Serif, la TV des Bouroullec

Ronan & Erwan Bouroullec ne sont pas férus de technologie. Certes, leurs meubles affichent des formes audacieuses et mettent à profit nouveaux matériaux et techniques de fabrication, mais ils ne se placent pas sur le terrain du connecté ou du mobile. Aussi, lorsqu’un responsable de Samsung, premier fabricant mondial de téléviseurs, a pris contact avec la fratrie en 2012 afin qu’elle l’aide dans sa mutation vers des produits plus beaux, Erwan et Ronan ont été surpris… avant de finalement relever le challenge. Rencontre.

Habitués à maîtriser l’intégralité du processus industriel, Erwan et Ronan Bouroullec se montrent d’abord réticents à se lancer dans un projet avec le géant coréen aux 319 000 employés… Néanmoins, l’enthousiasme de Yung-Je Kang, directeur du design des téléviseurs Samsung, les conquiert vite. Cet homme a été missionné par le conseil d’administration afin de créer des têtes de pont avec des uni­vers connexes et aider les designers travaillant en interne à envisager d’autres scénarios. Malgré leurs premiers doutes, les Bouroullec acceptent donc finalement une mission de conseil général mais ne veulent s’engager sur aucun projet concret. Au fil du temps, une relation de confiance s’établit entre le studio artisanal de l’Est parisien et les équipes du chaebol coréen qui se montrent aussi passionnées que compréhensives. Jusqu’à ce jour où ils présentent des idées de maquettes en vrac. Bingo : les responsables de Samsung sont subjugués par leur prototype de téléviseur intitulé Serif !

Les Bouroullec se lancent dans ce projet enthousiasmant – drôle d’idée quand on sait que l’un d’entre eux ne possède même pas de télé chez lui ! Le but pour les designers est de redonner de la matière à cette typologie réduite à deux dimensions : les téléviseurs sont en effet aujourd’hui devenus à la fois de plus en plus envahissants et de plus en plus fins, immatériels… « Depuis dix ans, la technologie des écrans plats a dicté le design des téléviseurs, des normes se sont répandues très vite, un peu comme dans l’automobile, avance Erwan. Mais cette phase de transition arrive à son terme et nous voulions apporter un autre regard. Nous n’avions jamais travaillé sur ce type d’objets, mais notre absence de connaissances techniques était contrebalancée par notre approche plus fraîche… Nous ne voulons surtout pas être des spécialistes. Pour rester passionnés, nous tenons à notre statut de touche-à-tout. »

Diaporama : Serif, la TV des Bouroullec


Premier constat des Bouroullec : les écrans plats s’intègrent très mal dans les intérieurs contemporains car nous vivons entourés d’objets qui nous connectent au passé. « Nous voulions dessiner quelque chose de plus universel, plus pérenne, plus intemporel… » La conception s’est donc faite dans les ateliers parisiens du duo. « Beaucoup d’options ont été explorées, nous avons fait des tas de maquettes en bois et résine, comme des croquis en trois dimensions. Cela nous a donné une approche concrète de l’objet. » Erwan et Ronan décident rapidement de « replier » les bords pour former un cadre. Le poste est équipé en option de quatre pieds en métal noir qui lui confèrent un indiscutable aspect rétro. De fait, les Bouroullec ont pris à revers les codes du téléviseur. Le leur est dessiné comme un meuble et reste aussi beau vu de devant que de derrière grâce au panneau textile magnétique qui dissimule esthétiquement les prises au dos. Quant au profil, il singe le I majuscule et ses empattements typiques d’une police de caractères appelée « sérif », qui donne son nom au produit final. Cette épaisseur retrouvée alliée à un écran de taille raisonnable (jusqu’à 40”) permet d’en faire un bel objet, domestique et sensuel, sur lequel on peut même poser un vase ou un bibelot.

Le ping-pong entre les deux parties dure trois ans avant que le produit n’arrive finalement sur le marché. « Il y a eu des moments où on a eu envie de tuer tout le monde », reconnaît Erwan dans un sourire complice à Yung-Je Kang. « C’était comme diriger un orchestre symphonique : il fallait que l’on s’occupe du rôle de chacun alors qu’on est plus habitués à un quintet… » Une fois l’enveloppe dessinée, la partie technique a été entièrement laissée à Samsung. Les Bouroullec se sont néanmoins occupés de l’interface qu’ils ont entièrement créée avec deux graphistes-typographes. Quant à la télécommande, elle joue les excentriques avec son nombre réduit de touches et son pointeur intuitif.

« Samsung a osé prendre une direction nouvelle, se réjouit Erwan. C’est une décision lourde financièrement du fait des contraintes techniques, commerciales, logistiques et marketing. » La firme a prudemment lancé la Serif sur les marchés nord-européen et coréen qui auront valeur de test. Nul doute qu’elle trouvera son public parmi tous ceux qui ne veulent pas voir leur intérieur ruiné par un envahissant rectangle noir…

Samsung Serif, trois diagonales (24”, 32” et 40”) et trois couleurs (ivoire, bleu foncé et rouge). À partir de 600 €.

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