Pensez-vous qu’un jour vous aurez envie de photographier d’autres personnes ? Ce qui serait une tout autre histoire…
Anja Niemi : Je ne sais pas si cela se produira, mais j’y pense. Ne serait-ce que parce que ce serait beaucoup plus pratique ! Mais je ne sais pas ce que cela signifierait. Qui serait cette personne ? Comment ferait-elle partie du processus ? Ma façon de procéder est tellement partie intégrante de mon travail que je ne vois pas comment cela pourrait arriver. Mais, évidemment, c’est tentant. Je le répète, ce n’est pas que je veuille absolument me montrer moi, mais je n’ai pas trouvé le moyen de faire autrement.
Au bout du compte, le fait d’être votre propre « modèle » donnera forcément une sorte de portrait chinois de « vous », non ?
Parfois, je me demande en effet à quoi tout cela ressemblera au bout de quarante ans de réalisations. Peut-être qu’à ce moment-là il s’agira un peu de moi, parce que cet assemblage sera l’œuvre d’une vie. Ça changera le sens de l’œuvre, qui deviendra mon histoire à travers une somme de personnages…
Diriez-vous comme Eleonora Duse, l’actrice qui vous a inspiré « The Woman Who Never Existed » : « En dehors de la scène, je n’existe pas » ?
Cette citation n’est que le déclencheur de la série. C’est en ce sens que je disais que mon inspiration peut venir de n’importe où.
Et ?
J’ai extrapolé. J’ai imaginé une femme qui vivait tout le temps comme si elle était sur scène, jouant un personnage. Je ne l’associe pas à moi-même, parce que, pour ma part, j’ai une vie bien remplie en dehors de mon travail. J’ai simplement imaginé quelqu’un qui n’aurait pas cette vie personnelle et qui ne saurait pas quoi faire d’elle-même en dehors de ses rôles. Eleonora Duse a vécu au début du XXe siècle, mais je crois que c’est un sujet qui reste très pertinent à notre époque. Sur les réseaux sociaux, nous avons une personnalité publique : « C’est ce que je fais, c’est ma vie, c’est ce à quoi je ressemble. » Mais ce n’est pas nécessairement le reflet de la réalité, de qui nous sommes vraiment.
Vous n’êtes pas sur les réseaux sociaux ?
Je n’y suis plus, c’est chronophage et ça vous distrait de ce que vous êtes en train de faire.
Votre travail est présenté à Oslo, Londres, Paris, Amsterdam, New York. Votre exposition de l’an dernier à Oslo a été un immense succès… Vous l’avez bien vécu ?
Pendant de nombreuses années, je n’ai exposé qu’à Londres. Mais il est important d’élargir son public, et c’est bien de travailler avec différentes galeries qui se passionnent pour des choses diverses. Il y avait longtemps que je n’avais rien exposé à Oslo, donc c’était déjà assez émouvant pour moi. La Shoot Gallery est magnifique et l’exposition était très belle. Mais je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait autant de monde ! C’est vrai que c’est plus facile pour moi quand je suis exposée ailleurs qu’à Oslo. Je recommencerai peut-être, mais pas tout de suite !
Vos filles vous posent-elles des questions sur votre travail ?
Oui, mais ça fait partie d’un tout parce qu’il ne s’agit pas seulement de mon travail, c’est ma vie. Les costumes sont là, à portée de main, elles peuvent aller les regarder, jouer avec les perruques… Ce n’est pas comme rentrer du bureau et parler de sa journée.
Sur l’Utah, par exemple ?
Je n’en dormais plus. À mon retour, je leur ai dit que j’avais obtenu les images que je voulais, et elles étaient fières. Pour le serpent, je leur avais même demandé si je devais le faire. Elles m’ont dit : « Oui, tu devrais. » Et c’est pourquoi j’ai dit oui au vrai serpent (il a en effet été question un temps d’utiliser un faux spécimen, NDLR). Elles ont décidé pour moi, finalement. Et quand je suis rentrée, je leur ai dit : « Vous savez quoi ? Ce n’était même pas si terrible, le serpent était plutôt cool, regardez la photo. »
Que pensez-vous qu’elles retiennent de tout cela ?
Ce qui compte surtout, c’est qu’elles sachent que l’on peut dépasser ses peurs, que, lorsqu’on met tout son cœur dans quelque chose, on peut y arriver.