Cabane : un mythe bien durable

Première forme d’architecture construite par l’homme, la cabane continue au XXIe siècle d’agir comme une image de l’abri minimal auquel certains aspirent. Les crises actuelles, générées par la société consumériste, ne sont évidemment pas étrangères à ce mouvement d’ampleur, qui prône une décroissance positive.

Cabanes de pêcheur, de chasseur, de chantier, de jardin, de Robinson, dans les arbres, en bois, en pierre sèche… la liste est longue quant aux déclinaisons de ce qui est, à la base, un petit abri rudimentaire, souvent fabriqué en fonction des matériaux trouvés sur place et qui n’est pas vraiment fait pour durer. Mais la cabane est aussi celle du sans-abri qui, à l’aide de cartons, de bâches en plastique et d’autres éléments récupérés, se bâtit justement une forme de « chez lui », une protection. Elle est également synonyme de prison – « aller en cabane » –, autrement dit, un lieu pas vraiment choisi et que l’on espère temporaire !

La Cabane éclatée aux plexiglas colorés et transparents, Situated Work (2007), de Daniel Buren, permet de déambuler pour avoir des points de vue différents sur cette « maison » en trois dimensions.
La Cabane éclatée aux plexiglas colorés et transparents, Situated Work (2007), de Daniel Buren, permet de déambuler pour avoir des points de vue différents sur cette « maison » en trois dimensions.  db adagp / archives kamel mennour

À l’inverse, il y a celle de l’enfant qui cherche à se créer un espace propre. Tout petit, il utilise des chaises, des couvertures et tout autre accessoire domestique pour élaborer une cachette. Plus tard, à l’adolescence, il choisira comme refuge la forêt ou un territoire en friche, qui se veut à l’écart du monde des adultes. « La cabane est telle une seconde peau, la couche tout de suite après le vêtement. Elle est finalement propre à chacun d’entre nous. Chaque individu devrait être le seul à pouvoir se construire sa cabane selon ses besoins et ses envies », souligne l’architecte Hugo Haas, qui se souvient avoir soutenu son diplôme avec cette typologie de construction.

La cabane, une source d’inspiration

Le fameux Cabanon (1951), de Le Corbusier, situé à Roquebrune-Cap-Martin, offre le minimum vital dans 14 m2. Élevée au rang d’œuvre d’art, mais aussi d’icône de l’architecture moderne, cette modeste construction en bois renoue avec le mythe de la cabane primitive.
Le fameux Cabanon (1951), de Le Corbusier, situé à Roquebrune-Cap-Martin, offre le minimum vital dans 14 m2. Élevée au rang d’œuvre d’art, mais aussi d’icône de l’architecture moderne, cette modeste construction en bois renoue avec le mythe de la cabane primitive. FLC / ADAGP / OMG

Cette logique a d’ailleurs été celle arguée par Le Corbusier lorsqu’il décide, au début des années 50, alors qu’il érige de grands ensembles à travers le monde, de concevoir son Cabanon. Tout en bois, cette maisonnette de vacances située au bord de l’eau, à Roquebrune-Cap-Martin (Alpes-Maritimes), n’excède pas les 14 m2 (3,66 x 3,66 x 2,26 m) et comporte selon l’architecte tout le nécessaire pour vivre. Le Cabanon de Le Corbusier va, dès lors, devenir une référence pour certains bâtisseurs de renom, une sorte de mythe dans la quête du minimum vital tandis que la société de consommation bat son plein.

La cabane sur pilotis Youza.
La cabane sur pilotis Youza. DR

D’autres, comme Norman Foster et son Cockpit ou Renzo Piano avec le projet Diogène, vont d’ailleurs s’essayer à l’exercice. De même, des artistes, tels le Français Daniel Buren, le Suisse Not Vital, ou le Japonais Tadashi Kawamata, vont s’emparer du concept pour interroger la notion d’habiter. Mais, là encore, il s’agit davantage d’interpeller sur un mode philosophique que de proposer des solutions applicables à grande échelle.

Aujourd’hui, force est de constater que le mythe de la cabane quitte le registre de l’utopie et gagne un large public et ses envies en répondant à ce besoin de retourner à la source, de trouver un lieu accueillant, où l’on va se sentir bien même s’il est rudimentaire, et si possible en osmose avec la nature. Avec des étudiants de l’École supérieure d’art et de design de Toulon, l’architecte Olivier Vadrot a justement conduit un workshop pour réfléchir à l’idée d’un habitat Minimum – le nom du projet – dont la mise en œuvre est facilement réalisable.

Dans l’air du temps

La cabane de la Villa de Medicis.
La cabane de la Villa de Medicis. DR

« D’une certaine manière, je suis reparti du concept de mobilier d’après un mode d’emploi qu’avait lancé dans les années 70 le designer et architecte Enzo Mari (1932-2020, NDLR), via l’Autoprogettazione. Ainsi, en deux jours, deux personnes peuvent monter une cabane de 7 m2, dont le budget n’excède pas 3 000 €, grâce à des solutions constructives simplifiées. Par ailleurs, les plans et les modalités seront prochainement mis en ligne et téléchargeables gratuitement », explique l’architecte, qui s’est déjà attelé à plusieurs projets de « petites » structures modulaires venant réparer des oublis ou des vides dans des édifices à vocation culturelle.

L’hôtellerie est à ce titre un secteur prometteur dans cet art de vivre en harmonie avec la nature. La bien nommée société française La Cabane perchée a ainsi été pionnière en proposant de construire des cabanes en bois dans les arbres, le plus souvent à destination de complexes hôteliers. Le projet Treehotel, démarré il y a une dizaine d’années, au cœur de la Laponie suédoise, s’est d’ailleurs inspiré de la démarche française lorsqu’il a invité des architectes à concevoir de nouvelles chambres.

Seule différence, la plupart de ces modèles s’écartent de celui de la cabane en bois au profit de cabines employant des matériaux parfois inattendus, comme du verre, pour un rapport plus immédiat encore avec la nature. Dans cette veine, on pourrait également citer les huttes de La Grenouillère, conçues par l’architecte Patrick Bouchain d’après celles bâties pour la chasse, sur les côtes du Pas-de-Calais ; les hytter (« huttes », en français) d’inspiration scandinave, de Reiulf Ramstad, pour l’hôtel 48° Nord, dans les Vosges alsaciennes (voir notre hors-série Architecture IDEAT #21) ; ou bien le très récent écolodge Youza, implanté au cœur d’un domaine forestier de 32 hectares dans l’Eure, riche d’une vingtaine de cabines dessinées par Cent15 Architecture. À quand de grands groupes qui opteront pour ces modèles d’hospitalité plus authentiques ?

Vue de la cabane sur la rivière.
Vue de la cabane sur la rivière. DR

Pour autant, le phénomène a déjà pris de l’ampleur. Le site Cabinporn.com, avec ses sept millions de vues, et le livre qui en émane, publié en sept langues, témoignent de l’engouement du public pour cet habitat aux allures simplifiées. Depuis quelque temps, on assiste également à la création d’événements dévolus au genre « cabane », à l’image de l’exposition estivale « Cabanes d’architectes », au donjon de Vez (Oise), ou du Festival des cabanes, organisé chaque été par la Villa Médicis, à Rome.

Le cabanon Diogène Renzo Piano.
Le cabanon Diogène Renzo Piano. DR

De même, la « maisonnette » a suscité l’éclosion de typologies apparentées, notamment celles de la tiny house (mini-maison), dont le dispositif rejoint ce même souci de sobriété et ce besoin de faire partie intégrante du paysage. Là encore, un acteur majeur de l’écotourisme, la société Huttopia, a lancé à travers sa fondation un concours d’architecture consacré à la tiny house visant à encourager l’innovation en matière d’habitat et d’équipements écotouristiques.

Sans aucun doute, les souvenirs d’une enfance liée à un monde dénué de contraintes sont les moteurs de cette dynamique. Les maux – sociaux, climatiques, énergétiques… – traversés depuis quelques années ne peuvent qu’inciter les citoyens à se tourner vers des solutions plus modestes. Cependant, il ne faudrait pas que ces choix éthiques en entraînent d’autres, clairement mercantiles, qui, tirant partie des effets de mode, viendraient pervertir cette nécessité de renouer avec les fondamentaux.

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