Le temps d’une quinzaine de repas organisés du 14 au 20 octobre, en marge de la semaine de l’art contemporain et de Art Basel Paris 2024, l’artiste Carsten Höller et le studio culinaire We Are Ona s’associent pour faire voyager le restaurant Brutalisten de Stockholm à Paris. Une initiative artistico-gustative propice à questionner les foodies comme les amateurs d’art.
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Carsten Höller, radical de l’assiette
Au sortir de la Seconde guerre mondiale, les architectes issus du mouvement moderniste se sont très largement emparés du béton brut comme élément constructif, le laissant le plus souvent dans son plus simple appareil. Telle une suite logique à cette approche plutôt radicale, l’artiste Carsten Höller décide en 2018 de rédiger un manifeste en treize points qui régit cette fois-ci les usages culinaires, selon des rites tout aussi stricts mais finalement essentiels : seul un produit alimentaire peut être utilisé dans la préparation d’un plat, et l’eau et le sel sont les uniques ajouts possible. En revanche, différents modes de préparation (cuisson, fermentation, infusion…) sont acceptés. Comme l’écrit l’Allemand dans son son manifeste : « Nous somme nés tels des mangeurs brutalistes, du fait même que le lait maternel soit l’aliment brutaliste par excellence ».
À ce stade, on peut se demander si celui qui aime embarquer le spectateur au coeur de ses œuvres au point de les déstabiliser – souvenez-vous des toboggans installés à la Tate Modern en 2006 – n’est pas en train de nous enfumer de belles paroles. Mais comme Carsten Höller le souligne dans son son manifeste : « Nous somme nés tels des mangeurs brutalistes, du fait même que le lait maternel soit l’aliment brutaliste par excellence ». Évidemment, ça a du sens ! Et c’eut été sans compter sur l’extraordinaire maitrise des chefs Coen Dieleman et Stefan Eriksson pour accoucher en 2022 à Stockholm du restaurant Brutalisten qui s’appuie scrupuleusement sur ces directives, grâce à un travail méticuleux sur le produit.
Brutalisten à la sauce We Are Ona pendant Art Basel Paris 2024
L’opportunité était alors plutôt tentante pour le studio culinaire We Are Ona, incontournable de l’événementiel culinaire version hype, de mettre un peu de piment dans sa programmation en proposant à l’artiste formé initialement aux sciences – il est diplômé d’un doctorat en entomologie – et aux chefs de déplacer leur restaurant à Paris, le temps d’un pop-up de quelques jours. « J’ai rencontré Coen Dieleman à Copenhague alors qu’il était sous-chef du Géranium et nous sommes devenus très amis, explique Luca Pronzato, l’instigateur de We Are Ona. C’est ainsi que la rencontre avec Carsten Höller s’est ensuite faite et que nous avons pu envisager ce projet. »
Bien sûr, la délocalisation n’a pas lieu à n’importe quel moment mais durant la semaine très stratégique de Art Basel Paris 2024, autrement dit le moment fort de l’art contemporain dans la capitale. L’opération est plutôt maline puisqu’elle va permettre de capter un public acquis au travail artistique de Carsten Höller – mais peut-être moins érudit sur la chose culinaire et donc forcément curieux – et d’autre part la scène foodie parisienne huppée, tout aussi intriguée – mais peut-être aussi un peu suspicieuse de voir un artiste pouvoir tenir le tempo d’une série de menus dégustation.
À priori, elle aurait tort de l’être – suspicieuse – car le retour aux fondamentaux gustatifs est parfois nécessaire dans un paysage gastronomique où le bavardage dans l’assiette, comme dans le décor, est trop souvent pratiqué de nos jours. À Paris, le décor sera très différent de celui de Brutalisten de Stockholm, bien que penchant du côté de la radicalité puisqu’il sera exclusivement noir et blanc. Seuls les convives, attablés à un dispositif de 28 mètres de long, ainsi que les mets et les boissons, apporteront de la couleur, comme pour créer un ballet chromatique.
« Il va s’en dire que la mise en œuvre de ce projet a nécessité un important travail de sourcing produits, de manière à n’utiliser que des aliments exceptionnels, parfois rares, mais surtout capables d’exprimer des saveurs essentielles, » souligne Luca Pronzato. Évidemment, l’équipe est attendue avant tout sur cet aspect du projet : elle n’aura que peu de droit à l’erreur. L’artiste a toutefois apporté quelques souplesse à son concept initial en introduisant trois niveaux de nuances qui calmeront les sceptiques. Ainsi les plats sont identifiés selon une échelle de classification allant de “semi-brutaliste” (utilisation d’huile ou d’ingrédients minimaux), “brutaliste” (utilisation de sel et d’eau) jusqu’à “brutaliste orthodoxe” (aucun ingrédient supplémentaire).
Les déjeuners vont se dérouler en 6 temps (122,73 €) et les dîners en huit (190,91 €), soit dit en passant 25 % de plus qu’à Stockholm. Mais seuls les convives de ces quelques repas garderont en mémoire l’expérience de ce que l’on peut, sans exagérer, qualifier de performance artistique.
> Réservations ici.
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