En couple à la ville comme à la scène, Ève Ducroq et Arnaud Dollinger, fondateurs du studio Objets D’Affection (ODA), pourraient incarner à eux seuls un mouvement décoratif particulier. Motivés par la quête d’une beauté formelle et non par la volonté de plaire au plus grand nombre, ils se moquent des modes.
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Un intérieur freestyle
Cette singularité, ils la cultivent. Tout commence par la recherche de pièces fortes, qu’elles soient signées ou pas. Le parti pris est souvent osé, mais produit un style unique attirant la curiosité de nombreux passants qui franchissent la porte de leur showroom dans le Marais.
De cette liberté émergent des intérieurs relevant plus de l’art scénique que de la décoration. Parmi leurs nombreuses installations, souvenons-nous de celle de l’hiver 2022 intitulée « Suite privée de Mr. K », plongeant le spectateur dans l’univers d’un personnage imaginaire.
De la fiction naissaient pourtant des émotions… C’est le cas pour ce pied-à-terre parisien dont la propriétaire vit entre New York et la capitale. Elle a laissé carte blanche au couple. Ce dernier commence toujours par s’imprégner des lieux pour y raconter une histoire. Jamais banale. « Nous aimons orienter nos clients vers des choix auxquels ils n’auraient pas forcément pensé. »
Ici, le point de départ est le VIe arrondissement, « l’un des plus jolis de Paris », selon Ève. Le travail se poursuit par une réflexion sur la composition de l’espace, la recherche et l’agencement du mobilier.
Iconique ? Certainement pas. « Nous aimons nous exprimer loin des tendances », précise la décoratrice. Avant tout, les meubles doivent résonner, dégager une présence. Les priorités sont ailleurs.
Liberté créative
Dès l’arrivée dans les lieux, on devine que l’adresse n’est pas celle de Madame Toutlemonde. Un lavabo ton sur ton a pris place dans l’entrée peinte d’un bleu volontairement sombre (MC103 Régate, de Mériguet-Carrère). Si l’on se pose la question : « Pourquoi une vasque placée là ? », ODA pense vide-poche. Et tout devient évident.
Pourquoi contraindre un objet à n’avoir qu’une seule fonction ? L’oeuvre religieuse accrochée au-dessus confère à la scène un sens métaphorique, celle d’un vestibule d’église avec son bénitier. Le couloir ouvre sur une distribution en étoile (un classique haussmannien) : quatre pièces principales (ou chapelles) différentes et pourtant cohérentes. C’est de cette dualité maîtrisée dont peuvent se prévaloir les décorateurs.
Chaque espace se distingue par sa tonalité soutenue. Si certains projets jouent souvent la retenue, ou restent contenus, ici la composition explose, mais de manière homogène.
Le mobilier du salon s’accorde au vert des murs (peinture MC42 Albers, de Mériguet-Carrère) ainsi qu’à la moquette aux motifs léopard blanc (Décorasol). ODA calme le jeu en optant pour des rideaux de lin clair. De cet ajustement naissent lumière et légèreté. Le bureau présente un orange monochrome.
Dans l’ensemble, les pièces vintage côtoient signatures et objets chinés et créent un décor que l’on dirait tout droit sorti d’un film. Ève avoue : « Nous sommes fortement influencés par le cinéma, mais aussi par la musique, et notre univers est hautement sensoriel, en permanence nourri de références, souvent cultes. »
La cuisine, graphique, rend ainsi hommage à Superstudio, le groupe d’architectes d’avant-garde formé à Florence en 1966, revendiquant le design radical. La pièce symbolique de ce mouvement étant la table Quaderna, ornée d’un quadrillage noir, toujours éditée par Zanotta.
La chambre arbore des tonalités plus douces sans pour autant être traitée avec platitude. Petit boudoir poudré, son rôle d’espace de repos ne s’en trouve pas altéré par une extravagance absolue. Au risque tentant du « projet musée », le studio ODA n’oublie jamais l’usage premier d’un lieu et fait en sorte que les intentions artistiques ne l’entravent pas.
Ève Ducroq et Arnaud Dollinger signent un juste équilibre… de folie décorative. Des intérieurs extraordinaires qui n’empêchent pas de mener une vie ordinaire.
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