Il y a vingt ans, le designer français s’installait au Portugal. Depuis, Sam Baron a noué des relations avec des artisans de toute la péninsule et poursuit ce dialogue fertile basé sur une compréhension ultra-pointue du contexte.
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IDEAT : Comment expliquer que l’artisanat ait perduré et qu’il constitue un pan encore important de l’économie et de la culture portugaises ?
Sam Baron : Jusqu’à la fin de la dictature, les gens avaient un faible niveau d’éducation et on était encore dans une économie de la survie. Ils devaient donc faire les choses à la main pour manger et l’artisanat a longtemps été vivrier, ce qui est resté dans les mœurs. J’ai ainsi collaboré avec un dinandier (qui travaille artistiquement le métal par martelage, NDLR) qui, en parallèle, fabriquait des arrosoirs et des entonnoirs qu’il vendait pour 20 euros sur les marchés…
IDEAT : Existe-t-il un artisanat propre à chaque région ?
Sam Baron : Effectivement, l’artisanat est pluriel au Portugal. Il repose sur les ressources naturelles du pays, en fonction des différentes qualités de terre, ou de la présence d’autres ressources. Dans les régions de vergers, on fabrique par exemple beaucoup de paniers et des arrosoirs ; dans les zones de pêche, les artisans confectionnent plutôt des objets en lien avec la mer.
IDEAT : À quel moment les marques étrangères ont-elles finalement commencé à s’intéresser aux savoir-faire portugais ?
Sam Baron : À partir des années 80, des marques étrangères comme Habitat sont venues faire fabriquer leurs collections de verre ou de céramique avant de partir plus loin vers l’Asie puis de finalement revenir ici. Entre-temps, les gens sur place ont pris conscience de leur valeur et ont lancé par la force des choses leurs propres marques.
IDEAT : Comment décrire le paysage actuel ?
Sam Baron : Entre la marque étrangère qui a simplement besoin d’un produit fini, celle qui va engager une vraie collaboration et faire twister les choses et la petite marque locale qui veut se développer, à l’instar de Maria Terracota, aujourd’hui, le paysage est très composite.
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IDEAT : Quel a été votre premier contact avec l’artisanat portugais ?
Sam Baron : En 2001, avec Vista Alegre, pour un programme de la Villa Médicis hors les murs. Cette collaboration m’a beaucoup servi, car elle a constitué une référence pour de nombreux artisans qui m’ont ensuite ouvert leurs portes.
IDEAT : Vos collaborations avec eux, comment se passent-elles ?
Sam Baron : Lorsque je suis arrivé, il y a vingt ans, il fallait vraiment avoir la curiosité de pousser les portes de ces ateliers cachés la plupart du temps dans des petits villages… Les gens les ouvraient difficilement, ils étaient méfiants avant de devenir plus accueillants en prenant conscience de leur valeur. Mon idée a toujours été de respecter leurs savoir-faire tout en les décalant, en leur révélant ce qu’ils avaient à dire au design.
Est-ce le rôle du designer que de faire prendre des risques à l’artisan ?
C’est bien de faire sortir l’artisan de sa zone de confort d’un point de vue créatif, mais on ne peut pas lui faire prendre de risques économiques. Lorsque le créatif passe à un autre sujet pour les besoins de ses projets, l’artisan, lui, est toujours là… Il ne faut donc pas le vampiriser, mais s’insérer dans son modèle économique. L’idée est de l’ouvrir à autre chose pour qu’il fasse son propre chemin. Ou alors d’entamer une collaboration au long cours avec lui, mais pas de l’utiliser et de l’essorer… Le design doit être un révélateur, un vecteur de développement ou de structuration d’une filière ou l’opportunité pour l’artisan de mettre du beurre dans ses épinards.
Quels sont vos projets actuels ?
Je dessine des tapis pour GUR, pour qui j’ai imaginé des motifs de nuages. L’idée était de pousser la technique en mélangeant deux points afin d’apporter du relief. J’ai aussi dessiné des vases pour l’entreprise familiale Maria Terracota. Dans mes modèles, j’ai repris le décor au col ondulé imaginé par l’arrière-grand-mère qui vendait ses pots au bord de la route.
Quelle est votre plus grande fierté ?
Que ces collaborations aient ouvert les yeux des designers portugais sur les fabricants locaux. Eux qui rêvaient de bosser pour des marques étrangères, ils ont réalisé qu’ils avaient de l’or sous la main… Je leur montre aussi que certains défauts peuvent se muer en signatures s’ils sont bien exploités.
Où en est la formation à l’artisanat au Portugal ?
Pour l’instant, nous sommes très loin de la France, l’enseignement de l’artisanat est vraiment embryonnaire.
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