Comment vous protégez-vous de la contrefaçon ?
A notre niveau, il est devenu quasiment impossible de se protéger… On pourrait passer notre vie à se défendre mais je considère que c’est une perte de temps. Aux éditeurs, selon leur puissance, de faire respecter nos créations. C’est par exemple possible pour Vitra quand ils attaquent des contrefacteurs en Europe, mais j’étais récemment à Shanghaï et les cafés y sont pleins de chaises, de canapés et de lampes qu’on a dessinés… Quand je vois ces copies, cela provoque un sentiment ambivalent : je suis en colère mais si on est copiés, c’est aussi que le projet est particulièrement bon.
Comment abordez-vous les nouveautés technologiques ?
Je suis fasciné par les nouvelles approches techniques, mais pas béat devant l’innovation. Parfois, on voit bien l’absurdité de notre monde tout-numérique. Par exemple, les objets connectés m’inquiètent plus qu’ils ne m’attirent, surtout dans le domaine du mobilier. L’ergonomie est avant tout pour moi une question d’intelligence humaine, pas artificielle. Se lever toutes les 15 minutes pour ne pas que le corps prenne de mauvaise posture relève du bon sens, on n’a pas besoin de technologie pour ça. Et l’ergonomie visuelle ne doit ps être négligée : chez soi ou au bureau, il est important de se sentir bien grâce à un mobilier esthétique.
Quel objet de votre création est votre préféré ?
Je n’ai pas de préféré… Sur chaque projet, notre travail est différent et touche à des typologies variées. Par exemple, je suis content qu’on ait réussi à dessiner une télévision radicalement nouvelle [la Sérif de Samsung, NDLR], qu’on ait apporté des solutions intéressantes pour le cadre de travail et je suis plutôt satisfait du lustre de Versailles… Je trouve qu’en règle générale, notre travail se tient, reste cohérent.
De quel grand designer vous sentez-vous proche ?
Jean Prouvé fut un architecte et designer extraordinaire… qui malgré son génie, a subi tout au long de sa carrière échec après échec. Sa vie est un véritable désastre d’incompréhension. Il possédait à Nancy ses propres usines dont il a fini par être viré, c’était son grand désastre. Pourtant, son approche et son attitude restent essentielles : il avait une approche sociale et travaillait pour le bien commun et des jours meilleurs. Le fait que ses créations qu’ils voulaient populaires soient aujourd’hui vendues des millions d’euros à New York le fait sans doute se retourner dans sa tombe…
Comme lui, vous avez dessiné le mobilier d’une université…
Nous avons en effet dessiné le mobilier de l’université de sciences humaines de Copenhague. Et Prouvé a été une grosse influence : dans sa rigueur intellectuelle et puis en termes techniques, formels. Comme lui, je fais ce métier pour voir les choses changer.
Quel projet vous motive en ce moment ?
Depuis quelques années, je travaille sur une chaise à prix extrêmement bas et ça me passionne d’aller vers cette accessibilité. Je planche sur cette chaise avec l’idée d’en faire l’équivalent de la cuisine italienne : des produits simples et peu chers, assemblés de façon ingénieuse pour un résultat extraordinaire. Comme une pizza !
Retrouvez la dernière partie de notre entretien avec Ronan Bouroullec mercredi prochain. Il y dévoilera un projet encore top secret pour un prestigieux espace public parisien…