Comment est né Valerie Objects ?
Veerle Wenes : En 2009, j’ai organisé une exposition au MAC’s du Grand-Hornu, en Belgique, où je mélangeais art et design. Cette zone entre les deux disciplines m’intéresse beaucoup. Quarante artistes et designers étaient invités à explorer l’idée du quotidien. Puis en 2010, j’ai ouvert la galerie Valerie Traan, où l’on traitait aussi du quotidien vu par les créateurs. Vers 2014, j’ai pensé à un projet sur les couverts. Je suis donc allé voir Axel Van den Bossche, qui dirige le label de design Serax, pour l’associer à ce projet et notamment pour la sélection des prototypes. Il a dit oui tout de suite ! Sur cinq designers invités, nous avons retenu Maarten Baas, Muller Van Severen et l’architecte japonais Koichi Futatsumata. J’ai alors proposé à Axel de créer une marque pour les commercialiser.
Comment Valerie Objects a été reçu par le public ?
Quand on a montré les prototypes des couverts au Musée des Arts Décoratifs à Paris, les gens se sont tout de suite montrés enthousiastes. Ils étaient présentés dans un salon 1900 sur des nappes imprimées des motifs d’un designer. En friction avec le cadre assez riche, la grande table que nous avions dressée a tout de suite fait sensation.
Des designers avec un univers fort
Avez-vous un critère pour choisir les designers ?
Je procède par intuition. Si critère il y a, c’est d’aimer leur signature. Ce qui est aussi très important pour nous, c’est qu’elle soit reconnaissable. Les designers qui nous intéressent sont ceux qui ont un univers fort. Il s’agit aussi pour nous d’installer dans la durée nos collaborations avec eux. Axel Van den Bossche et moi décidons ensemble. C’est simple : si l’un des deux dit non, c’est non !
Qu’est-ce qui vous séduit chez Muller Van Severen avec qui vous éditez une nouvelle collection pour les 5 ans de Valerie Objects ?
En 2011, je les présentais en tant qu’artistes dans ma galerie Valerie Traan. Je leur ai ensuite demandé de créer quelque chose d’utile. Ils ont alors conçu tout un univers de meubles, de tables et de luminaires. Depuis, je n’ai jamais cessé de travailler avec eux. Je trouve leur design très sculptural mais fonctionnel. Et pour le coup, leur signature est très reconnaissable. Il y a quelque chose d’inexorablement positif dans leur parcours, pas seulement dans l’utilisation des couleurs mais aussi dans l’emploi de matériaux pas forcément évidents. Leur travail est un peu comme la matérialisation d’un dessin dans l’espace. Ils ont créé pour Valerie Objects des couverts puis des lampes, des chaises… Nous sortons cette année leur nouvelle lampe et leurs dernières tables, pour la première fois en bois. Nous sommes très contents d’avoir fait avec eux cette exposition à la villa Cavrois, à Croix en France qui fait ressortir la pertinence de leur mobilier.
Beau, élégant, sophistiqué…
La simplicité de la nouvelle lampe Halo de Maarten van Ceulaer repose-t-elle sur des procédés complexes ?
L’idée de la lampe Halo est simple… mais elle n’est pas facile à produire ! On dirige l’éclat de la lumière sur le contour du verre de la lampe par un traitement spécial de la matière. C’est comme si on arrêtait un trait de lumière. Sa réalisation a été très complexe. Cela demandait du temps dans le développement et une certaine exigence de précision dans la réalisation. Tout cela ne se voit pas. Les objets minimaux demandent un maximum de travail…
Comment avez-vous rencontré le duo d’Alfred Edition, des designers textile qui ont conçu des tapis pour vous ?
Je les connais depuis près de vingt ans, presque comme des amies. On a vécu dans la même ville. J’ai étudié l’architecture et baigné comme elles dans ce milieu-là. J’aimais beaucoup leur linge de table et de maison. C’est toujours beau, élégant, sophistiqué… Cependant, je voulais surtout qu’elles me dessinent des tapis. Cela les représentait bien, avec ces grands aplats de couleur. Ils sont produits au Portugal, uniquement avec du lin naturel.
La liste des designers qui ont collaboré avec vous met en lumière des signatures connues mais aussi d’autres émergentes. Est-ce risqué ?
Non, au contraire ! Quand j’ai commencé avec Muller Van Severen, personne ne les connaissait. Personne ne naît célèbre… Il faut travailler pour être connu. Je trouve très intéressant de travailler avec des gens inconnus après avoir décidé avec mon œil, mon intuition et mon exigence. Je ne dis pas que j’ai toujours raison mais je me fie à ce que je ressens. Je trouve que les jeunes et les inconnus mériteraient plus d’attention de la part des éditeurs. Je pense à Linde Freya Tangelder de Destroyers Builders qui a déjà fait plusieurs projets pour nous. Elle n’était pas connue mais elle a été repérée pour deux créations par Nilufar qui l’a présentée à Milan. A Collectible, on a dernièrement vu tout un espace avec ses créations. Je trouve que cette jeune femme a beaucoup de talent. Nous avons fait un sofa avec elle, une pièce importante, coûteuse à développer et à produire, mais on en est très content. Elle a déjà une signature forte…
Les jeunes designers, c’est dans notre ADN
Beaucoup d’éditeurs parlent d’aide aux jeunes designers mais choisissent ensuite des talents reconnus…
C’est vrai mais c’est surtout un choix marketing. L’absence de notoriété ne doit pas être un obstacle. Personnellement, je considère que l’on a de la chance de pouvoir éditer les designers que nous présentons. Axel Van den Bossche, propriétaire de Valerie Objects, nous donne une vraie liberté. Je souhaiterais continuer à travailler avec de jeunes designers très doués comme Sigve Knutson ou Thomas Ballouhey qui commencent à percer. On va continuer de présenter de jeunes designers, c’est dans notre ADN.
Cinq ans après les débuts de Valerie Objects, dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Après avoir beaucoup exposé à Milan, Cologne ou Paris, nous nous sommes fait connaître. J’apprécie beaucoup ce qui s’est passé. Je pense qu’il en est de même pour les designers. Nous vendons de plus en plus. C’est très important pour eux qui, notamment à leurs débuts, doivent subvenir à leurs besoins. Entre le prototype et la réalisation, il s’écoule toujours au moins un an. Moi, je suis très impatiente (Rires.) Je trouve toujours ça trop long. Ce n’est pas comme avec l’art ; le design prend plus de temps. Dans la période de crise sanitaire actuelle, les choses sont difficiles. Dès le début de la pandémie, Axel Van den Bossche nous a dit qu’il fallait continuer. Cela nous a beaucoup motivé. Avec Maarten Baas, on a développé un service de table, puis on va faire des lampes, des chaises, travailler avec de nouveaux noms, dont certains connus.
Durer dans le temps…
Votre grand atout, c’est de ne lancer que des projets dans lesquels vous croyez ?
Tous nos projets sont désirés. ils doivent aussi durer dans le temps. Les produits restent longtemps en collection. On ne travaille pas sur les tendances mais avec notre intuition, notre goût… C’est sur cela que repose le concept de notre marque. C’est comme ça que nous nous sommes installés dans le temps. La période que nous vivons peut pousser les gens à se recentrer sur leur intérieur. Même un verre que vous utilisez au quotidien doit être proche de vous. On l’a choisi parce qu’on l’a aimé. Aimer, c’est autre chose que l’utiliser.
Jusqu’à quel point peut-on aimer les objets du quotidien ?
Il y a une sorte d’émotion, un intérêt esthétique à posséder certaines choses. Il ne faut pas exagérer non plus mais cela reste pour moi quelque chose de très important.
On ne choisit pas un couteau uniquement parce qu’il coupe…
Voilà. J’espère aussi que les gens vont se mettre à acheter de plus en plus des choses durables…