La diversité des projets, Rodolphe Albert l’a toujours cultivée. C’est pour se frotter à différentes échelles et à une clientèle variée, qu’il est devenu architecte (diplômé de l’école Paris-Belleville et de l’institut KTH de Stockholm). Autant dans sa première agence, montée en 2011 et baptisée Cent 15 Architecture dont il s’est séparé, que dans l’actuelle, lancée en 2022 et nommée Rodaa, Rodolphe Albert a toujours alterné entre maisons privées, restaurants, hôtels et scénographies.
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Less is more
D’abord purement architecte, citant Peter Zumthor ou David Chipperfield comme graal, la partie architecture d’intérieur, qu’il aborde avec le même rationalisme, est venue naturellement à ce Parisien, né en 1983. Pas étonnant donc de retrouver du béton dans ces projets, « si c’est une hérésie totale de l’utiliser massivement dans la construction, cela devient, en appoint, un élément très déco dans les intérieurs », pointe-t-il.

Dans les restaurants Doki Doki, qu’il dessine depuis le début de l’aventure (on en compte désormais quatre), il a, par exemple, créé un bar avec ce matériau qu’il a contrebalancé avec du bois. « J’adore le bois et la pierre. Toutes les matières naturelles sont extraordinaires, mais c’est vrai que j’aime particulièrement la terre et toutes ses utilisations, principalement la brique. »
Pour le restaurant Tekès, du groupe JLM, dont le chantier avait été suivi au sein de l’agence Cent 15 Architecture, il se souvient du sol en terre qui avait nécessité six semaines de séchage. La question du temps revient souvent chez ce skieur randonneur. S’il dit apprécier de voir les hôtels ou restaurants qu’il signe sortir de terre plus rapidement qu’une tour, il se languit du temps long, se questionne sur les bâtiments obsolètes sitôt livrés face à une technologie qui va trop vite, vante les constructions rudimentaires et les lieux qui poussent à la déconnexion.

Son premier projet signé Rodaa fut d’ailleurs l’hôtel Youza Ecolodge. Une construction dans la forêt près de Giverny, en Normandie, où il a fallu creuser des tranchées pour le tout-à-l’égout sans déplacer ou déraciner un seul arbre. Le résultat, ce sont des cabanes de bois, 100 % labellisées PEFC (origine France et Belgique), de plain-pied ou perchées à 4 mètres de hauteur dans les arbres, et un sublime lieu de vie avec cheminée, vitré sur l’extérieur. Le tout, construit grâce à un ancrage local par des charpentiers de la région. Une « super aventure » qui l’a estampillé archi-capable de construire en pleine nature avec un autre projet similaire à venir dans la région, ainsi que d’autres hôtels, tournés vers l’activité sportive, dans le Jura et en Ardèche.
Des lieux qui élèvent
Rodolphe Albert rêve de construire un musée. Il raconte la réaction de son fils perdu dans le gigantesque hall de la Tate Modern à Londres et son expérience similaire, bien qu’adulte, dans celui du Kiasma Museum of Contemporary Art, au cœur d’Helsinki, conçu par Steven Holl. « Le parcours est tellement juste, on vit l’expérience en perdant ses repères. On se laisse complètement aller… », décrit-il.

On comprend mieux pourquoi les restaurants qu’il signe cultivent toujours le minimalisme. « J’aime supprimer ce qui est superflu pour amener une réponse simple, dans le sens d’authentique », analyse-t-il. Le plan prime, en s’intéressant aux besoins et aux flux, puis viennent les matériaux et, enfin, la décoration.
Que ce soient dans ceux très établis, du type l’auberge du Mouton-Blanc, connu pour être le plus vieux restaurant de Paris, où il a habilement anobli les murs et épuré le plafond, ou chez Cloche, brasserie mythique du quartier des Halles de la capitale, qu’il a cosigné avec l’agence Hypnos en mettant l’accent sur une rigueur très Art déco; ou, de l’autre côté du spectre, les enseignes plus modernes comme Dumbo à Paris, qui vend des burgers dans une ambiance brute de béton, Inox et bois, et Doki Doki, cité plus haut, où il utilise très peu de matériau, la fioriture n’existe pas.

« Évidemment l’Inox a une place particulière dans mon travail, sourit-il. C’est une déformation professionnelle dirais-je, tout comme l’aluminium. » Au Ruisseau, autre restaurant de burgers, dont il signait la première adresse dans le XVIIIe arrondissement de Paris, il y a neuf ans, avec sa première agence, Rodolphe Albert a tenté le “tout-alu” pour les tables et les chaises dans leur adresse du XIVe, ouverte en 2022.
L’architecture est une discipline et, lui, la transpose dans les intérieurs qu’il construit. Il aime que ses sols reflètent le graphisme des meubles. Les planchers jouent souvent sur des motifs de lattes ou des agencements de mosaïques. Les chaises de bar sont répétitives et géométriques. Les miroirs permettent de répéter à l’infini un schéma dans les suspensions. Le vide et l’absence de décoration facilitent l’appropriation des lieux.

Côté maisons privées, l’agence Rodaa, qui compte cinq personnes à temps-plein, suit trois projets simultanément. Une adresse en Bretagne, où il a fallu dépecer le toit et une bonne partie de la structure. Une autre à l’Île d’Yeu où des contraintes budgétaires ont imposé d’aller à l’essentiel, comme Rodolphe s’amuse tant à le faire. Et, enfin, un nouveau chantier dans Paris.
« Citons aussi une petite virgule dans le parcours Cézanne 2025 où je signe la scénographie et quelques meubles pour présenter le peintre pastelliste François Aubin, dit Barbâtre au Tholonet », termine Rodolphe Albert. L’occasion de mettre un pied dans l’art avant de, pourquoi pas, signer toute une installation puis, qui sait, un musée !
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