Certains naissent sous une bonne étoile. Paolo Soleri, lui, a vu le jour sous le signe du soleil, littéralement, comme en attestent son patronyme – sole, c’est le soleil en italien – et sa date de naissance – le 21 juin (1919), date du solstice d’été. On ne s’étonnera pas, alors, que sa vie d’architecte bouillonnant ait pris son essor à Phoenix, capitale de l’Arizona (États-Unis), où le taux d’ensoleillement bat des records et dont l’animal mythique éponyme, le Phénix, est un oiseau de feu lié au culte du soleil dans l’Égypte ancienne. Après des études à Turin, sa ville natale, Soleri s’envole en 1947 pour Taliesin West, la résidence d’hiver de Frank Lloyd Wright, dans la banlieue désertique de Phoenix, qui servait d’école d’architecture. Deux décennies plus tard, à une heure trente de route de là, sur un plateau aride, brûlant l’été, glacial l’hiver et cerné de canyons, il a érigé l’un des projets les plus fous du XXe siècle : Arcosanti, un village utopique tout en béton, comme surgi d’un songe, qui fait de beaux pas de deux avec notre astre et qui héberge, aujourd’hui, une petite centaine d’illuminés – dans tous les sens du terme.
Pour l’atteindre, il faut traverser de grandioses paysages ponctués de cactus jusqu’à la terne localité de Cordes Junction – deux fast-foods, une station-service, un motel-dinner dans son jus, des routiers fatigués – puis bifurquer sur une piste poussiéreuse. Au loin, une apparition : des dômes et des angles qui font corps avec la pierre ambiante. Arcosanti tient tout à la fois de la science-fiction, du brutalisme, de l’architecture religieuse et vernaculaire. Ça commence avec un Visitor’s Center qui semble fait de cubes empilés, certains se superposant strictement, d’autres s’avançant vertigineusement dans le vide, et où se logent une boutique – on y vend des cloches de bronze ou de terre cuite dessinées par Soleri, principale ressource financière des lieux – et un café, le tout percé d’immenses ouvertures circulaires, sortes de hublots sur le monde comme on en voit chez Carlo Scarpa ou Louis Kahn.
Plus loin, on découvre deux absides, quarts de sphère qui servent de fonderie et d’atelier de céramique – les cloches, toujours. Ensuite, une énorme voûte, tunnel semi-cylindrique inspiré, dit-on, des arches de la basilique de Maxence et Constantin de Rome (IVe siècle), sous laquelle les Arcosantiens se réunissent tous les jours. Un amphithéâtre de plein air, enfin, autour duquel s’organisent des logements et des bureaux où les géométries – angles aigus, circularités – sont reines. L’ensemble, piqué d’oliviers et de cyprès, comme un peu d’Italie que Soleri aurait semé çà et là, forme un drôle de hameau ramassé, une espèce de kibboutz, « un laboratoire urbain », comme le définissent ceux qui y vivent, voire « un lieu qui défie les définitions », lance même Tim Bell, son directeur des relations extérieures aussi tatoué que chevelu, qui vit et travaille sur place.