Malgré les yachts, les jets et les penthouses, être un Roy ne fait rêver personne. De retour sur HBO pour la saison finale de Succession, la famille de milliardaires la plus névrosée d’Amérique achève sa lutte intestine pour le pouvoir. Et lève le voile sur le véritable way of life des grandes fortunes.
De Dallas à Dynastie en passant par Amicalement Vôtre, la vie des ultras-riches a inspiré d’inoubliables shows télé. Mais les candides « héros au grand cœur » des années 80 ont aujourd’hui fait place à des personnages bien plus complexes et antipathiques dont l’affolante fortune est souvent la croix.
Multipliant des frasques et des excentricités qui dérangent plus qu’elles ne fascinent, les milliardaires de White Lotus ou d’In the Loop sont volontiers présentés sous un jour plus satyrique. Pourtant aucun n’arrive à la cheville de la famille Roy dont chaque membre reste désespérément torturé malgré les milliards qui coulent à flot dès le petit-déjeuner.
Derrière son intrigue sombre et impitoyable, Succession explore le vide émotionnel et l’éternelle insatisfaction qui guettent les 0,001% les plus riches de la planète. Et décrypte en creux leur luxueux mode de vie à travers les décors particulièrement réalistes, méticuleusement orchestrés par le set designer George DeTitta Jr.
Des ressemblances « fortuites »
Avides de pouvoir et de reconnaissance (puisque l’argent et les biens matériels ne sont pas un problème), les quatre rejetons de Logan Roy (Brian Cox) s’écharpent autour du trône de ce magnat des médias et du divertissement – vieux lion que la fin de règne rend encore plus redoutable.
Loin de se la couler douce à compter leurs petites cuillères en argent, les potentiels héritiers préfèrent évoluer dans un véritable nid de requins où tous les coups sont permis. Et de la réalité à la fiction, il n’y a souvent qu’un pas.
Car Succession, la série hautement addictive d’HBO, serait largement inspirée par l’histoire de la véritable famille Murdoch, dont le patriarche Rupert est actionnaire majoritaire de News Corporation.
Un réalisme scénaristique confirmé d’ailleurs récemment par plusieurs proches dans un article du Guardian. Comme l’ancien directeur de presse Mike Soutarn, selon qui le trait serait à peine grossi : « Cette famille colle de très près à la composition du clan Murdoch, avec la figure de l’héritier présomptueux et la fille de la fratrie qui prend ses distances pour faire carrière de son côté. À ceci près qu’à ma connaissance, aucun Murdoch n’a jamais noyé de serveur ! ».
La tendance du « quiet luxury»
Des accointances avec la vraie vie qui s’expriment aussi par les décors. À commencer par l’appartement de Logan Roy sur la 5ème Avenue – fruit de recherches sur celui de Rupert Murdoch – dont le mobilier provient de Newel Props et Istdibs. Ou par le siège de la Waystar Royco, installé dans des espaces vacants du World Trade Center. « J’ai regardé les bureaux des médias de Murdoch pour trouver l’inspiration, mais j’ai opté pour une approche un peu plus moderne » tempère George DeTitta Jr qui meuble cet espace avec bureaux Kravet Contract et des lampes Artriors dénichés à Dallas.
Succession dépeint beaucoup d’environnements froids dont la sobriété confine parfois à la fadeur
Bien que la richesse et le cadre de vie des Roy soient à l’avant-plan à travers les cadres somptueux utilisés comme terrains de jeux par l’équipe de décoration, Succession dépeint beaucoup d’environnements froids dont la sobriété confine parfois à la fadeur.
Une sophistication discrète et intentionnelle de la part des concepteurs de la série pour correspondre à l’univers feutré des milliardaires dans la réalité. « Bien que leur personnalité soit exubérante, les Roy ne sont pas des nouveaux riches et nous n’avons jamais adopté l’approche selon laquelle leur patrimoine devait être tape-à-l’œil. Nous avons simplement reproduit la façon dont ces gens ont tendance à vivre dans la vraie vie » résume le chef designer.
Si les milliardaires ont de colossales ressources, ils manquent aussi souvent de goût personnel.
Stérilité émotionnelle
Car si les milliardaires ont de colossales ressources, ils manquent aussi souvent de goût personnel. Ou du moins, n’ont ni le temps ni l’envie de l’exprimer à travers leurs trop nombreuses possessions. « Ils ont des armées de décorateurs et de stylistes qui s’en chargent pour eux » souligne DeTitta Jr. « Sous pression pour ne pas faire des mauvais choix, ces employés choisissent plutôt des articles mainstream qui éviteront l’offense ».
Dépersonnalisé et bien moins ostentatoire qu’on aurait pu le penser, l’univers des Roy reste néanmoins ultra luxueux. D’Hudson Yards, un méga développement à 25 milliards de dollars à l’ouest de Manhattan à la tour Woolworth où le penthouse se négocie autour de 79 millions, la valeur des lieux de tournage de Succession fait s’emballer les chiffres.
Mais paradoxalement, leur décoration met tout en œuvre pour vider ces espaces de toute joie de vivre. Allant jusqu’à retirer des œuvres d’art préinstallées à connotation trop personnelle. Un manque de stimuli visuel qui reflète l’identité profonde des personnages. « On finit par ressentir un certain vide » conclue George DeTitta Jr. « Il fait écho à l’état moral dans lequel se trouve cette famille où tout est très transitoire. Ils sont tellement en mouvement qu’ils n’ont pas le temps de cultiver leurs racines, de se connecter à leur environnement, mais aussi les uns aux autres ». Comme si le vrai bon goût était avant tout une affaire de passion.