthropomorphique aux façades de cuivre. Le choix du matériau n’est pas anodin puisqu’il est voué à évoluer au fil du temps et prendre une couleur verte, unique, qui confère une part de vivant à la bâtisse. L’idée est d’investir l’environnement sans pour autant le bouleverser. Les années suivantes, il poursuit ses créations nippones en construisant l’Asahi Beer Hall (Tokyo, 1990) puis l’ensemble de bureaux Le Baron vert (Osaka, 1992). De retour en France, c’est à Paris qu’il officie le plus. Il agrémente d’abord le mobilier urbain de panneaux « Histoire de Paris » (1992) avant d’être chargé d’agrandir l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs (ENSAD, 1998). 

Au sujet du Nani Nani (Tokyo, 1989), Philippe Starck déclare : « L’immeuble en vivant, en vieillissant, s’oxyde et remplit ses racines qui tracent ainsi quelques messages secrets qu’on pourra lire quand l’immeuble sera arrivé à maturité. »
Au sujet du Nani Nani (Tokyo, 1989), Philippe Starck déclare : « L’immeuble en vivant, en vieillissant, s’oxyde et remplit ses racines qui tracent ainsi quelques messages secrets qu’on pourra lire quand l’immeuble sera arrivé à maturité. » Starck

En embrassant tous les objets de notre vie quotidienne de manière aussi enthousiaste et humaine, Philippe Starck a donné une visibilité au design dans notre pays. Nombreux sont ceux à posséder – sans le savoir – une œuvre du designer. Si le pari de la massification est donc réussi, il n’amenuise en rien la créativité d’un créateur qui continue à imaginer le monde de demain, en se penchant aujourd’hui sur la mobilité et l’écologie.

Situé à Montpellier, le Nuage (2014) de Philippe Starck est le tout premier bâtiment gonflable d’Europe.
Situé à Montpellier, le Nuage (2014) de Philippe Starck est le tout premier bâtiment gonflable d’Europe. Starck