En Sicile, le soleil est un dieu jaloux dont on se protège. Les étés à Noto sont aussi brûlants que, pour le propriétaire ayant commandé cette villa et vivant entre l’Italie et la France, le désir d’y bâtir sa maison de vacances. Venir ici l’été avec ses grands-parents, ses neveux, nièces et amis, c’est ce qui s’appelle vivre. Les chambres, les grands livings, la cuisine XL… tout tient pourtant dans 270 m2. Vu la chaleur, les frontières entre intérieur et extérieur ont été abolies. Mais le soleil, c’est aussi du plaisir et des surprises. Comme quand, sur la terrasse, la lumière projette des ombres très graphiques. « Nous avons créé un grand auvent low-tech, en acier. Ses barreaux, comme ceux d’un grill, dessinent des ombres qui évoluent avec la course du soleil », explique Gordon Guillaumier, l’architecte d’intérieur et concepteur de la maison. Quand le soleil est à son zénith, les bandes rayées ainsi découpées au sol sont étroites avant de s’élargir au fil des heures, mais offrant toujours de protéger les corps. « Ces lignes d’ombres donnent vraiment du rythme à la maison », dit le designer.
Ne pas blesser le paysage
La villa ne devait être ni la bulle close qui étouffe les héros du film La Piscine, de Jacques Deray, ni celle de son remake sulfureux, A Bigger Splash, de Luca Guadagnino. Sur cette question, Gordon Guillaumier est formel : « Une maison doit être reliée à son contexte. Les architectes et les designers ont une responsabilité par rapport à l’environnement, surtout dans une région aussi belle que la Sicile. » La maison ne devait pas blesser le paysage. Voilà pourquoi elle n’a pas d’étage. Les matériaux utilisés, choisis avec le propriétaire, sont locaux. Et jusqu’au brun terreux de la pierre des murs, tout s’abstient de faire tache dans le paysage. Dehors, Gordon Guillaumier a fait planter des arbres, des buissons et des plantes pour adoucir la pierre. Du coup, les lignes un peu radicales du plan s’intègrent au décor. Quant au fond de la piscine, c’est une invitation à jeter l’ancre à tout jamais. Sans compter que la pierre de lave de l’Etna au bleu très profond du bassin contraste magnifiquement avec le jaune-beige de la terrasse qui l’entoure. « Ce bleu est une réminiscence de celui que peut avoir la mer par ici. Nager sous le soleil dans ce bleu saphir rafraîchit vraiment. Ce n’est en rien californien. Je n’y suis d’ailleurs presque pour rien. Il y a, en plus de l’effet de la pierre sous l’eau, la réflexion du ciel sur sa surface, c’est magique », s’enthousiasme Gordon Guillaumier.
Bonnes vibrations
Le designer porte la région dans son cœur. Il y vit l’été. Et connaît donc la céramique de Caltagirone qu’il a utilisée sur les murs. La lumière y fait miroiter un vernis qui met en valeur le relief de la matière, son irrégularité artisanale et sa fraîcheur. Dans le living-room, autour de la cheminée, tout un mur de carreaux de céramique a été ensuite peint d’un motif géométrique marron et bleu. La redécouverte de cet héritage réinterprété milite pour l’artisanat. Le designer signe là un travail total, à l’instar des pionniers de l’architecture qui dessinaient tout dans une maison. Cela dit, le projet a eu ses tuiles. Il a fallu renforcer avec des pylônes la base de l’édifice construit sur une hauteur. Le montage du grand auvent d’acier pourvoyeur d’ombre, production d’une forge locale, a eu ses délicatesses. Le fait d’être dans une zone sismique a aussi influé sur la conception. « Mais la plus grande satisfaction reste de marcher dans la maison et de ressentir l’absence de compromis du projet. Un projet heureux parce que partagé », ajoute Gordon Guillaumier.
Une relation évidente
Pour être né à Malte, il n’en ressent pas moins ici de bonnes vibrations. Et pour cause, des liens historiques relient Malte à la Sicile. La première a appartenu au royaume des Deux-Siciles. Des similitudes entre les deux existent, qu’il s’agisse d’architecture ou d’art. En 1985, étudiant à Milan, Gordon Guillaumier découvre la Sicile au volant d’une voiture. La beauté de l’île le saisit. Elle lui rappelle celle de son enfance maltaise, mais à plus grande échelle. La nature, les paysages, certaines attitudes insulaires… les liens lui semblent évidents. « Je me sens ici chez moi, intégré, ce qui est assez rare pour quelqu’un qui n’est pas sicilien. Ce qui fait que, pour moi, avoir construit une telle maison dans un tel paysage est un privilège », conclut-il. Con questo sole.