Au premier coup d’œil, la patte de l’architecte est manifeste. Un vaste volume, tout en longueur, remplit en cascade plusieurs fonctions : celle d’entrée, tout d’abord, puis de salle à manger et, enfin, de cuisine-buanderie, l’ensemble générant des accès aux chambres et à la partie réception. Espace généreux, circulation fluide et clarté maximale : une gageure pour cette surface de 111 m2 un peu sombre du Xe arrondissement parisien. « L’ensemble était sans caractère et nécessitait une complète restructuration pour optimiser les mètres carrés », nous explique Marie-Christine Dorner. Et, sous sa houlette avisée, c’est dans un temps record de quatre mois que le défi a été relevé. Un jeu d’enfant pour celle qui exporte l’élégance à la française à travers le monde dans nos résidences d’ambassade, édifie les tribunes présidentielles du 14 Juillet depuis vingt ans ou s’est retrouvée aux commandes du chantier de La Villa, premier hôtel design au cœur de Saint-Germain-des-Prés ! « J’aime vivre avec mes réalisations, les anciennes et les très récentes : une façon de tester in situ leur intemporalité. Mais le travail de ceux que j’admire, de Gio Ponti à Marc Newson, et bien d’autres, participe aussi à mon univers décoratif », confie l’architecte d’intérieur.
Son parcours s’inscrit en capitales, de Paris à Londres en passant par Tokyo, trois villes où elle a vécu et qui ont eu une influence déterminante sur ses créations. Du Japon, où elle retourne régulièrement, elle garde le goût de la ligne pure, l’amour du Mingei (mouvement artistique dit « de l’art populaire », créé en 1925), la vertu du « presque rien » qui est pourtant tout. On retrouve dans son appartement les couleurs de la laque, les objets en bambou si simples et si précieux qui caractérisent le design nippon traditionnel, notamment dans son emblématique forme créée en 2004, baptisée Une Forme, One Shape, figure première qu’elle décline à l’envi, en tous formats et tous matériaux, y compris en bijoux. « Dans un souci de pérennité, j’aime travailler dans la continuité », précise la designer.
Modeste, discrète et d’une exigence extrême, voguant sans heurts des savoir-faire immémoriaux aux nouvelles technologies, Marie-Christine Dorner poursuit fidèlement ses collaborations. Pour Cinna et Ligne Roset vient de naître une nouvelle série de pièces : une table basse Allégorie à plateau en Fenix (nouvelle matière inrayable), une bibliothèque Allitération qui « disparaît » dans l’espace, un miroir Demi-teintes reflétant partiellement sans agresser, une nouvelle version de son petit canapé cosy MCD, que l’on retrouve dans son salon, un chevet Épisode en noyer… C’est que la designer est prolifique : outre ses créations pour Baccarat, Saint-Louis ou Bernardaud, elle vient également de concevoir un duo de tables basses Roma pour Zeus et un fauteuil pour Montis.
Et côté architecture d’intérieur ? Là aussi, les projets vont bon train : un majestueux loft à Marseille, des bureaux à Paris pour le cabinet de recrutement Agent Secret et la rénovation, pour des collectionneurs, d’une maison d’architecte des années 60, à Bruxelles – 2 500 m2 tout de même ! Dans cette effervescence positive, Marie-Christine Dorner reste zen et gère tous ses chantiers avec une compétence égale, calme et sereine, à l’image de son intérieur… « J’ai souhaité y insuffler, outre la modernité, de la douceur, de la profondeur », note-t-elle. Ainsi sont nées ces associations de tons de blush et de rose thé, sertis dans un bleu dense dit « Hague », le tout baigné d’un blanc omniprésent. En contrepoint, les grandes doubles portes arborent un ton chocolaté très chic dit « Mahogany » (Farrow & Ball). Une féminité contenue servie par une épure acérée : ce que l’on nomme équilibre ?