D’où vient votre passion de l’objet ?
Sebastian Bergne : Ce n’est pas un cliché, j’ai toujours été fasciné par les objets. Quand j’avais 16 ans, je fabriquais des bijoux car, fait assez rare, mon lycée avait un atelier dédié à l’orfèvrerie. Quand vous façonnez de l’argent, vous devez découper chaque pièce en ajustant d’infimes détails. C’est une discipline que j’ai conservée. La moindre jointure, le plus petit angle… Tout est pris en compte dès la conception. Quand j’ai commencé à travailler, mon cerveau fonctionnait de cette façon mais on m’a commandé de moins en moins mobilier. C’est drôle parce que, quelques années après mes débuts, ma grand-mère m’a dit : « Ne t’inquiète pas, en prenant de l’âge, tu dessineras de plus grandes choses. » Comme si cela participait d’un meilleur design. Peut-être qu’elle souhaitait me voir créer des voitures par exemple. (Rires)
Encore aujourd’hui, l’image du designer est liée au mobilier…
Oui mais, j’en suis venu à prêter une aussi grande attention aux objets du quotidien. En dessiner de très basiques me va très bien. Il existe justement dans le design une tendance à la simplicité, à l’épure…
Comment est née Candle Brick, ce bougeoir produit en collaboration avec Art Design Lab ?
J’ai rencontré Karine Scherrer l’année dernière, avant qu’elle n’organise au début de la pandémie une vente de dessins de designers au profit des hôpitaux. J’aime l’idée de mettre en avant ce qu’ils ne montrent pas d’habitude, comme leurs dessins ou leurs maquettes. D’un autre côté, je m’intéresse aux briques depuis longtemps. Ce matériau de construction, économique et durable, m’a toujours intrigué. Début 2020, j’ai commencé à travailler avec une usine aux confins de Londres qui les fait à la main. Je voulais concevoir un objet qui fasse référence à cette tradition, à cette histoire. Quand Karine a lancé le projet en mai avec une cinquantaine en édition spéciale, tout s’est vendu assez rapidement. Maintenant, il revient sous forme de composition, comme un fragment d’architecture dont certains éléments sont émaillés. Je l’ai auto-produit.
Vous avez commencé à vous auto-produire à une époque où ce n’était pas courant…
Oui, je l’ai fait tout au long de ma carrière. Dans les années 1990, j’ai commencé avec une lampe. J’ai trouvé le matériau dans une usine et j’ai démarré avec un minimum d’investissement. Cela a très bien marché, la lampe est même entrée dans la collection du MoMA de New York. Puis j’ai arrêté l’auto-production parce que c’était chronophage ! J’avais plus envie de devenir uniquement designer. J’ai réalisé différents projets en verre et puis j’ai replongé dans l’auto-édition car elle offre une liberté totale. Faire des choses que personne ne vous a demandé est un plaisir. Parfois cela marche commercialement, parfois moins. C’est une pratique différente, qui complète les collaborations avec des éditeurs.
Sebastian Bergne : « C’est devenu branché d’être designer »
Qu’est-ce qui a changé en 2020 pour les jeunes designers ?
Quand j’ai passé mon diplôme au RCA, nous étions 22 ; aujourd’hui, une promotion compte une centaine d’étudiants, voire plus. C’est trop. L’environnement d’apprentissage a changé, tout comme les attentes et les motivations des étudiants. C’est devenu branché d’être designer alors qu’avant, c’était une profession anonyme, dédiée à l’industrie. Avec le numérique, les étudiants sont obnubilés par l’image et en savent moins sur les processus de fabrication. Je ne voudrais pas être trop négatif car il y a toujours de bons designers. Mais c’est quand même comme si la superficialité avait plus de place dans le design. Les étudiants n’ont pas forcément une grande connaissance de son histoire. Ce qui les pousse à constamment répéter des choses existantes. L’industrie, elle, s’est développée et c’est bien. Mais en proportion du nombre de diplômés, très peu de gens en vivent réellement. Récemment, quelqu’un m’a demandé quel était le plus grand succès de ma carrière de designer, je lui ai répondu : « En avoir encore une. » (rires)