En l’espace d’une soixantaine de kilomètres, trois pays (les Pays-Bas, la Belgique et la France) se partagent le littoral de la mer du Nord pour l’essentiel composé de longues plages de sable clair –, qui jadis ne formait qu’un seul territoire. Celui-ci a désormais pour point commun d’abriter de nombreuses architectures contemporaines et créations artistiques qui dialoguent avec la nature.
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Jour 1 – Cadzand (Pays-Bas)
Depuis Paris, en voiture, en à peine plus de temps que pour rejoindre la Bourgogne, nous avons franchi deux frontières : France/Belgique et Belgique/Pays-Bas. nous déjeunons les pieds dans le sable des dunes de Cadzand, en Flandre zélandaise. ici, le dépaysement est assuré, avec le sentiment d’être loin de tout !





Cette partie de la Hollande est, pour l’anecdote, séparée du reste du pays par un bras de mer (l’embouchure de l’Escaut). c’est sans doute ce qui explique que la station balnéaire de Cadzand fut longtemps une belle endormie… jusqu’à ce que des entrepreneurs bien avisés aient l’idée d’en faire une sorte de Hamptons flamands. mais pas question de briser ce que l’isolement a préservé en dressant des barres d’immeubles – comme sur la côte belge. hôteliers et promoteurs ont au contraire su mettre en valeur le charme suranné de l’existant pour établir une ligne de conduite architecturale.
Totalement « revampé » par le designer Piet Boon, le Strandhotel a ouvert la voie à cette modernisation en douceur, rejoint depuis par de nouveaux projets hôteliers et résidentiels. une longue promenade à travers les dunes a été dessinée par des paysagistes, et la moindre « paillote », tout comme le petit port de plaisance désormais niché sur la côte, fait l’objet d’un dessin d’architecte. incontournable, sur la jetée, un club-house abrite le Beach Boy – écho aux surfeurs de Cadzand –, l’un des meilleurs spots pour se restaurer.
Jour 2 – Le Zwin / Ostende (Belgique)
Nous longeons la côte pour descendre vers la Belgique. sur le rivage, la notion de frontière est très relative, surtout lorsqu’une immense réserve naturelle, le Zwin, se déploie sur quelque 330 hectares, à cheval sur les Pays-Bas et le plat pays. cyclistes et randonneurs peuvent arpenter cet ancien bras de mer devenu vasières et prés salés.




Côté belge, un impressionnant centre d’accueil, d’un noir profond, abrite une boutique, un point d’information et un café mais, surtout, un dispositif muséal sur l’écosystème. quasiment aux antipodes de cette sobriété se déploie, non loin de là, Knokke-le-Zoute. la station bling-bling n’a que peu d’intérêt, si ce n’est un rapide arrêt à la boutique de la designeuse Bea Mombaers.
Par ailleurs, Knokke est le terminus nord de la ligne de tramway parcourant les 70 kilomètres de la côte belge. ce dispositif de transport unique permet notamment de partir à la découverte de la quinzaine de stations balnéaires qui rythme le littoral, dont Ostende. cette ville majeure de la Flandre-Occidentale est de longue date un lieu que des peintres tels James Ensor ou Paul Delvaux affectionnaient. l’agence de communication Club Paradis a tiré parti de ce capital créatif en y installant un bed & breakfast dont l’ameublement contemporain change chaque année. ou comment une galerie de design devient un lieu de vie !
Jour 3 – Oudenburg (Belgique)
Nous faisons ce matin un léger pas de côté pour nous enfoncer dans ce fameux plat pays cher à Jacques Brel. au détour d’un bosquet, la silhouette d’un bunker en brique se dessine. le bâtiment, à la facture spectaculaire, est en fait une villa bâtie dans les années 1970 par l’architecte belge Jacques Moeschal pour le compte d’un riche particulier.



Le chef Willem Hiele a forcément été frappé par son architecture, aux lignes pour le moins radicales. et, alors qu’elle était inoccupée, on lui a proposé de l’investir. changement de décor total pour celui qui cuisinait jusque-là dans une ancienne maison de pêcheurs sur la côte, à Coxyde. pour autant, le solide gaillard n’en a pas perdu son caractère entier, son allant à toute épreuve et surtout sa cuisine de l’instinct, continuant de cuire au barbecue des turbots de 5 kilos comme de garnir lui-même, en fin de repas, des gaufrettes à la vergeoise.
« Les lignes épurées, les matières brutes et la vue sur les champs m’incitent à aller encore plus à l’essentiel », confie-t-il. la villa a fait l’objet d’un sérieux redéploiement intérieur, notamment pour y loger six chambres. l’esprit du collectionneur d’art et de design qui vivait ici autrefois est cependant bien présent, à travers le mobilier vintage et les œuvres accrochées au mur incarnant l’endroit, dans un raccord sans faille avec la personnalité si attachante du chef.
Jour 4 – Ostende / Nieuport / Middelkerke (Belgique)
Après une cueillette sauvage matinale avec Willem Hiele, nous rejoignons à nouveau la côte pour découvrir le Parc des sculptures de Beaufort, une exposition à ciel ouvert imaginée par Willy Van den Bussche en 2003, alors qu’il était directeur du musée PMMK à Ostende. soit une cinquantaine d’œuvres d’art publiques disséminées sur le littoral belge, devenues pérennes après plusieurs éditions de la Triennale de Beaufort.



« Willy Van den Bussche a souhaité en conserver certaines pour continuer d’éveiller la curiosité du public entre deux éditions de la Triennale de Beaufort », explique Mieke Dumont, coordinatrice générale. quelques-unes s’imposent naturellement au regard : Pillage of the Sea, de Rosa Barba (2021) qui, sur la plage d’Ostende, questionne sur la montée des eaux ; Green Checkered House (2015), maisonnette dans laquelle vécut le peintre Alfred Bastien, « redécorée » par Lily Van der Stokke, à Raversijde ; ou encore cette nuée de manches à air installée par Daniel Buren dans le port de Nieuport, véritable tableau en mouvement.
Pour l’étape du soir, nous revenons légèrement sur nos pas, à Middelkerke. depuis peu, un élément architectural vient bousculer la rectitude de la longue barre d’immeubles bordant le front de mer : l’incroyable hôtel Silt, qui témoigne de l’audace que peuvent s’autoriser ici les architectes.
Jour 5 – La Panne (Belgique) / Zuydcoote / Dunkerque (France)
Ultime étape belge à La Panne : au bout de la promenade pointant vers la France, un curieux édifice se dresse sur le sable. Westerpunt est l’œuvre de Studio Moto, qui a voulu marquer cette zone transitoire par un point d’observation symbolique.



De là, on distinguerait presque, côté français, la bourgade de Zuydcoote, où un déjeuner est prévu au Kotje. dans un esprit de cantine-épicerie, ce lieu a été imaginé par le chef Thomas Hidden, que l’on retrouve aussi en front de mer, aux cuisines de La Grande Marée, pour des agapes plus créatives.
Avant de s’y attabler, on a le temps de pousser jusqu’à Dunkerque. cette importante cité portuaire est aussi une escale culturelle de premier plan, riche d’une école d’art, d’une scène nationale, d’un musée d’art contemporain et du Frac Grand Large. une institution, qui dispose de l’une des plus importantes collections publiques de design. elle l’expose régulièrement dans un ancien chantier naval, l’AP2, réhabilité par l’agence Lacaton & Vassal. cette implantation a entraîné la mutation architecturale de cette partie de l’ancien port de commerce, à deux pas du centre-ville, comme de la station balnéaire de Malo-les-Bains, où l’on trouve des édifices signés Nicolas Michelin, Jean-François Le Gal ou Brigit de Kosmi.
Jour 6 – Montreuil-sur-Mer / Merlimont (France)
Une fois passées les falaises de Calais et de Boulogne-sur-Mer, nous retrouvons les longues étendues de sable au sud du Touquet. une légère percée dans les terres nous guide au hameau de La Madelaine-sous-Montreuil, en contrebas de Montreuil-sur-Mer.



Le chef Alexandre Gauthier y a repris, en 2003, la table paternelle, La Grenouillère, pour l’embarquer vers une douce modernité, avec la complicité de l’architecte Patrick Bouchain. à côté de l’auberge historique, le duo a érigé deux « chapiteaux » en verre et en métal et quelques huttes « rustiques chics » pour passer la nuit.
À l’hiver 2023, deux importantes crues ont mis les lieux sous l’eau pendant plusieurs jours. un an et demi plus tard, l’endroit était rouvert au public. « Tout a dû être remis à plat avec l’aide des équipes, pour que rien ne change », souligne l’ambassadeur du terroir culinaire de la côte. il a même profité de cette parenthèse pour renforcer l’identité de ses autres adresses : le café Grand Place, aujourd’hui un incontournable du bourg, et Sur Mer, à Merlimont, qui a comblé le vide culinaire des plages voisines. accroché à la digue, son architecture rustre en verre et en béton est l’assurance d’un bien-manger, évidemment à dominante marine, mais aussi la preuve qu’une table populaire peut séduire le plus grand nombre tout en étant design.
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