Nous sommes sur l’une des artères les plus populaires du Xe arrondissement parisien. L’une des plus vivantes, aussi, avec ses cafés et ses restaurants branchés fraîchement éclos, ses échoppes orientales qui résistent et ses commerces de bouche aux étalages plus ou moins soignés. Alain Cirelli, directeur du Purgatoire – 54 Paradis, un espace polyvalent conçu pour accueillir aussi bien des expérimentations culinaires qu’artistiques, est tombé sous son charme, il y a douze ans : « Ici, tout est ouvert 24 heures / 24, il suffit de descendre les escaliers pour trouver ce dont on a besoin, je ne sais même plus ce qu’est un supermarché », témoigne celui qui est aussi le propriétaire d’un appartement de 130 m2 au sol, divisé en deux espaces distincts jusqu’à l’an dernier.
Pendant plusieurs années, Alain Cirelli s’est contenté en effet de vivre dans l’un d’eux, séduit par la hauteur sous plafond et la lumière traversante : « Quand je suis arrivé, il n’y avait qu’une petite mezzanine pour le lit et la salle de bains », explique cet amateur d’art, anciennement restaurateur et peu gêné à l’idée de dormir quasiment contre les œuvres des artistes exposés au Purgatoire – 54 Paradis, comme le peintre Saïd Ouarzaz, sorte de Jackson Pollock marocain, ou le sculpteur béninois Simonet Biokou. Deux événements vont le décider à « pousser les murs », au sens propre : l’achat, d’abord, de bureaux situés sur le même palier, puis la rencontre avec l’architecte d’intérieur Véronique Lacaze, à qui il décide de confier les travaux de réunification des deux espaces.
Le cahier des charges était clair : « Créer un grand appartement modulable, capable de s’adapter autant à la vie privée que sociale des occupants », comme l’explique la jeune femme. Le projet retenu consiste en une refonte complète des plans. Un seul mur porteur, par exemple, est conservé et flanqué de deux portes à deux battants qui permettent d’isoler, les soirs de vernissage, des pièces privées comme la nouvelle chambre et ses deux salles de bains attenantes. Curieusement, celles-ci communiquent à présent avec l’entrée de l’appartement, véritable pièce à vivre, avec son canapé ocre lové au creux d’une grande bibliothèque, dessinée spécialement par l’architecte.
Une collection instinctive d’art moderne et contemporain
Dans la pièce principale, tout en longueur, l’ancienne mezzanine a cédé sa place, quant à elle, à deux canapés et un fauteuil contemporains, dessinés par le designer Christian Werner pour Cinna, et qui s’adaptent, eux aussi, à la configuration polyvalente du lieu. Autour, le mobilier vintage et les rééditions, chinés aux puces ou achetés dans des brocantes par Alain Cirelli, forment ce qu’il appelle « sa playlist ». Celle-ci est composée, entre autres, de « tubes » de Charles et Ray Eames, Verner Panton ou Mathieu Matégot, disposés autour d’une table en formica, de lampes de Gae Aulenti, ou encore du fauteuil Swan d’Arne Jacobsen.
Autant de touches vintage qui cohabitent avec une collection d’œuvres d’art pour le moins surprenante. Dans le coin cuisine, par exemple, elle-même disposée derrière un îlot en bois, est négligemment posée une compression de César, comme s’il s’agissait d’un robot mixeur ! Aux murs, des dessins de Dora Maar, qui fut la maîtresse de Picasso pendant presque dix ans, conversent avec les clichés d’une manifestation contre la guerre du Vietnam pris par un photoreporter américain membre de la Factory d’Andy Warhol. À côté de la cheminée, le portrait du plasticien allemand Joseph Beuys nous le présente comme attiré par une vague déferlante dessinée par le New-Yorkais Robert Longo. Le fil rouge ? « Je me fie à mes coups de cœur, car pour moi la signature n’a pas d’importance », répond Alain Cirelli. Une bien belle façon de faire entrer l’art dans le quotidien.