Le duo, tout aussi modeste que chaleureux, est particulièrement connu pour son concept d’ »Extrême Couture » sur bois ou métal (si si !), ainsi que pour ses recherches sur la forme, née de la contrainte des matériaux avant cuisson dont « Succession », une série de vaisselle en porcelaine éditée par Petite Friture et Revol est un parfait exemple. Les créations de Färg & Blanche vont du mobilier à l’objet en passant par les scénographies d’espaces et sont plébiscitées autant par des marques suédoises comme Gärsnäs, Johanson Design et Design House Stockholm, que par des labels internationaux (BD Barcelona, Driade…). Rencontre, au milieu des nombreux prototypes qui rythment l’espace de leur studio-atelier, au coeur de Sôdermalm, à Stockholm, en Suède, temple du design suédois contemporain.
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Coudre le bois, une évidence selon Färg & Blanche
IDEAT : Vous avez installé nombre de vos prototypes le long de la rampe d’accès de l’ ex-garage qui est aujourd’hui votre workshop et studio. Qu’est-ce que cette exposition spontanée raconte de votre travail ?
Emma Marga Blanche : Un des fils conducteurs de notre travail est assurément l’exploration de la relation entre le souple et le dur. Lors d’un voyage au Japon, nous avons été fascinés par l’armure des samouraïs [celle-ci est généralement constituée de tissus matelassés sur lesquels sont cousues de plaques d’acier, souvent recouvertes de laque et liées par des cordons de soie, NDLR]. Une de nos premières réalisations était une chaise constituée de multicouches de feutre, cousues les unes sur les autres, puis feutrées. Par la suite, nous avons cousu le bois, en utilisant donc une technique destinée aux matériaux souples – un geste qui mêle artisanat scandinave et design expérimental.
Fredrik Färg : Nous avons également expérimenté la couture sur métal. On a tendance à croire que ce qui est plus souple est moins complexe à travailler, mais ce n’est pas toujours le cas. L’aluminium est, par exemple, beaucoup plus difficile à coudre que le laiton, car il s’agit d’un métal tendre qui peut fondre au contact de l’aiguille et devenir collant.
IDEAT : Bien que résolument expérimentale, cette approche de « couture extrême » comme vous l’appelez a néanmoins donné naissance à des meubles édités en série chez Gärsnäs ou BD Barcelona…Comment cela est-il arrivé ?
Emma : Nous commencions tout juste à travailler ensemble avec Fredrik lorsque nous avons appris que Gärsnäs souhaitait intégrer à sa collection une nouvelle version d’un fauteuil Emma [le nom donné en Suède aux fauteuils capitonnés]. Nous avons alors étudié la façon dont les modèles classiques de sièges du XVIIIe siècle étaient conçus et utilisaient des boutons pour maintenir et tendre le tissu. Nous avons alors cherché à conserver l’esthétique graphique qui découle de ce geste structurel en remplaçant les boutons par des coutures.
Fredrik : Nous avons acheté une machine à coudre pour réaliser les tous premiers prototypes du projet pour Gärsnäs et cela nous a incités par la suite à tester la couture sur différents matériaux, dont le bois, ce qui a intéressé BD Barcelona. Lorsque vous développez une technique, cela devient également une esthétique…
Stockholm, capitale du design durable
IDEAT : En Suède, que ce soit avec Gärsnäs ou Johanson Design (sofa The Thread) vous êtes très impliqués dans le développement du produit. Était-ce également le cas avec la marque italienne Driade qui vient de lancer votre Fab Chair – une sobre structure en bois très shaker qui s’habille de divers dossiers en feutre selon l’humeur – lors de la Milan Design Week 2025 ?
Fredrik : En général, les marques de design italiennes ont davantage de développeurs de produits dans leurs équipes interne. En Suède en revanche, ce travail est souvent assumé par les designers eux-mêmes. Nous sommes historiquement des artisans [Fredrik lui-même a une formation à la fois d’ébéniste et de designer], et cette culture, si incarnée par exemple par cette référence qu’est l’architecte, ébéniste et designer Åke Axelsson, est toujours très présente ici.
IDEAT : Qu’aimez-vous particulièrement à Stockholm ?
Emma : Stockholm n’est pas très étendue et il est donc aisé de s’y déplacer à pied, en vélo, ou en transports en communs, le réseau étant particulièrement bien développé. La ville est construite sur 14 îles, ce qui lui confère une personnalité spéciale. Depuis notre appartement ou notre studio de Södermalm, il ne nous faut que cinq minutes de vélo pour aller nous baigner presque quotidiennement, de juin à septembre. Même si vous êtes touriste, vous pouvez prendre un bain entre deux visites de musées ! Il y a également de nombreux et magnifiques parcs et, à une demi-heure d’ici, l’Archipel offre une immersion rare en pleine nature — un cadre qui inspire naturellement une volonté de privilégier le design durable.
Fredrik : Stockholm est également une destination idéale en hiver. Lorsque les lacs sont gelés, à cinquante minutes d’ici, vous pouvez faire du patin à glace, du ski de fond, un sauna. Parfois, lorsqu’il y a vraiment beaucoup de neige, nous prenons nos skis de fond pour aller du domicile au bureau. Et il est assez courant d’emmener les enfants à l’école en luge.
IDEAT : Comment voyez-vous la ville évoluer ?
Emma : Nous habitons et travaillons à Södermalm, un quartier hier encore populaire qui s’est mué en épicentre bobo, notamment autour de Nytorget, là où Acne Studios a ouvert sa toute première boutique il y a une vingtaine d’années. Il y a aujourd’hui une réelle volonté de la ville de prendre soin des rues et de la qualité de vie des riverains, avec un nombre croissant d’artères dorénavant réservées aux seuls piétons. Et ce, non seulement aux beaux jours, mais toute l’année. Un cadre urbain qui confirme que Stockholm reste une scène incontournable du design suédois et de l’artisanat scandinave.
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